Financement vert : les fausses promesses du fléchage de l’épargne des Français

Le gouvernement souhaite mobiliser 5 milliards d'euros par an, provenant de l'épargne des Français, vers les investissements « verts ». Un objectif qui semble éloigné des besoins, qui se chiffrent plutôt en dizaines de milliards d’euros par an. Banquiers et assureurs restent prudents sur l’idée de pouvoir flécher l’épargne des Français mais d’autres leviers peuvent être utilisés, comme la dette.
Le gouvernement espère attirer au moins un milliard d'euros de collecte par an avec son Plan d'Epargne Avenir Climat pour les jeunes.
Le gouvernement espère attirer au moins un milliard d'euros de collecte par an avec son Plan d'Epargne Avenir Climat pour les jeunes. (Crédits : Kai Pfaffenbach)

La mise en du Plan d'Epargne Avenir climat (PEA climat), une idée du gouvernement dans le cadre de son projet de loi sur l'industrie verte ne sera pas une mince affaire. La semaine dernière, le Sénat a voté la création de plan pour les jeunes, mesure phare du volet financement du projet de loi sur l'industrie verte, mais après avoir supprimé l'abondement de l'Etat proposé par le gouvernement. La Commission des finances du Sénat avait en effet tiqué sur le principe d'une somme de 50 à 500 euros, que l'Etat devait verser à l'ouverture de ce plan, lors de la naissance d'un enfant. Pour le législateur, cet abondement n'est pas justifié car il est sans effet sur l'attractivité d'un produit, plutôt destiné de surcroît, par construction, aux ménages les plus aisés.

Pas facile de mettre en œuvre le souhait du gouvernement de mobiliser l'épargne des Français - quelque 4.000 milliards d'euros d'épargne financière, dont plus de 500 milliards sur les livrets réglementés et près de 1.900 milliards sur l'assurance-vie - pour financer l'industrialisation du pays, en privilégiant la transition écologique.

Les besoins sont colossaux. Selon le rapport Pisani-Ferry/Mahfouz, remis à la Première ministre Élisabeth Borne en mai dernier, un engagement de quelque 66 milliards d'euros par an est nécessaire pour réduire, à l'horizon 20230, de 47,5% les émissions à effet de serre pour atteindre, comme annoncé, la neutralité carbone en 2050. Pour la seule industrie, le coût de la décarbonation est estimé par le gouvernement à 50 milliards d'euros d'ici à 2050, dont 30 milliards pour les 50 sites les plus polluants de France.

Or, chacun sait, que les marges de manœuvre budgétaires sont minces et Bercy a exclu tout recours massif à l'impôt pour financer cette transition.

Il va donc falloir faire preuve d'imagination pour mieux orienter l'épargne vers l'investissement productif. Les fonds de pension à la « française », sur la base d'un régime de retraite par capitalisation, pourrait être une solution, mais cette piste a toujours été repoussée depuis 30 ans, de peur d'être accusée de mettre fin aux régimes par répartition auxquelles les Français, de tous bords, tiennent tant.

Flécher 5 milliards d'épargne par an

Certes, le PER (Plan épargne retraite) créé par la loi Pacte, qui est une sorte de succédané d'un fonds de pension, a dépassé les attentes, avec plus de 80 milliards d'euros d'encours et 7 millions de souscripteurs. Mais rien de permet aujourd'hui de flécher la part investie dans des unités de compte, notamment actions. C'est également le cas de l'assurance-vie, dont plus 30% de l'encours sont désormais investis dans des unités de compte. Sur cette manne, le gouvernement incite les assureurs à en faire davantage pour la transition verte.

Pour l'heure, il n'existe pas réellement de concertation forte entre le gouvernement et les assureurs sur la question de l'emploi des fonds collectés en assurance-vie mais l'idée d'imposer des contraintes dans la composition des unités de compte est souvent avancée par les pouvoirs publics, notamment pour mieux promouvoir l'investissement non coté.

Dans le cadre du projet industrialisation verte, le gouvernement espère « flécher » sur la transition 5 milliards d'euros d'épargne, dont 4 milliards via l'assurance-vie et l'épargne retraite, et un milliard via le Plan Avenir Climat.

Injonction paradoxale

Les assureurs aiment à répéter que l'assurance-vie n'est pas une vache à lait, et que les actifs doivent délivrer un rendement pour les assurés. « Nous devons délivrer un rendement alors que les énergies de transition dégagent une rentabilité lointaine et il est contre-intuitif d'obliger les compagnies d'assurance-vie à aller dans des actifs illiquides alors que nous avons un devoir de liquidité », résume un grand assureur de la place.

« Nous sommes déjà des financeurs importants du verdissement de l'économie. Le premier frein à ce type d'investissement sont les règles de solvabilité, sur des calibrages qui ont été faits par les régulateurs il y a une dizaine d'année », remarquait, en avril dernier, Adrien Couret, directeur général du groupe mutualiste Aéma.

Flécher l'épargne est avant tout un art qui doit relever du gestionnaire de l'actif. « A trop restreindre le choix en matière d'investissement, on risque de faire baisser le rendement. On ne peut à la fois vouloir dicter le choix aux assureurs et dire qu'ils ont une responsabilité personnelle envers leurs assurés. Nous sommes dans une injonction paradoxale », ajoute un autre assureur.

Redonner ses lettres de noblesse à la dette

« L'investissement ne peut pas marcher avec des panneaux fléchés à chaque carrefour. L'allocation d'actifs ne se décide pas à Bercy », renchérit un banquier. Ces derniers ont d'ailleurs senti le vent du boulet avec des projets de réforme du livret de développement durable et solidaire (LDDS), voire de création d'un nouveau Livret A « vert ». C'est donc avec un « ouf » de soulagement qu'ils ont appris le lancement prochain du Plan d'Epargne Avenir climat dont les ambitions sont limitées à un milliard d'euros de collecte par an, en vitesse de croisière. Ce n'est donc pas ce nouveau produit qui sera en capacité de mobiliser l'investissement nécessaire.

A moins de redonner ses lettres de noblesse à la dette publique - c'est comme cela que les Etats-Unis financent leur ambitieuse politique de réindustrialisation via son programme Inflation Reduction Act (IRA)- ou à la dette privée et semi-publique. La banque publique BPIfrance a financé l'an dernier 22 milliards d'euros de prêts et aides à l'innovation, en partenariat avec le secteur privé. Dans le projet d'industrialisation verte, Bpifrance devrait contribuer à hauteur de 2,3 milliards d'euros de prêts et de garanties de financement à la transition des entreprises.

Dans le domaine du numérique, cette politique volontariste a permis de faire des levées de fonds de 100 millions d'euros, contre une dizaine il y a cinq ans. Cet amorçage réussi pourrait être étendu à la transition écologique, à l'industrie, avec l'aide, pourquoi pas, de fonds d'investissement d'envergure européenne. Du côté de la Caisse de dépôts, on ne cesse de mettre en avant l'effet de levier très important lorsqu'elle met un euro dans un projet, notamment dans le domaine des énergies renouvelables.

Dynamisme des obligations vertes

Les obligations « vertes ou durables », un marché sur lequel la banque française BNP Paribas revendique la place de numéro un mondial, sont également un excellent moyen de financement, de plus en plus prisé par les entreprises. A la fin avril, selon une étude de Lazard Gestion, les obligations assorties d'une contrainte environnementale ont continué de progresser dans le monde, malgré les turbulences bancaires, pour atteindre 165 milliards de dollars d'émission... contre 35 milliards en 2019.

« En réalité, la vraie question est de savoir si l'industrie de demain sera verte ou pas », avance un des promoteurs des fonds Tibi, créés pour financer les entreprises de technologie. « Au départ, l'objectif était d'être capable d'investir dans la tech. Après quelques années, nous sommes en train de flécher les encours des assureurs sur la Tech ». Un exemple à suivre pour la transition, mais à plus grande échelle.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 12/08/2023 à 15:10
Signaler
J'ai "fêté" ces jours-ci le cinquième anniversaire d'un investissement AV (en UC). Il m'avait été "conseillé" pour diversifier les fonds euros et on m'avait orienté vers un ISR (la loi rendant obligatoire la présence de fonds ISR dans les portefeuill...

à écrit le 05/07/2023 à 7:22
Signaler
"Banquiers et assureurs restent prudents sur l’idée de pouvoir flécher l’épargne des Français" On s'en doute mais on ne vas pas le dire aux gens comme d'habitude. 25% de l'argent de la finance est lié à l'économie du crime sans que l'on puisse le dis...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.