Polémique à Strasbourg : les assistants parlementaires dénoncent la cherté des prix des hôtels

La concomitance des marchés de Noël et de la session plénière du Parlement européen entraîne cette semaine une envolée des tarifs dans les hôtels de Strasbourg. Les assistants des députés européens se plaignent de devoir payer leur séjour au prix fort. Ils jugent indécente la pratique du yield management des hôteliers locaux. Pas si simple répondent ces derniers. Explications.
Les enseignes du groupe Accor sont accusées d'afficher des tarifs prohibitifs sur leurs sites de réservation en ligne, pendant la période de session parlementaire de décembre à Strasbourg.
Les enseignes du groupe Accor sont accusées d'afficher des tarifs prohibitifs sur leurs sites de réservation en ligne, pendant la période de session parlementaire de décembre à Strasbourg. (Crédits : Charles Platiau)

C'est l'étincelle qui a mis le feu aux poudres. Trois nuits à l'hôtel Ibis Styles, en face de la gare de Strasbourg, pour 1.497 euros ! Quand Elodie Schwander, assistante du député français Emmanuel Maurel (GUE/NGL) au Parlement européen, a dénoncé sur les réseaux sociaux les prix pratiqués dans l'hôtellerie strasbourgeoise, le débat s'est tout de suite enflammé. La période des marchés de Noël correspond traditionnellement à la plus forte fréquentation touristique de l'année. Entre le 12 décembre et le 15 décembre, Strasbourg accueille aussi la session plénière du parlement européen. Soit 705 députés, leurs assistants, des lobbyistes et tout le personnel technique et administratif à héberger : 2.000 personnes, a minima. L'addition de deux pics de fréquentation peut-elle justifier des tarifs aussi élevés ?

« Avec une telle politique, les hôteliers donnent des arguments à ceux qui ne veulent plus du siège à Strasbourg. Ils se tirent une balle dans le pied », juge Elodie Schwander. La semaine passée, des critiques ont fusé de toutes parts, pointant la « poule aux œufs d'or » des institutions européennes qui permettent, une fois par mois, de saturer les capacités hôtelières et touristiques de la ville. La polémique a ravivé le vieux débat sur la pertinence de deux lieux de travail du parlement européen, Strasbourg et Bruxelles (trois sites en réalité, avec le secrétariat général établi à Luxembourg), et sur les va-et-vient engendrés. Selon le rapport d'information écrit en 2019 par les députés alsaciens Thierry Michels et Eric Straumann, l'activité autour du Parlement européen représenterait de manière directe 15 % du chiffre d'affaires des hôtels.

Payer pour aller travailler

« Nos indemnités ne nous permettent pas de payer un tel tarif. A trop tirer sur la corde, les hôteliers de Strasbourg vont finir par la casser et plus personne ne viendra", prévient Elodie Schwander. "Nous ne sommes pas des nantis. Certains parmi nous ont un salaire de 1.300 euros par mois. Notre indemnité de présence à Strasbourg varie entre 135 euros et 180 euros par jour. Cela ne couvre pas nos frais. Il n'est pas juste de nous demander de sortir l'argent de notre propre poche pour aller travailler. Et je trouve scandaleux de la part des hôteliers strasbourgeois de facturer trois nuits à un tarif qui dépasse un SMIC. Comment voulez-vous qu'un député d'un pays de l'Est, où le salaire moyen est encore plus bas, explique cela à la population ? », s'interroge Elodie Schwander.

Les assistants ne sont pas les seuls à subir les tensions de l'hôtellerie. « Les journalistes qui ne sont pas en poste à Strasbourg ne viendront pas couvrir la session de décembre, parce que leurs rédactions ne couvrent pas les dépassements de frais », a prévenu le responsable des relations presse d'un groupe politique au parlement. Les techniciens, intermittents, subissent la même pression.

Véronique Siegel, présidente du groupement départemental des hôteliers et restaurateurs, ne s'en est pas offusquée. « Je ne connais aucun établissement qui ne pratique pas le yield management (des logiciels d'optimisation de la recette unitaire, NDLR) En décembre, nos taux d'occupation vont dépasser ceux de 2019, où nous étions pleins à 90 %", a-t-elle observé. « Les parlementaires européens, interprètes et fonctionnaires ont une réservation à l'année et à prix fixe dans de très nombreux hôtels de Strasbourg. Pour les personnels venant exceptionnellement, le bureau des voyages du Parlement a des chambres pré-réservées à des prix négociés », rappelle Véronique Siegel.

Réunion de crise

« Nous avons accès à ces chambres seulement si nous établissons un ordre de mission quinze jours avant la session », répond Elodie Schwander. « La plupart des assistants ne connaissent l'ordre du jour de la session que quatre jours avant son ouverture. Nous n'avons donc pas d'autre solution que de nous héberger par nos propres moyens ».

Pour rétablir le dialogue, une réunion de crise est prévue ce mercredi 14 décembre entre les représentants des assistants (un assistant par groupe parlementaire), Véronique Siegel et Jean-Luc Heimburger, président de la Chambre de commerce et d'industrie. Elle se tiendra à huis clos « pour éviter de politiser les débats », promet Elodie Schwander.

Des tarifs dissuasifs, mais jamais appliqués

Les tarifs de certains établissements du groupe Accor (2.260 euros pour trois nuits à l'hôtel Mercure) diffusés sur les réseaux sociaux correspondent-ils aux pratiques habituelles de la chaîne ? « Pas du tout », se défend Philippe Desaintquentin, directeur de l'hôtel Ibis Styles situé en face de la gare. « Cette cliente est membre de notre programme de fidélité ALL, qui permet aux clients habitués d'obtenir une réservation dans tous nos hôtels jusqu'à un jour avant l'arrivée », rappelle l'hôtelier. « Quand notre établissement est complet, comme c'est déjà le cas cette semaine, nous sommes contraints d'afficher la chambre à 500 euros ou davantage pour bloquer toute nouvelle réservation en ligne. En réalité, pendant cette semaine de session, aucune chambre dans mon établissement ne sera vendue à plus de 235 euros ».

La polémique n'est pas nouvelle. En octobre 2013, les adhérents de l'UMIH avaient établi une première charte de bonne conduite tarifaire. Baptisée "Please Check in", la charte promettait une politique commerciale respectueuse. Les trois quarts des hôteliers de l'agglomération ne l'avaient pas signée. « Toute entente tarifaire serait illégale. Personne ne pourra jamais nous imposer les prix que nous devons pratiquer », s'était défendu Pierre Siegel, l'ancien vice-président strasbourgeois de l'Union des métiers des industries de l'hôtellerie (UMIH). Le syndicat local des hôteliers a pourtant signé en janvier 2022 une nouvelle charte de qualité dans laquelle ils s'engagent à garantir un « bon accueil » et à appliquer certaines promesses de politique tarifaire, dont la possibilité d'annuler une réservation sans subir de pénalités.

L'hébergement diffus connaît lui aussi des dérapages incontrôlés. « C'est de la folie. Sur Airbnb, des hébergeurs privés qui avaient conclu un contrat à l'année avec des parlementaires ont repris leur chambre au mois décembre, laissant des députés sans hébergement, pour revendre la même chambre trois fois plus cher à d'autres clients », s'offusque Pernelle Richardot, ancienne attachée parlementaire devenue conseillère municipale (PS) à Strasbourg. « Certains doivent remonter jusqu'à Haguenau pour se loger, d'autres vont dormir en Allemagne. Il y a un marché parallèle qui s'installe chez les étudiants qui sous-louent leur chambre, c'est de bonne guerre. Mais à la fin, c'est Strasbourg qui risque de tout perdre », regrette l'élue.

Passer la nuit au Parlement

« Si ça continue, les assistants devront dormir dans les bureaux », prévient Elodie Schwander. La remarque doit être comprise au second degré. Les bureaux occupés par les députés et situés dans l'immeuble Louise Weiss du Parlement disposaient bien d'une douche et d'une banquette lors de l'inauguration du bâtiment, en 1998. Mais l'eau chaude a été coupée pour cause de légionellose, et les services de sécurité de l'institution interdisent désormais la pratique qui consiste à passer la nuit sur place.

Pourtant, la possibilité de dormir au Parlement n'apparaît pas si farfelue. Dans le cadre de ses programmes immobiliers, l'institution a envisagé d'acquérir le bâtiment de bureaux Osmose construit en 2020 à l'initiative des collectivités. En échange, le Parlement pourrait rétrocéder un immeuble secondaire plus ancien, situé dans le même quartier. Les collectivités le transformeraient en hôtel à l'usage des personnels européens. Mais ce projet immobilier, combattu par des députés farouchement opposés au principe du « double siège », a été difficilement validé dans le cadre du projet de budget annuel de l'institution pour 2023. Il attend encore son feu vert.

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Commentaires 7
à écrit le 12/12/2022 à 9:42
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Bonjour, Pourquoi pas... Mais je crainds que le nombre de délinquance est en rapport au manque d'éducation parentale et scolaire... Bien sûr ils ne faut pas le dire... Mais le goût au travail, le vivre ensemble, le respect des règles.... Tous cela s'...

à écrit le 12/12/2022 à 9:24
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C'est vrai ! La France est une très grande puissance, tellement qu'elle pourrait le devenir encore plus ! Pour cela il faudrait appuyer sur l'accélérateur au lieu d'avoir le pied sur le frein. Et revenir à une boite de vitesse manuelle au lieu de l'a...

à écrit le 12/12/2022 à 9:21
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ils ont eu trois ans de covid, et ils doivent doubler les salaires pour trouver du personnel; a un moment donne le ' quoi qu'il en coute paye par personne', et autres tripatouillages de la masse monetaire, ca finit par revenir a la realite, effective...

à écrit le 12/12/2022 à 9:05
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Faudrait leur mettre des algeco comme pour les ouvriers du bâtiment.

à écrit le 12/12/2022 à 8:21
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c'est assez étonnant que les démocrates ( de nom) aient une vision de la démocratie à géométrie variable. Un parti d'extrême droite , quand il touche de l'argent c'est pas bien mais les autres partis ? La notion de cordon sanitaire , ça veut dire quo...

à écrit le 12/12/2022 à 8:20
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Bonjour, Le dtoit d'expression pour les intellos s'est le droit du plus grand nombres de fermer leur bouche , et leur laissaient nous vendre leur connerie enroulée dans de grands discours humaniste ... Bien sur ils ne faut pas le dire.. Nous somme tr...

à écrit le 11/12/2022 à 18:53
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Madame comme vous j'ai étais cadre dans la fonction publique. J'arrivais au bureau à 09h30', m'arrêtais 2 heures le midi le temps déjeuner paisiblement au restaurant. Mon après-midi s'arrêtait à 17h. En plus de mes 7 semaines de congés payés cadre, m...

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