A quoi peut s'attendre Air France-KLM en entrant chez ITA Airways (ex Alitalia) ?

Mettre la main sur la compagnie nationale italienne n'est jamais chose aisée. Air France-KLM en a déjà fait l'expérience par le passé quand il a détenu 25 % d'Alitalia entre 2009 et 2013. Dans la foulée, c'est Etihad qui s'est cassée les dents sur le dossier. Alors pourquoi Air France-KLM et Lufthansa se sont-ils de nouveau affrontés pour mettre la main sur ITA Airways, créée fin 2020 pour succéder à Alitalia en faillite. Si cela ressemble à un sacré guêpier - entre rôle de l'Etat italien, domination des low cost, scénario à tiroir, etc. - les perspectives offertes par le marché italien sont toujours belles, trop en tout cas pour les laisser à la concurrence. Analyse.
Léo Barnier
Après sa longue histoire mouvementée avec Alitalia, Air France-KLM s'apprête désormais à convoler avec ITA Airways.
Après sa longue histoire mouvementée avec Alitalia, Air France-KLM s'apprête désormais à convoler avec ITA Airways. (Crédits : Reuters)

Après avoir largement dépassé le calendrier prévu, le gouvernement italien a fini par trancher sur l'avenir d'ITA Airways il y a quelques jours. C'est le consortium formé par Air France-KLM, Delta Air Lines et le fonds Certares Management qui l'a emporté devant Lufthansa et l'armateur MSC, entrant ainsi dans une période de négociations exclusives pour racheter une partie du capital de la compagnie d'Etat italienne. Au-delà du renversement de situation, Lufthansa et MSC ayant longtemps fait figure de favoris, cette décision soulève des questions sur le futur rôle du groupe français dans la transaction puis le contrôle d'ITA Airways, et sur les bénéfices qu'il pourra en tirer. Et les réponses sont loin d'être évidentes, comme ce fut le cas pour Air France, elle qui a cherché à prendre le contrôle d'Alitalia pendant près de 20 ans.

Quel rôle pour Air France-KLM dans la transaction ?

Dans les heures qui ont suivi l'annonce du ministère de l'Economie et des Finances italien, Air France-KLM a précisé le rôle qu'il allait jouer dans le futur rapprochement avec ITA Airways. Pour l'instant, et au même titre que Delta Air Lines, le groupe français ne se positionne qu'en tant que partenaire commercial et opérationnel. La dimension financière, et donc l'investissement, doit être apportée par le fonds d'investissement Certares Management.

Air France-KLM n'apporterait donc pas d'investissement en propre. Cela règle donc le problème, du moins pour le moment, du carcan imposé par Bruxelles en contrepartie des aides étatiques touchées pendant la crise : le groupe ne peut acquérir plus de 10 % d'une société du secteur tant qu'il n'a pas remboursé 75 % des sommes perçues. Il en est aujourd'hui à environ 67 % et vise la réalisation de cet objectif d'ici la fin de l'année.

Air France-KLM pourra-t-il entrer au capital par la suite ?

Un investissement futur d'Air France-KLM reste tout à fait possible, voire probable. Dans son communiqué, le groupe déclare qu'il « pourrait envisager à moyen terme de prendre une participation minoritaire dans ITA ».

Cette option pourrait même être nécessaire pour que le consortium devienne majoritaire au capital d'ITA Airways, signale un connaisseur du secteur. En effet, pour garder son statut de transporteur européen, une compagnie aérienne doit conserver au moins 51 % de son capital détenus par des acteurs européens. Or, Certares et Delta Air Lines sont américains. Sauf à réaliser un montage, avec un véhicule d'investissement « européen », ils ont besoin d'une prise de participation d'Air France-KLM pour passer la barre des 49 %.

Cette configuration semble donc indiquer un scénario avec une prise de contrôle progressive. Une éventualité qui est prévue dans le décret gouvernemental italien. Et si, comme l'indique la presse italienne, l'objectif du consortium est d'acquérir 56 % du capital d'ITA Airways pour 600 millions d'euros, le groupe français devra s'engager à terme à hauteur d'au moins 11 %.

L'Etat peut-il poser problème ?

L'une des inconnues dans ce dossier est le rôle de l'Etat italien jouera dans la compagnie à l'avenir. Aujourd'hui, ITA Airways est une compagnie entièrement publique, montée par l'Etat italien l'an dernier pour succéder à une Alitalia en faillite. Dans son décret de privatisation, le ministère de l'économie et des finances italien indique sa volonté de conserver « une participation minoritaire sans contrôle dans ITA et assure la définition d'accords de gouvernance appropriés ». A terme, un désengagement complet est aussi envisagé. Rome semble donc vouloir se contenter d'un rôle de contrôle.

Pour autant, l'Etat italien va conserver une participation importante et, toujours selon la presse italienne, disposerait tout de même de deux sièges sur les cinq que comptera le futur conseil d'administration de la compagnie. Il a d'ailleurs écarté l'offre de 850 millions d'euros de MSC et Lufthansa qui visait le rachat de 80 % du capital. En ces temps d'inflation forte, il pourrait ainsi vouloir mettre la pression sur les salaires ou le prix des billets par exemple.

Quoi qu'il en soit, la donne pourrait changer avec les élections législatives prévues le 25 septembre. Lancée par le gouvernement de Giuseppe Conte fin 2020, ITA Airways a débuté ses opérations il y a un an sous le mandat Mario Draghi, aujourd'hui démissionnaire. Et c'est un autre Premier ministre qui prendra le relais dans quelques semaines, possiblement Giorgia Meloni, présidente du parti d'extrême droite Fratelli Italia et en tête des intentions de vote pour le moment. Elle avait d'ailleurs sommé Mario Draghi de ne pas hâter une décision dans ce dossier.

Et au vu du passé, il n'est pas impossible de voir le gouvernement s'immiscer dans les affaires de la compagnie comme ce fut le cas du temps d'Alitalia. Pendant des années, la compagnie a été contrainte pour des raisons en partie politique de maintenir un système de double hub entre Rome et Milan, divisant ses forces et ses ressources.

Pourquoi Air France-KLM est intéressé ?

Échaudé à plusieurs reprises dans sa relation au long cours avec Alitalia, Air France-KLM est donc toujours déterminé à s'implanter fortement sur le puissant marché italien, le 5e d'Europe avant la crise avec 150 millions de passagers. Et s'allier avec ITA Airways est l'un des moyens de le faire.

Le réseau hérité d'Alitalia, avec une forte implantation à Milan et son important trafic affaires ainsi qu'à Rome et son formidable potentiel touristique, offre d'importantes synergies avec ceux d'Air France et KLM.

Bien qu'ayant réussi à conserver l'essentiel des créneaux horaires d'Alitalia à Milan, ITA Airways a été obligée de recentrer son activité internationale sur la seule capitale italienne en raison de moyens limités (seulement 13 avions long-courriers), si ce n'est une liaison entre Milan et New York. Une stratégie entendable tant Alitalia a perdu des plumes à jouer sur les deux tableaux, mais qui laisse beaucoup de place à Air France et KLM dans le Nord de l'Italie. Charge aux deux compagnies d'y drainer les passagers à forte valeur ajoutée vers leurs propres plateformes de correspondance, que ce soit en propre ou en partage de code avec ITA Airways.

Selon un connaisseur du secteur, Air France-KLM aura aussi à cœur de réintégrer dans la joint-venture transatlantique, comme Alitalia en son temps. Pendant 10 ans, cette dernière a ainsi opéré aux côtés d'Air France-KLM et de Delta Air Lines entre l'Europe et les Etats-Unis. « Du temps que les recettes sont partagées et que les coûts sont contrôlés, c'est vraiment gagnant-gagnant, peu importe qui gère ITA Airways », souligne-t-il. Si le volume que pourrait potentiellement ITA Airways est encore faible, la nouvelle compagnie italienne semble bien décidée à se développer sur les Etats-Unis et pourrait être une source de revenus supplémentaires à l'alliance. Et puis Air France-KLM n'avait sans doute aucune envie de voir ces recettes, même réduites, partir chez Lufthansa.

Les low cost ont-elles déjà verrouillé le marché ?

Si les perspectives sont donc intéressantes, le marché italien est loin d'être un fruit mûr prêt à être cueilli. La concurrence des compagnies à bas coût y est très importante : leur part de marché s'est accrue très rapidement dès la fin des années 2000 pour devenir majoritaire au cours de la décennie suivante. Ryanair dominait déjà le marché avant la crise et s'est encore renforcé depuis, profitant de la disparition d'Alitalia pour faire de l'Italie l'un de ses principaux marchés, tout comme Wizz Air. Easyjet est également très bien implantée comme Vueling ou Volotea. Air France et KLM arrivent loin derrière avec à peine quelques pourcents de parts de marché.

De même, les voyages domestiques sont en partie drainés par le ferroviaire, avec les lignes à grande vitesse de Trenitalia et Italo. La concurrence exacerbée de ses deux opérateurs sur le Rome-Milan ont d'ailleurs permis au ferroviaire d'accroître sa part modale, notamment auprès des voyageurs d'affaires.

Léo Barnier

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