Prêt-à-porter : inflation, fast fashion... La « correction n'est pas terminée » pour le milieu de gamme

Pénalisée par un contexte économique toujours marqué par l'inflation, la consommation d'habillement textile, en particulier de moyenne gamme, devrait, de nouveau, reculer cette année, selon le rapport de l'Institut français de la mode, paru ce jeudi. D'autant que ses marques font face à une concurrence croissante, notamment de la fast fashion toujours plus agressive. Pour autant, certaines enseignes parviennent à tirer leur épingle du jeu.
Coline Vazquez
Une boutique fermée dans le centre d'Avignon, dans le sud de la France en 2022 (photo d'illustration).
Une boutique fermée dans le centre d'Avignon, dans le sud de la France en 2022 (photo d'illustration). (Crédits : Sandrine Marty / Hans Lucas via Reuters Connect)

2023 fut une année sombre pour le prêt-à-porter. De placements en redressement judiciaire aux faillites, nombreuses sont les enseignes qui ont été confrontées à de sérieuses difficultés. Dernière en date ? La marque française Burton of London. Elle a été placée en liquidation judiciaire mardi dernier. Et 2024 ne s'annonce pas sous de meilleurs auspices. C'est ce que révèle l'Institut Français de la Mode dans son bilan annuel présenté ce jeudi.

La consommation d'habillement et textile pourrait ainsi chuter de 1%, estime-t-il dans son rapport en 2024. L'année passée déjà, les ventes se sont repliées de 1,3% en valeur et de 4% en volume par rapport à 2022. Au regard des chiffres de 2019, la chute est de 5,6%.

En cause, une croissance du Produit intérieur brut (PIB) en berne. Selon l'Insee, elle devrait atteindre seulement 0,4% pour les deux premiers semestres de l'année en cours. « Dans un contexte économique qui stagne, l'activité de la mode ne fait pas exception », analyse Gildas Minvielle, le directeur de l'Observatoire économique de l'IFM. D'autant que l'inflation, si elle a ralenti depuis le pic atteint en 2022 (5,9%) atteignant 5,7% en 2023, selon l'indice des prix harmonisé (IPCH) publié par la Banque de France en décembre dernier et devrait chuter à 2,5% en 2024, continue de peser sur le portefeuille des ménages.

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« Or, dans un contexte économique difficile, les arbitrages réalisés par les consommateurs se font au détriment de la mode qui, pour une partie d'entre eux, constitue, en effet, une variable d'ajustement », analyse Gildas Minvielle.

Ainsi, en 2023, selon l'enquête Tendances de consommation réalisée par le Credoc, en juillet dernier et citée par le rapport de l'IFM, 42% des sondés ont affirmé s'être imposé des restrictions dans leurs achats de vêtements, ce poste de dépenses étant le premier à souffrir, ex aequo avec les loisirs, suivis des vacances (40%), de l'épargne (35%).

Une concurrence exacerbée

Une situation qui touche particulièrement le prêt-à-porter de milieu de gamme. Ce dernier subit de plein fouet la concurrence de la fast fashion. Pour rappel, elle se caractérise par un renouvellement quasi-constant des collections, mais surtout des prix ultra bas.

Les articles du milieu de gamme sont ainsi devenus trois fois plus chers que ceux d'enseignes de e-commerce comme Shein ou encore, plus récemment, Temu, estime l'IFM qui relève que le rapport qualité-prix du milieu de gamme a perdu de son attractivité face à une multiplicité de concurrents. Dans les années 1990, ce sont d'abord les géants européens H&M et Zara qui se sont imposés en France, puis ce fut l'arrivée dans les années 2000 d'Uniqlo, de Primark dans les années 2010 et enfin la fast fashion dans les années 2020.

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Autre concurrence qui émerge des résultats de l'Institut français de la mode : celle de la grande distribution. Et pour cause, elle n'a cessé de développer son offre de prêt-à-porter. Dans le top 15 des enseignes les plus fréquentées en 2023 figurent ainsi Leclerc et Carrefour respectivement en huitième et dixième positions. De même, le hard discounter Lidl s'est glissé à la 13e place. « Quand on regarde le classement, il y a des enseignes premiums comme Lacoste, d'autres à petits prix comme Kiabi ou encore C&A, mais il n'y en a pas de milieu de gamme », résume Gildas Minvielle.

Quant au classement des 15 sites internet les plus fréquentés, il laisse apparaître un autre concurrent de taille : la seconde main. Le site spécialisé Vinted se hisse à la deuxième place derrière Amazon, devançant même Shein.

Trop d'ouvertures de magasins

Au-delà de la multiplication du nombre d'acteurs sur le marché de l'habillement, le directeur de l'observatoire économique de l'IFM pointe les choix faits par les enseignes du milieu de gamme. Ces derniers ont entrepris d'étendre leur parc de magasins en dépit des difficultés que rencontrait déjà le secteur vers 2007, 2008 et alors que dès 2013, la vente en ligne a connu un véritable essor. En 2022, le nombre d'ouvertures par ces chaînes spécialisées est repassé sous la barre des 20.000. Un seuil qui n'avait pas été atteint depuis 12 ans.

Autre chiffre pointé par l'IFM : le milieu de gamme représente plus de 50% du parc des chaînes d'enseignes spécialisées, contre 15% pour l'entrée de gamme et 29% pour le premium. « Les réseaux de chaînes de magasins ont continué d'en ouvrir avec un pic en 2016 ce qui a créé une offre surdimensionnée dans un contexte où les pure players ont commencé à gagner des parts de marché », analyse Gildas Minvielle. Selon lui, les difficultés que connaît actuellement ce secteur constituent donc, en partie, « une correction, un rééquilibrage face à un trop grand nombre de magasins. Autrement dit, c'est la conséquence de cette stratégie d'ouvertures de magasins qui n'a pas été la bonne ».

« Et malheureusement, cette correction n'est pas terminée », prédit-il.

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Pour autant, la moyenne gamme n'est pas la seule à faire les frais d'un contexte économique difficile couplé à une concurrence exacerbée et des stratégies passées aux conséquences préjudiciables, rappelle le directeur de l'observatoire. Ce dernier cite également quelques enseignes au positionnement plus premium, soit aux prix plus élevés, comme Comptoir des cotonniers qui a vu plusieurs de ses magasins être fermés en juin dernier ou encore IKKS qui envisage de le faire.

Le sport tire son épingle du jeu

Certaines marques parviennent néanmoins à tirer leur épingle du jeu. C'est notamment le cas de Kiabi. L'entreprise a vu son chiffre d'affaires grimper de 10% en 2022. Résultat, il se hisse au deuxième rang du classement de l'IFM des enseignes les plus fréquentées ainsi qu'à la sixième place des sites internet les plus consultés. Les ingrédients du succès ? Son choix de miser sur la vente de produits d'occasion, notamment, qu'elle a développée depuis 2020, ainsi que la location de vêtements et l'écoconception.

Les enseignes d'habillement sportif semblent, elles aussi, braver la crise. Decathlon culmine ainsi à la première place des enseignes les plus fréquentées, en Ile-de-France comme dans le reste de la France et à la troisième place des sites de e-commerce les plus visités. « C'est une tendance de fond » qui s'explique, selon Gildas Minvielle, par l'importance prise, auprès des consommateurs, par les sneakers, baskets et autres tennis face au déclin d'enseignes comme Minelli ou encore San Marina.

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Le directeur de l'Observatoire économique de l'IFM, bien qu'anticipant une année 2024 globalement encore marquée par la crise que subit le prêt-à-porter, en particulier de milieu de gamme, se veut pourtant optimiste quant à l'avenir de celle-ci à plus long terme et à sa place sur le marché. Il s'inquiète toujours du contexte économique actuel, et que celui-ci favorise encore davantage la fast fashion au détriment d'une exigence d'éco-responsabilité.

Coline Vazquez

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Commentaires 3
à écrit le 15/02/2024 à 21:38
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" A tirer leur épingle du jeu." jolie pour un article sur le textile..

à écrit le 15/02/2024 à 14:35
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Il n'y a pas de secret, la clientèle solvable vieillit alors que la jeune clientèle est friande d'ultra-fast fashion, du premier prix vendu directement par Internet et livré par des auto-entrepeneurs...

à écrit le 15/02/2024 à 10:08
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Hé oui car cette industrie ultra polluante, tout comme l'agro-industrie, est légale ! Transition écologique disent ils ? Mais où !? Tout va bien.

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