Les hôtels face à la crise : cap sur le digital

TOURISME, ANNEE ZÉRO (2/2). L’épidémie de coronavirus a vidé les hôtels, du deux-étoiles de province au palace parisien. Les entreprises du secteur résisteront plus ou moins bien selon leur modèle économique, mais la casse risque d’être sévère chez les indépendants, malgré l'espoir d'une reprise de saison touristique. Pour les géants de l'hôtellerie, la réponse est à la fois sanitaire et digitale pour rassurer et faire revenir les clients.
La réservation directe via les sites Web des hôtels est une source de revenus plus intéressante car le coût d'acquisition client est inférieur à celui d'une franchise ou d'une OTA, et la marge est supérieure. C'est pourquoi certains acteurs comme Accor ont investi lourdement dans le digital.
La réservation directe via les sites Web des hôtels est une source de revenus plus intéressante car le coût d'acquisition client est inférieur à celui d'une franchise ou d'une OTA, et la marge est supérieure. C'est pourquoi certains acteurs comme Accor ont investi lourdement dans le digital. (Crédits : CHARLES PLATIAU)

Petit à petit, les hôtels accueillent à nouveau des clients. Durant le confinement, seuls 5% sont restés ouverts pour héberger les soignants et certaines populations en difficulté comme les enfants maltraités. « Depuis le déconfinement, on est passé à 15%-20% d'hôtels qui rouvrent et je compte sur 50% à partir du 3 juin. L'hôtellerie s'est mise en ordre de marche dès la première semaine avec des protocoles de désinfection et de nettoyage renforcés », explique Laurent Duc, président de la branche hôtellerie de l'UMIH, qui estime à 50% la perte de chiffre d'affaires du secteur pour 2020. Mais il n'y aura pas de casse sociale dans l'immédiat, selon Stéphane Botz, associé advisory Real Estate & Hotels chez KPMG France :

« Grâce aux aides de l'État et au chômage partiel, l'industrie est soutenue pleinement jusqu'à fin septembre, ce qui a permis de sauver une partie de l'emploi, particulièrement les saisonniers. »

L'hôtellerie n'est pas un secteur homogène et les business models sont différents. On trouve d'un côté les gros fournisseurs de services hôteliers ayant choisi le modèle « asset light », comme Accor ou Intercontinental. Ils ne sont pas propriétaire des murs, détenus par des fonds d'investissement ou des banques. Leur revenu est constitué de redevance et ils représentent 20% des hôtels en France. Quelques groupes, comme Louvre Hôtels (filiale de Jin Jiang International) possèdent encore des murs, mais ils sont de moins en moins nombreux.

De l'autre, des indépendants dont le chiffre d'affaires correspond à celui de l'hôtel. La majorité des hôtels du parc français sont de faible capacité avec 30 chambres en moyenne, et la rentabilité est donc plus compliquée à atteindre à cause de charges fixes élevées.

« Ce sont eux qui vont le plus souffrir de la crise, car ils ont des niveaux de marge beaucoup plus bas en raison des coûts du personnel et du foncier et, dans une moindre mesure, d'un RevPar [prix de vente moyen d'une chambre multiplié par le taux d'occupation moyen, Ndlr] plus faible », estime Antoine Lissorgues, Senior Manager Leader de la filière hôtellerie chez Mazars.

Les petits indépendants risquent donc de payer le plus lourd tribut à la pandémie.

« Il existe une génération prête à jeter l'éponge et à arrêter l'exploitation malgré leur passion du métier. Il y aura certainement des cessions à compter de 2021. Les indépendants sans enseigne sont un tissu qui subsiste encore en France mais qui risque de disparaître au bénéfice de groupes plus structurés qui ont su faire des économies d'échelle », ajoute Stéphane Botz, associé en charge du secteur tourisme et hôtellerie chez KPMG France.

Une reprise adossée à la demande domestique

Comme le rappelle Laurent Duc, « on sort d'une année difficile avec les Gilets Jaunes et la grève des transports en décembre. Le coup de massue risque d'arriver dans six mois ou un an ». Afin d'éviter ce scénario négatif, il réclame des baisses structurelles de loyer, des baisses de charges et une prise en charge du chômage partiel sur une plus longue durée.

Pour refaire leur trésorerie après réouverture, les hôtels vont devoir augmenter leur prix moyen, d'environ 5 à 10 euros selon le standing, d'après l'UMIH. Anton Lissorgues voit plutôt une baisse pour maîtriser le taux d'occupation.

« Pour autant, on ne peut pas baisser à outrance le prix moyen pour faire revenir les clients au risque de mettre en danger la solvabilité de l'hôtel » prévient-il.

De l'avis général des spécialistes de ce marché, la reprise, qui devrait être nettement plus lente qu'en 2009, passera par une demande domestique voire locale.

« Un hôtelier m'a expliqué qu'il allait rouvrir ses hôtels sur la Côte d'Azur en juin, mais pas à Paris car il n'y a pas de flux. On voit que la province est en train de bouger, par exemple le long des autoroutes dans les catégories super économique et économique. Sur les destinations balnéaires et de montagne, ils sont en train de se préparer à la réouverture » précise Stéphane Botz.


Ceux qui vivent essentiellement de la clientèle internationale, comme le segment des palaces et du très haut de gamme (400 établissements sur les 17.500 du parc français) auront plus de difficultés tant que le trafic aérien n'aura pas repris. Les hôtels de forte capacité accueillant des événements MICE (Meetings, Incentives, Conferencing, Exhibitions) sont eux très dépendants de la reprise économique, dont personne ne sait quand elle aura lieu. En revanche, les hébergements type résidences de tourisme ou appart-hôtels avec cuisine, en concurrence frontale avec les espaces de vie collaboratifs comme Airbnb, ont une vraie carte à jouer en période d'urgence sanitaire car les résidents sont autonomes et donc moins exposés au risque de contagion.

Airbnb fragilisé, Accor en première ligne

Airbnb subit le contrecoup de la pandémie et a licencié le 4 mai 25% de ses effectifs, soit 1.900 personnes. La licorne californienne envisage une perte de 50% de son chiffre d'affaires en 2020 et a repoussé son entrée en Bourse prévue cette année. Booking et Expedia, autres acteurs pure player du secteur, vivent des commissions élevées (15% à 25%) qu'ils prélèvent sur la vente de nuitées. Près des trois quarts des réservations d'hébergements sont effectuées via ces OTA (agences de voyage en ligne) qui pèsent à elles deux 70% du marché. Or, sans clients, ces revenus disparaissent.

Le montant de ces commissions est un sujet de friction récurrent depuis plusieurs années entre plateformes et hôteliers qui réclament une baisse significative.

« Je demande à ce que l'État torde le bras des opérateurs en ligne. Le Bon Coin, société française, paye autant par jour en impôt qu'Airbnb en un an ! Il faut instaurer un montant a minima et, s'ils proposent des services supplémentaires, nous les ajouterons à ce montant », détaille le président de la branche hôtellerie de l'UMIH.

La réservation directe via les sites Web des hôtels est une source de revenus plus intéressante car le coût d'acquisition client est inférieur à celui d'une franchise ou d'une OTA, et la marge est supérieure. C'est pourquoi certains acteurs comme Accor ont investi lourdement dans le digital.

Le fleuron français de l'hôtellerie devenu groupe international a été touché par la tempête Covid dès janvier à travers ses 350 hôtels chinois, puis a observé la pandémie se déplacer en Europe puis en Amérique Latine. « Il a fallu réagir vite et fort en apportant des réponses opérationnelles. J'ai fait beaucoup de réunions en télétravail avec un board toutes les semaines », explique Jean-Jacques Morin, directeur général adjoint et directeur financier. Le groupe a mis en place le plan ALL (Accor Live Limiteless), qui autorise une annulation complète et sans frais jusqu'au jour de l'arrivée pour les tarifs flexibles. Les clients qui ont réservé en non flexible pourront reporter leur réservation dans le même hôtel (dans les 18 prochains mois) ou recevoir un bon d'achat de la valeur totale de leur séjour pour une utilisation ultérieure. Les points de fidélité ont été prolongés jusqu'au 31 décembre 2021. Côté sécurité sanitaire, Accor a créé le label ALLSAFE avec Bureau Veritas. Le groupe a également renoncé à verser des dividendes.

L'après-Covid en question

Au 3 juin, plus de 900 hôtels sur les 1573 du parc français avaient rouvert.

« La question, c'est: à quelle vitesse le business va-t-il repartir? Le spectre d'une deuxième vague ne semble pas aujourd'hui un scénario plausible mais il reste dans l'esprit des gens. Dans notre métier, tout est basé sur la confiance. Si cette deuxième vague devient réalité, c'est à ce moment-là que nous aurons besoin de l'État de manière renforcée », estime chez Accor Jean-Jacques Morin, qui pense que l'industrie ne retrouvera pas son niveau de 2019 avant 2022.

Si le virus ne repart pas et que l'été se passe bien, la question de l'après-Covid va se poser rapidement.

« Les zones urbaines vont vraiment souffrir car le tourisme d'affaires ne reprendra pas avant septembre, et encore... S'il n'y a pas d'événements majeurs comme la Fashion Week et Roland Garros à Paris ou le Mipcom et le Festival du Cinéma à Cannes, la captation de clients, y compris européens, sera difficile. Heureusement, l'industrie possède une certaine forme de résilience et la reprise arrivera », assure Stéphane Botz.

Une analyse partagée par Antoine Lissorgues:

« C'est une industrie qui est très résistante aux chocs sur le moyen et long terme. Elle a subi la révolution de la distribution, celle des modes de consommation avec l'hébergement collaboratif et, à chaque fois, elle a réussi à les surmonter ».

Dans leurs établissements à moitié vide, les hôteliers croisent les doigts.

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ENCADRÉ

Des valeurs boursières dans la tourmente

Entre janvier et début mai, la valeur globale des groupes hôteliers sur les marchés a chuté de l'ordre de 35%. Mazars a réalisé une étude sur l'évaluation en temps de crise des actifs hôteliers.

« L'évaluation sert à aider à fixer les prix des valeurs et elle a aussi un impact comptable. Si les comptes montrent que les actifs de l'entreprise, en coûts historiques, présentent une valeur plus élevée que la valeur actuelle estimée du business, il faut alors les déprécier », explique Laurent Inard, associé.

Cette étude mesure l'intensité de la crise et sa durée estimée.

« Elle se base sur le futur tel qu'il était vu par les analystes financiers juste avant la crise.»

Sur l'année 2020, l'ampleur de la crise est extrêmement forte avec un consensus qui prévoit 50% de baisse des EBITDA (résultats opérationnels avant provisions et amortissement) du secteur hospitality, certaines sociétés étant même au-delà de 100%.

D'après Mazars, il faudra attendre deux ans et demi pour retrouver la performance qui aurait dû être celle de 2020 sans la pandémie. Le marché est encore plus prudent, et les analystes financiers ajoutent un an et demi de plus à cette prédiction.

Cette baisse des valeurs aura-t-elle un effet sur les transactions ?

« Les transactions de gré à gré ont beaucoup diminué. Les acheteurs ne se bousculent plus, et les vendeurs ne veulent plus vendre, sauf ceux qui n'ont malheureusement pas le choix du timing », analyse Laurent Inard.

La validité de ces estimations dépendra beaucoup des résultats de l'été à venir et de la durée effective de la crise. « En quelques années, des acteurs asset heavy ont acheté de nombreux murs et fonds de commerce, avec une tendance à une prime de risque de plus en plus faible. Peut-être que la crise les fera revenir sur cette orientation », conclut Anton Lissorgues, Senior Manager Leader de la filière hôtellerie. Les valeurs boursières du secteur risquent d'être chahutées pendant un bon moment.

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Commentaires 2
à écrit le 25/06/2020 à 17:58
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Je m'en fou hein les actionaires principales d'Accor sont des chinois.

à écrit le 25/06/2020 à 8:33
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On ne s'inquiétait pas pour les "géants de l'hotellerie" en faitn ce société devenues financières ne pouvant pas défaillir mais si elles ne logeaint personne pendant plusieurs années la puissance financière qui les soutien les ferait résister quitte ...

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