Daniel Kretinsky au chevet de Casino, étranglé par sa dette

Le groupe de distribution en difficultés a reçu une proposition d'augmentation de capital du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, une piste alternative, voire complémentaire, aux discussions sur un rapprochement avec Teract, qui intéresse aussi Intermarché. Le PDG emblématique de Casino Jean-Charles Naouri pourrait perdre le contrôle de son groupe, perclus de dettes.
Le distributeur est sous la pression de ses propres créanciers, et surtout de ses pertes depuis plusieurs années : 883 millions d'euros en 2020, 514 millions d'euros en 2021, 316 millions d'euros en 2022.
Le distributeur est sous la pression de ses propres créanciers, et surtout de ses pertes depuis plusieurs années : 883 millions d'euros en 2020, 514 millions d'euros en 2021, 316 millions d'euros en 2022. (Crédits : STEPHANE MAHE)

Longtemps, Jean-Charles Naouri a été admiré comme un prodige de l'ingénierie financière. Sans grande fortune personnelle, l'ancien haut fonctionnaire a constitué une multinationale de la distribution à partir des années 1990. L'édifice, construit sur une importante dette, menace désormais de s'effondrer sur son architecte, et d'emporter dans sa ruine toute une galaxie d'enseignes : Monoprix, Franprix, Casino, Naturalia...

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La proposition de Daniel Kretinsky, allié à Marc Ladreit de Lacharrière, d'une augmentation de capital d'1,1 milliard d'euros de Casino - soit près de deux fois la capitalisation boursière du groupe, tombée à 690 millions d'euros aujourd'hui - pourrait apporter de l'argent frais, en même temps qu'un nouveau pouvoir actionnarial. Et ainsi contraindre Jean-Charles Naouri à renoncer à sa participation majoritaire.

Ce dernier contrôle le groupe Casino, dont il est PDG et actionnaire majoritaire à 51,7%, au travers d'une nébuleuse de holdings. Parmi elles, la maison-mère de Casino Rallye affiche une dette nette de 2,8 milliards d'euros fin 2022, quand celle du groupe Casino culmine à 6,1 milliards d'euros.

Hausse des taux et résultats dans le rouge

Jean-Charles Naouri s'active de longue date à éteindre les soupçons d'insolvabilité qui entourent Casino pour apaiser ses créanciers et les marchés. Mais la fragilité de son empire, perclus de dettes, n'est plus ignoré de personne. Depuis 2020, Rallye suit une procédure de sauvegarde sous le contrôle du tribunal de commerce de Paris pour rembourser ses dettes, supposément grâce aux dividendes attendus de Casino et à la cession d'actifs.

« Naouri a repris Casino en 25 ans avec une cascade de holdings et une montagne de dettes. Aujourd'hui, il peut perdre le contrôle de son groupe à tout moment. Pour tenir, il faudrait un environnement financier favorable, ce qui n'est plus le cas avec la hausse des taux, et des entreprises qui génèrent des résultats conséquents », analyse un consultant, fin connaisseur de la grande distribution.

Las, les difficultés de Casino l'empêchent de venir au secours de sa holding Rallye. Le distributeur est sous la pression de ses propres créanciers, et surtout de ses pertes depuis plusieurs années : 883 millions d'euros en 2020, 514 millions d'euros en 2021, 316 millions d'euros en 2022. Une chute qui accompagne celle de sa part de marché en France, qui représente plus de la moitié de ses ventes. Cumulée à toutes les enseignes du groupe, elle est en effet passée de 11% avant la pandémie à 6% en mars, dégringolant de la 4ème à la 7ème enseigne en France. Ces piètres performances ont récemment coûté sa place à la directrice générale Tina Schuler.

Vente à la découpe des actifs

« Le groupe Casino est en panne totale de stratégie commerciale, perdant des parts de marchés sur tous les segments et toutes les enseignes. Certaines sont en difficulté pour des raisons structurelles comme les magasins Casino, qui souffrent d'un déficit d'image. D'autres se sont bien relancées il y a une dizaine d'années, comme Franprix ou Monoprix. Malheureusement, le remboursement de la dette du groupe Casino et de Rallye engloutit tout le cash. C'est autant d'argent qui ne va pas dans les investissements en magasin », observe le consultant, spécialiste du secteur, qui souligne le « turnover très impressionnant » parmi les managers, lié selon lui à « une gestion erratique », y compris sur la politique de prix, dictée par les échéances de dette.

Casino multiplie des projets d'alliance, sans qu'on sache s'il s'agit simplement de faire entrer de l'argent frais ou d'esquisser un nouveau modèle. Début février, Casino a annoncé des négociations exclusives avec Teract, jeune entité mais propriété du mastodonte de l'agro-industrie InVivo, qui rassemble 188 coopératives agricoles françaises. Casino et Teract souhaitent conclure cette année la création de deux sociétés distinctes, l'une dans la distribution, l'autre dans l'approvisionnement, pour former « un leader français de la distribution responsable et durable », à la manière de Grand Frais.

Intermarché entre dans la danse

Or, ce lundi, le groupement de magasins indépendants Intermarché, un des trois principaux acteurs de la distribution en France derrière E.Leclerc et Carrefour mais devant Casino, a rejoint ces « discussions exclusives » entre Teract et Casino. Les discussions portent sur le rachat par Intermarché « sur plusieurs années et à prix de marché » d'un certain nombre de magasins appartenant à Casino par Intermarché, qui souhaiterait également profiter d'un accord d'achat avec Teract.

Pour l'instant, Casino vend à la découpe ses actifs les plus valorisables. Le fournisseur d'énergie GreenYellow a ainsi été cédé pour 1,4 milliard d'euros en juillet 2022, puis quelques semaines plus tard Sarenza.13% du capital de la pépite brésilienne Assai sont également en cours de session depuis mars pour 600 millions de dollars.

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Au total, le programme de cession engagé depuis 2018 a rapporté 4,1 milliards d'euros. Cela suffira-t-il à apurer la dette colossale de Casino et Rallye ? Rien n'est moins sûr. En mars, Rallye a admis devoir rediscuter avec ses créanciers les délais de remboursement de sa dette, théoriquement arrêtés à 2025. Deux jours plus tard, l'agence Moody's a dégradé la note de crédit de Casino à la suite des mauvais résultats 2022, exprimant des doutes quant à son chiffre d'affaires en 2023.

Kretinsky, des investissements tous azimuts

Le Tchèque se trouve à la tête d'un empire économique estimé à 8,5 milliards d'euros selon Forbes, bâti dans l'énergie, notamment les mines et les centrales à charbon. Depuis 2018, sa fortune lui a déjà permis d'entrer au capital de nombreuses entreprises françaises, dans les médias (Marianne, Elle, Télé 7 jours, Franc-Tireur, Le Monde, TF1...), la distribution (Fnac Darty et Casino, dont on a appris lundi qu'il souhaitait en prendre le contrôle) et l'industrie (essentiellement dans l'énergie).

Le francophile - et francophone - de 47 ans, décrit comme discret et travailleur, s'apprête désormais à reprendre la maison d'édition Editis au géant des médias Vivendi, et a renfloué Libération avec un prêt de 15 millions d'euros. Ailleurs, le milliardaire multiplie aussi les investissements tous azimuts, dans les clubs de football comme le Sparta Prague dans son pays d'origine ou West Ham en Angleterre.

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Commentaires 3
à écrit le 25/04/2023 à 8:19
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Et le tribunal de commerce de paris a accepté la sauvegarde …!!!! au prétexte des attaques de vendeurs à découvert…! Alors que les difficultés de casino viennent uniquement de l endettement de Rallye ! De qui se moque t on ! C est ça la justice franç...

à écrit le 25/04/2023 à 5:04
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Boycott de toutes ces marques boiteuses.

à écrit le 24/04/2023 à 19:09
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C'est comme dans Lucky Luke, les volatiles tournent dans le ciel "au chevet" du bétail déshydraté.

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