Avec ses laits départementaux, la fromagerie Delin fait le pari de la proximité

Comment faire face au marché fluctuant des matières grasses laitières, sous tension depuis quelques années, lorsque l’on produit des fromages, a priori gourmands en crème ? En produisant son propre lait ! C’est la stratégie adoptée par la fromagerie Delin, située à côté de Dijon qui a lancé son lait 100% Côte-d’Or en juin dernier.
Les laits départementaux fondés par Philippe Delin.
Les laits départementaux fondés par Philippe Delin. (Crédits : Amandine Ibled)

Lait sans lactose, lait de montagne, lait de vache, de brebis, lait local... Il suffit de regarder un rayon de supermarché pour se rendre compte de la multitude de laits proposés aux consommateurs français. « En France, nous avons une plus forte segmentation que dans les autres pays européens parce que cela correspond aux attentes particulières des consommateurs de lait », explique François-Xavier Huard, président directeur général de la Fédération nationale des industries laitières (FNIL). « Le segment du marché local est en forte progression sur le marché du lait, qui lui-même, est un peu en décroissance actuellement », poursuit-il. Ce dernier observe que plusieurs laiteries comme la fromagerie Delin, mais d'autres avant, tels que Le Bon Lait Mayennais, le Lait de 5 fermes d'Ile-de-France et d'Eure-et-Loir, ou encore Lactalis avec le lait des 20 fermes, se lancent dans les laits départementaux.

Cette stratégie du lait local répond à un besoin des consommateurs, de soutenir une économie de proximité, mais également pour contrebalancer d'autres marchés en recul, comme le bio. Selon la FNIL, la consommation de produits laitiers bio se situe à un niveau équivalent à mi-2017. Elle a baissé de 11% en 2022, alors que la collecte a crû de + 55% entre temps.

Sur 12 millions de litres de lait collectés pour les besoins de la fromagerie, 3 millions de litres de lait sont conditionnés en briques de lait UHT.

Un marché des matières grasses laitières difficile à gérer

« Le prix du beurre est monté très haut en 2022, à quasiment 7.500 euros la tonne, mais nous sommes redescendus à 4.900 euros la tonne en mai dernier », remarque François-Xavier Huard. Des variations de cours qui sont récurrentes mais compliquées à gérer pour les entreprises. « Le manque de matières grasses laitières est un phénomène cyclique, qui se produit environ tous les 10, 12 ou 15 mois », observe Philippe Delin, président de la fromagerie éponyme (30 millions d'euros de chiffre d'affaires, dont 35% à l'export) qui connait une croissance de 10 à 20% chaque année depuis 2000, date à laquelle ce dernier a repris l'entreprise familiale. Cet été, deux de ses fournisseurs l'ont déjà prévenu : « Il y aura des difficultés d'approvisionnement d'ici la fin de l'année ».

De son côté, la Fédération nationale des industries laitières (FNIL) ne se veut pas alarmiste mais s'inquiète tout de même sur la baisse constante de production de lait en France : « Cette année, nous observons une baisse de volume de lait produit en France allant de -2% à -2,5%. Ce qui n'est pas une dynamique positive et favorable », note François-Xavier Huard. Coutumier de ces fluctuations de marché, Philippe Delin réfléchit depuis 2019 à un moyen de produire lui-même cette crème indispensable à la fabrication de ses fromages.

Le chef d'entreprise lance alors « le lait de Bourgogne-Franche-Comté » en 2019. Comme il existe plusieurs lignes de conditionnement en France mais pas en Bourgogne-Franche-Comté, ce lait sera conditionné hors région (près de Niort). Sur 12 millions de litres de lait collectés pour les besoins de la fromagerie, 3 millions de litres de lait sont conditionnés en briques de lait UHT.

6,5 millions d’euros pour une ligne de conditionnement de lait

 Du lait régional aux laits départementaux

« Je me suis rappelé le succès de la marque Savoir-faire 100% Côte-d'Or avec un de nos fromages et l'idée a germé de décliner ce concept avec le lait », confie Philippe Delin. « Le lait départemental est un plus petit échelon que le lait régional, cela permet de s'identifier plus facilement », poursuit-il. En mai 2022, la fromagerie Delin lance ses premiers laits départementalisés, en commençant par un 100% Côte-d'Or. L'industriel teste pendant plusieurs mois le produit en gardant un conditionnement hors région. « L'objectif a toujours été de conditionner en Côte-d'Or mais avant de pouvoir se lancer dans un tel investissement, il fallait "amorcer la pompe", c'est-à-dire avoir un volume suffisant », explique Philippe Delin. Le 100% Côte-d'Or a connu l'engouement espéré, au détriment de la marque régionale estampillée Bourgogne-Franche-Comté. « Les consommateurs reviennent aux produits locaux, de forte proximité », poursuit-il. D'autant plus que les laits départementaux seraient « plus crémeux et plus goûteux », selon les retours des consommateurs auprès du fromager. Des propriétés gustatives qui pourraient s'expliquer par un meilleur conditionnement. « Le lait départemental est stérilisé à température faible et nous prenons le temps de le tourner, à 8.000 litres par heure, alors que dans les grands groupes industriels, la moyenne est autour de 40.000 à 50.000 litres par heure », précise Philippe Delin.

Le lait départemental est un plus petit échelon que le lait régional, cela permet de s'identifier plus facilement

6,5 millions d'euros pour une ligne de conditionnement de lait

La crise sanitaire et la crise du prix du lait en 2022 contribuent à renforcer la détermination du chef d'entreprise dans l'auto-approvisionnement et la proximité. Début 2023, la fromagerie a investi plus de 6,5 millions d'euros (4 millions d'euros de matériels et 2 millions d'euros pour l'extension de bâtiment de 1.500 m2), dont 40% subventionnés par la région, dans la construction d'une ligne de conditionnement UHT qui sera opérationnelle d'ici peu. Cela permettra la création de cinq emplois. La commercialisation a commencé en juin dernier. « Nous allons traiter un million de litres de lait 100% Côte-d'Or en 2024 », confie Philippe Delin. Le fromager travaille avec 32 producteurs sur toute la région, dont six en Côte-d'Or. Ce dernier prévoit de collecter 4 millions de litres de lait en Saône-et-Loire et 3,5 dans le Jura (dont la production de briques de lait départemental a débuté le 15 juillet).

Objectif 2024 : traiter entre 8 et 10 millions de lait UHT afin d'acquérir plus de 50% d'autonomie en matière grasse nécessaire à la production de fromages. Un chiffre qui devrait être atteint puisque les laits départementaux semblent déjà avoir séduit la grande distribution. La fromagerie Delin est en cours de signature avec une grande enseigne nationale de distribution afin de commercialiser, à compter du 1er janvier 2024, plus de six millions de litres de laits départementaux, en marque propre, dans ses magasins de la région Bourgogne-Franche-Comté.

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