A Cuba, les chambres chez l'habitant sont devenues un marché concurrentiel

Airbnb débarque en avril dans l'île caribéenne. La location de logements aux touristes y constitue une ressource essentielle depuis des décennies. Mais l'offre étant désormais pléthorique, promouvoir son logement sur internet pourrait faire la différence. C'est ce dont témoigne Migdalia, pionnière de l'hébergement collaboratif.
Une rue de La Havane.

"Vraiment, un site américain? Que bueno! Je vais regarder..." Pour Migdalia, qui loue deux chambres dans sa maison à proximité de l'artère principale de Camagüey, ville de 325.000 habitants au centre de Cuba, la nouvelle de l'arrivée d'Airbnb dans l'île constitue une promesse, dont elle n'arrive toutefois pas encore à mesurer clairement l'impact potentiel.

Détentrice avec son mari Manolo - récemment décédé - de la première licence de casa particular de la ville, elle ouvre son foyer aux touristes depuis déjà 18 ans. Et affiche complet depuis longtemps.

Une activité légalisée en 1997

L'aventure, qui a changé la vie du couple cubain, a commencé en 1997 par un bouche-à-oreille fruit du hasard, juste avant que l'activité de location de chambres chez l'habitant ne soit légalisée. Frappée par la chute du bloc soviétique, qui avait jusqu'au début des années 1990 soutenu artificiellement l'économie cubaine, l'île communiste des Caraïbes commençait tout juste à sortir d'une période de pénuries.

Alors que les touristes et leurs devises commençaient à affluer, les hôtels n'étaient pas suffisamment nombreux, performants et bon marché pour les accueillir. "Ceux-ci s'adressaient ainsi spontanément aux particuliers", raconte Migdalia. Le gouvernement a fini par autoriser officiellement un commerce qui s'était déjà imposé dans les faits.

Huit dollars de salaire mensuel

Au bout de seulement trois ans, Manolo et Migdalia ont d'ailleurs décidé de se consacrer entièrement à la location de chambres, les gains rapportés par cette activité étant sans commune mesure avec les salaires perçus en tant qu'employés des chemins de fer de l'Etat. "J'étais payée 8 dollars par mois, mon mari 12. Or, quand on a commencé à proposer nos chambres, on pouvait déjà les louer chacune à 10 dollars la nuit", se souvient Migdalia. "Nous avons ainsi pu repeindre la maison, installer la climatisation, offrir un meilleur niveau de vie à nos trois enfants, et surtout enfin visiter notre famille aux Etats-Unis", souligne-t-elle. Ils ont en outre pu employer une personne pour effectuer le ménage.

Une bureaucratie écrasante

Mais le chemin n'a pas été dépourvu d'embûches, surtout bureaucratiques: nombreux documents à remplir, changements soudains des règles, contrôles... "Je dois tenir un fichier particulier même pour l'enseigne devant la porte", se plaint-elle.

Les pionniers cubains de l'aventure des casas particulares ont dû dès le départ surmonter un handicap considérable. Le gouvernement exigeait en effet 200 pesos convertibles (l'équivalent de 200 dollars) par mois par chambre, indépendamment du chiffre d'affaires et à partir du premier jour d'activité, raconte l'hôte. Pour s'approvisionner de détergents, électroménager etc. "de meilleure qualité", nécessaires, la petite entrepreneure a mis à profit une dizaine d'aller-retours aux Etats-Unis.

Une concurrence de plus en plus féroce

Aujourd'hui, l'activité se révèle néanmoins plus simple. Les taxes exigées ont progressivement baissé, pour  s'établir à 35 euros par chambre par mois, plus 10% du chiffre d'affaires, rapporte Migdalia. Si jusqu'en 2011, il n'était possible de louer que deux chambres dans sa maison, Raul Castro a levé cette limite.

Le revers de la médaille est que la concurrence est devenue féroce, d'autres particuliers décidant de se lancer dans le commerce - les premiers trois mois d'activité sont désormais défiscalisés - ou de s'agrandir: "Certains louent jusqu'à 6-7 chambres", note-t-elle.

En outre, les hôtels et les paquets "all inclusive" se multiplient, alors que le nombre de touristes ne croît pas en proportion. Les prix des casas particulares n'ont quasiment pas augmenté à Cuba en l'espace de six ans.

Des formes d'arnaques, aux frais des touristes comme des petits entrepreneurs,  commencent aussi a voir le jour, que l'Etat ne semble avoir la capacité - ou la volonté - de réprimer. Et si les particuliers peuvent désormais souscrire directement des contrats avec des agences touristiques, "cela aide peu à développer les affaires", estime Migdalia.

Les promesses du tourisme

Cette dernière arrive néanmoins toujours à louer ses deux chambres pendant environ 24 jours par mois, et à fournir du travail à temps plein à sa fille et à son gendre, qui ont également quitté leurs emplois publics pour se consacrer entièrement à cette activité. Elle se montre même optimiste: "La rénovation progressive de Camaguey et des autres villes cubaines classées patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco va attirer de plus en plus de touristes", espère-t-elle.

Quant aux Américains qui pourraient déferler grâce à l'ouverture amorcée par Barack Obama, réputés particulièrement exigeants?"Nous y sommes préparés, car nous en recevons déjà qui viennent à Cuba via d'autres pays", rappelle-t-elle.

L'internet, un enjeu concurrentiel

La possibilité de promouvoir son activité et d'établir un contact préalable avec ses clients sur internet devient néanmoins à ses yeux un vrai enjeu concurrentiel. C'est aussi une garantie pour les touristes. L'arrivée de sites tels qu'Airbnb est ainsi accueillie avec enthousiasme, même si Migdalia, de plus en plus sollicitée par divers opérateurs touristiques, ne parvient pas encore à tous les distinguer.

Ses yeux sont toutefois surtout rivés sur le gouvernement, qui a promis jeudi 2 avril de travailler "pour faire en sorte que les ressources informatiques et internet soient disponibles et accessibles à tous les Cubains" d'ici cinq ans, selon le portail d'informations pro-gouvernemental Cubadebate.

Pour l'instant, les Cubains ne peuvent y accéder qu'en se rendant dans des cyber-cafés très coûteux, gérés par la société d'Etat Etecsa, où grâce au support des rares personnes (3,4% des foyers en 2013, selon l'Union internationale des télécommunications) autorisées à avoir internet chez eux, parmi lesquelles les étrangers résidents dans l'île. Migdalia a la chance d'être aidée par une amie russe.

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Commentaires 2
à écrit le 14/04/2015 à 18:02
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L'arrivée de Airbnb va donner un peu d'ordre et d'organisation dans la location de casa par internet. Actuellement c'est l'ouverture à l'arnaque. De nombreux blogs ou sites personnels se sont créer pour proposer des chambres à la location par intern...

le 09/09/2015 à 23:43
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Quelques explications sont à apporter aux inepties que l'on peut lire de l'intervenant juste au dessus. Les propriétaires qui louent des chambres ou des casas n'ont pas à se sentir lié à un site ou une agence, et c'est la raison pour laquelle aucu...

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