Le secteur de l'habillement touché par une crise impitoyable

Les défaillances d’entreprises explosent, les fermetures de magasins se multiplient et les suppressions d’emplois se comptent par dizaines de milliers.
Pandémie, inflation, nouvelles habitudes de consommation comptent parmi les facteurs de ce revers de fortune.
Pandémie, inflation, nouvelles habitudes de consommation comptent parmi les facteurs de ce revers de fortune. (Crédits : © ALEXIS CHRISTIAEN/VOIX DU NORD/MAXPPP)

Plus de 1000 entreprises concernées. Une hausse de 51,3 % en un an, bien plus forte que celle des défaillances enregistrées dans l'ensemble du secteur du commerce, à 31,76 %. Plus de 4 000 emplois perdus en un an. Et 37 000 volatilisés en dix ans. Plans sociaux, procédures de sauvegarde, redressements judiciaires et liquidations directes se succèdent dans l'habillement (prêt-à-porter pour hommes, femmes et enfants, lingerie, chaussures), entraînant la disparition de magasins dans les centres-villes comme en périphérie.

Lire aussiPrêt-à-porter : à Lisieux, « la crainte de l'effet boule de neige »

Un des pires millésimes en trente ans en France, avec une baisse de chiffre d'affaires de 3,5 % par rapport à celui de 2022, et de 9 % en comparaison avec celui de 2019. « Un séisme » pour Yann Rivoallan, président de la Fédération française du prêt-à-porter, qui redoute qu'il ne se prolonge en 2024, comme le démontre le passage au tribunal de commerce ces derniers jours de Burton of London (250 salariés). Ou les réductions d'effectifs envisagées par IKKS, tandis que la liquidation de ChaussExpo (732 salariés) pourrait être effective dès le 15 mars.

Les codes ont évolué

Si la crise se révèle si violente dans ce secteur où se sont construites des fortunes spectaculaires en des temps records jusque dans les années 2000, c'est à la fois parce que ses origines sont anciennes et ses facteurs multiples.

« Les faiblesses se sont manifestées bien avant la pandémie et la résurgence de l'inflation, estime Yohann Petiot, directeur général de l'Alliance du commerce. Le changement des habitudes de consommation, dû aux nouveaux arbitrages budgétaires des acheteurs entre loisirs, abonnements numériques, téléphonie, s'observent depuis vingt ans. »

S'y sont ajoutés l'évolution des codes de l'habillement - notamment sur le lieu de travail -, le choix des sneakers aux dépens des chaussures classiques, l'engouement pour les achats en ligne, le développement du travail à distance et la croissance des achats de vêtements d'occasion (un marché estimé à 6 milliards d'euros, dominé par Vinted), ces trois derniers considérablement dopés par les confinements de 2020 et de 2021.

Le modèle de réseaux dotés de plus de 500 points de vente, aux loyers élevés et aux stocks importants n'est plus viable

François Desprat, président du CNAJMJ

« Le modèle de réseaux commerciaux dotés de plus de 500 points de vente, aux loyers élevés et aux stocks importants, à l'image de ceux de Camaïeu ou d'IKKS, n'est plus viable », alerte François Desprat, président du Conseil national des administrateurs et des mandataires judiciaires (CNAJMJ). D'autant moins qu'après les ravages commis par des fonds d'investissement « vautours », éphémères « sauveurs » de marques en péril (le groupe Vivarte, qui a compté jusqu'à 22 000 salariés, en a été l'une des plus importantes victimes, en 2015), des repreneurs sans scrupule et surtout sans réels moyens financiers sévissent désormais dans le secteur.

Bouleversements majeurs

« L'argent sert éventuellement à un développement non maîtrisé, jamais à la rénovation ou à la mise en place d'un plan stratégique », regrette Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos (Fédération pour la promotion du commerce spécialisé), qui note l'omniprésence des mêmes acteurs dans des dossiers de reprise de marques exsangues. Or les bouleversements majeurs en cours nécessitent des refontes complètes du marketing comme du design, tant en ligne qu'en magasins, pour préserver les ventes.

« C'est indispensable, renchérit Emmanuel Le Roch, puisque les factures énergétiques ont grimpé, alors que les salaires ont été augmentés face à l'inflation. La rentabilité d'un point de vente devient un objectif de plus en plus complexe à atteindre. »

Lire aussiPrêt-à-porter : inflation, fast fashion... La « correction n'est pas terminée » pour le milieu de gamme

« Trois chiffres illustrent la révolution subie par l'ensemble du secteur, détaille Yann Rivoallan. Shein propose 8 000 nouvelles références par jour sur son site, fréquenté quotidiennement par 2,6 millions de personnes en France, tandis que 3 millions se connectent à la même fréquence sur Vinted, le premier site de "seconde main". » Shein [prononcé chi' ine], le mastodonte chinois créé en 2008 qui a ouvert son site en France en 2009, trône au sommet de ce que les experts nomment l'« ultra fast fashion ». Un segment du marché en pleine explosion qui menace certains de ses concurrents de la fast fashion traditionnelle, comme le suédois H&M, à la peine en Europe depuis quelques années, à l'inverse de l'espagnol Zara (groupe Inditex), dont les bénéfices réalisés pendant les neuf premiers mois de 2023 ont dépassé les 4 milliards d'euros.

La mécanique de Shein repose sur une offre gigantesque, pas chère et constamment renouvelée, comme chez son rival Temu, également chinois, avec des conditions de production dénoncées par les ONG et les experts de la responsabilité sociale et environnementale (RSE). « Sur un réseau social comme TikTok, des jeunes consommateurs disent acheter pour 20 euros par jour sur Shein. D'où des montants cumulés qui excluent d'autres achats », complète le patron de la Fédération du prêt-à-porter.

Lire aussiPrêt-à-porter : ces villages de marques qui ne connaissent pas la crise

Pour certaines enseignes, y compris dans le « luxe accessible », dont les étiquettes ont bondi depuis la pandémie, la sanction est lourde : les consommateurs fuient. Parfois définitivement. Même le groupe SMCP (Sandro, Maje, Claudie Pierlot, Fursac), une ex-pépite, a vu ses profits plonger de 32 % en 2023. « Le rapport qualité-prix est au cœur de notre succès, souligne Axelle Mathery, directrice générale de Maison 123 (groupe Etam). Nous avons 131 boutiques en France, avec un positionnement clair. Nous connaissons nos clientes et nous élaborons nos collections en fonction de leurs désirs. » Maison 123 a réalisé un bénéfice opérationnel en hausse de 10 % en 2023, multiplié par six en trois ans. « Mais être un distributeur de mode ne se résume pas à une formule magique sur Excel », ironise la dirigeante. ■

Principales défaillances dans le secteur depuis fin 2022

Burton of London (février 2024)

IKKS (février 2024)

Minelli (janvier 2024)

Maison Lejaby (janvier 2024)

Kookaï (novembre 2023)

Dont' call me Jennyfer (octobre 2023)

Naf Naf (octobre 2023)

Du pareil au même (juin 2023)

Go Sport (mai 2023)

Pimkie (février 2023)

Gap France (février 2023)

San Marina (février 2023)

Camaïeu (septembre 2022)

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 6
à écrit le 19/02/2024 à 10:08
Signaler
"Le changement des habitudes de consommation, dû aux nouveaux arbitrages budgétaires des acheteurs entre loisirs, abonnements numériques, téléphonie, s'observent depuis vingt ans." Sans oublier la flambée du logement qui saigne les jeunes alors que l...

à écrit le 18/02/2024 à 11:13
Signaler
Toutes ces enseignes en difficulté sont détenues par des fonds d'investissement qui ne comprennent rien au commerce pour eux seul compte la marge nette là où le commerçant raisonne clientèle .Vous rajoutez que ces fonds ne sont que de passage , 4 ou ...

le 19/02/2024 à 11:03
Signaler
"Pourquoi Zara réussit là où tant d'autres échouent ?" Zara est une une des enseignes ayant inventé la "fast fashion", un renouvellement rapide des collections pour plaire aux jeunes CSP+ des grandes métropoles voulant se faire mousser sans pour auta...

le 20/02/2024 à 9:28
Signaler
auquel il faut rajoute la qualité des tissus indigne des coloris infecte plus la vision écolos qui détruit le peut qui reste depuis les années 70 combien l'écologie a détruit d'emploi en France tout secteur confondu avec le consentement des pouvoi...

à écrit le 18/02/2024 à 10:56
Signaler
"vanted m'a tué"

à écrit le 18/02/2024 à 8:34
Signaler
C'est pas les codes qui en sont à l'origine c'est le pouvoir d'achat en berne général qui impose aux gens de sélectionner mieux leurs achats. C'est la crise tout simplement. Nos dirigeants sont nuls et c'est tout hein.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.