« Dernière ligne droite pour démarrer Flamanville 3 », peuvent lire tous les matins les quelque 3.000 personnes qui travaillent actuellement sur le chantier de l'EPR normand. La banderole, accrochée sur l'un des bâtiments abritant les groupes électrogènes de secours, a des airs d'encouragements sportifs. Comme s'il s'agissait de motiver les troupes pour le sprint final d'un marathon engagé il y a plus de 15 ans maintenant. « Il y a une tension positive qui monte, une adrénaline saine. On sent cette effervescence sur le terrain », rapporte Alain Morvan, le directeur du projet Flamanville 3.
Alain Morvan, directeur du projet Flamanville 3
L'adrénaline des challenges industriels, Alain Morvan la connaît bien. C'est lui qui a sorti de l'impasse DCNS Cherbourg lors de la construction du premier sous-marin nucléaire Barracuda, mis à l'eau en 2019. Aujourd'hui, EDF mise sur son expertise des chantiers ultra complexes pour le premier EPR français, devenu, au fil des années, le symbole des dérives du secteur pour les opposants à l'atome.
Le réacteur de troisième génération, dont les travaux ont été amorcés en 2007, devait initialement sortir de terre au bout de cinq années seulement. Mais après des dérapages à répétition et une facture qui se chiffre désormais à plus de 19 milliards d'euros, contre les 3,3 milliards prévus initialement, la centrale nucléaire n'a toujours pas produit un électron. Les premiers ne sont attendus sur le réseau qu'au dernier trimestre 2023.
90% des bâtiments terminés
« Aujourd'hui, Flamanville 3 est plus proche d'une centrale en exploitation que du chantier », assure Alain Morvan, chiffres à l'appui. « Le taux de finition est de 95% et 90% des bâtiments ont été réceptionnés par nos collègues en charge de l'exploitation. Les 10% manquants, c'est le bâtiment réacteur», explique-t-il lors d'une visite des lieux organisée pour la presse.
La salle des machines
Dans la salle des machines, transférée l'été dernier aux équipes d'exploitation, de l'air chaud est pulsé dans les tuyaux conçus en acier carbone afin d'éviter la propagation de corrosion avant le démarrage du réacteur. Quelques étages plus hauts, la turbine Arabelle, longue de 70 mètres et fabriquée par General Electric, est également installée. Elle permet de transformer l'énergie thermique en énergie mécanique pour actionner l'alternateur qui produit l'électricité. Seule une pièce, appelée excitatrice, doit encore être remplacée et montée sur l'alternateur dans le courant de l'été.
En bleu, la turbine Arabelle, longue de 70 mètres.
La salle de commande, elle aussi, est opérationnelle. Ici, changement d'ambiance. Tous les bruits sont étouffés. « Elle a été conçue dans une boîte métallique complètement insonorisée et suspendue par des ressorts », détaille Alain Morvan. A l'intérieur de « cette boîte dans la boîte », des opérateurs contrôlent 24h/24 et 7jours/7 toutes les commandes de la centrale via des outils entièrement numérisés, auquel s'ajoute un système manuel par redondance. Plus loin, l'entrée du bâtiment combustibles est strictement encadrée. Et pour cause, depuis 2021, quelque 241 assemblages sont déjà entreposés sous l'eau dans la piscine dédiée à cet effet.
Un opérateur en salle de commande
Opération communication
Objectif de cette opération de communication itinérante : démontrer que l'électricien est désormais en mesure de tenir le calendrier annoncé, dont le point d'orgue est le chargement du combustible dans un an environ, suivi d'une connexion au réseau électrique fin 2023. « Nous avons un bon niveau de confiance sur la tenue de ce planning », a assuré, hier, Xavier Ursat, le directeur exécutif d'EDF en charge de l'ingénierie et des projets nouveaux nucléaires.
L'enjeu d'image sur la tenue de ce planning est de taille à l'heure où EDF espère décrocher des contrats majeurs à l'international. L'électricien est, en effet, en discussions plus ou moins avancées avec les gouvernements britannique, polonais, tchèque et indien.
Reste que cette dernière ligne droite n'a rien d'un long fleuve tranquille et s'apparente encore à une course d'obstacles. Avant de pouvoir produire les premiers électrons du réacteur, les équipes doivent, en effet, résoudre un certain nombre de problèmes techniques dans un calendrier très serré. Revue en détail, des huit étapes clefs avant le démarrage de Flamanville.
1 - Reprendre les soudures défaillantes
Au total, EDF devait remettre à niveau 122 soudures sur le circuit secondaire principal, qui permet de transformer l'eau en vapeur pour faire tourner la turbine. « 59% de ces soudures sont terminées et les plus complexes sont finies», indique Alain Morvan. Les soudures les plus complexes sont les 12 qui concernaient les lignes de tuyauteries traversant l'enceinte du bâtiment réacteur (8 sur le circuit vapeur - 4 sur le circuit eau). Elles ont été réalisées par les équipes américaines de Westinghouse à l'aide d'un robot ad hoc piloté à distance. EDF s'est donné pour objectif de finir toutes les autres soudures, leurs traitements thermiques et leurs contrôles d'ici la fin 2022. Alors qu'au départ les soudures étaient réalisées une à une, l'électricien travaille actuellement sur 16 opérations de soudage en simultané. Au total, 800 personnes s'attellent à remettre en état le circuit secondaire principal.
Vue d'une soudure
2 - Installer des colliers de maintien
L'autorité de sûreté nucléaire a jugé, par ailleurs, que le design de trois raccordements du circuit primaire de refroidissement n'était pas conforme au référentiel de sûreté. Ces soudures, dite « de piquage » n'ont pas été mal réalisées, mais elles ne correspondent pas au standard exigé par la réglementation. Pour y remédier, EDF a proposé d'installer des colliers de maintien, actuellement en cours de construction. Cette solution est aujourd'hui instruite par le gendarme du nucléaire. Un feu vert est espéré pour le second semestre de l'année.
3 - Remplacer les commandes de soupape
Les équipes de l'électricien doivent également remplacer les tiges des « pilotes », qui permettent de contrôler l'ouverture et la fermeture de la soupape, car des fissures et des traces de corrosion ont été observées sur des dispositifs similaires dans le réacteur finlandais . Ce remplacement est prévu pour le troisième trimestre de l'année.
4 - Orchestrer la répétition générale
Une fois ces opérations techniques réalisées, EDF pourra procéder aux essais d'ensemble. « Ce programme de 8 à 9 semaines doit début 2023 », précise Alain Morvan. Cette sorte de « répétition générale » est la phase préalable au chargement du combustible dans le réacteur.
5 - Charger le combustible
Vue sur le bâtiment réacteur où doivent être chargés les combustibles au 2e trimestre 2023
EDF espère obtenir l'autorisation de l'ASN pour cette étape majeure au deuxième trimestre 2023. Dans cet intervalle de temps, l'électricien doit toutefois procéder au changement de certains assemblages pour éviter de reproduire l'incident rencontré, l'été dernier, par l'EPR de Taishan en Chine. Des ressorts corrodés situés en bas des assemblages des crayons combustibles y ont endommagé la gaine où se trouvent les pastilles radioactives.
Pour que ce phénomène ne se reproduise pas sur l'EPR de Flamanville, EDF va faire refabriquer 64 assemblages combustibles supplémentaires sur lesquels un traitement thermique spécifique sera réalisé sur les ressorts. Ils seront installés en périphérie du cœur du réacteur, là où les flux neutroniques sont les plus faibles lors du premier cycle du réacteur, car c'est ce phénomène de sous irradiation qui rend plus vulnérables les assemblages combustibles au phénomène de corrosion. 64 assemblages combustibles déjà réceptionnés ne seront donc pas utilisés pour le premier cycle du réacteur, mais ils ne seront pas jetés pour autant, car ils seront chargés lors des cycles suivants.
6 - Démarrer le réacteur
Deux mois s'écoulent ensuite avant le démarrage du réacteur. C'est la s précise Alain Morvan. Il s'agit de commencer la réaction en chaîne de la fission. Une montée en puissance du réacteur se fait progressivement, et par palier, jusqu'à 25% de sa capacité. « Avant 25%, nous faisons tourner la turbine, mais nous ne produisons pas de courant », explique le directeur du projet.
7 - Connecter l'EPR au réseau
L'alternateur n'est activé qu'à partir du moment où la turbine tourne à 25% de sa capacité. Les premiers électrons sont alors produits et le réacteur est connecté au réseau électrique. Lors de cette phase, dite de « couplage », le réacteur affiche une puissance de 400 mégawatts. Cette opération est attendue pour la fin 2023.
8 - Monter progressivement jusqu'à 100%...
Il faut ensuite compter encore quelques semaines pour passer d'un fonctionnement de 25 à 100%. Cette montée en puissance se fait également par paliers avec des échanges réguliers avec le gendarme du nucléaire. Pour l'heure, EDF ne communique sur aucune date à laquelle l'EPR tournera à 100% de ses capacités.
9 - ... puis arrêter l'EPR !
Dans tous les cas ce niveau de plein régime ne devrait durer, tout au plus, que quelques mois car EDF prévoit d'arrêter l'EPR dès décembre 2023. Cela correspondra, peu ou prou, à la fin du 1er cycle, qui dure en moyenne entre 15 et 18 mois et à la fin duquel le réacteur doit être arrêté pour procéder au changement d'un tiers du combustible. Un arrêt pour chargement classique dure en moyenne 30 à 40 jours, mais dans cette configuration un arrêt d'environ 150 jours, soit cinq mois, est prévu afin de procéder à la « visite complète initiale ». Celle-ci est effectuée après chaque premier cycle d'une tranche nucléaire. L'électricien profitera de ce long arrêt pour remplacer le couvercle de la cuve, exigé par l'ASN.
Après cette ultime opération, Alain Morvan quittera ses fonctions et son actuel adjoint, Grégory Heinfling, prendra la direction de l'exploitation de Flamanville 3.
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