Pourquoi Air France-KLM veut arracher ITA Airways (ex Alitalia) des griffes de Lufthansa

Les déboires et la longue descente aux enfers d'Alitalia n'ont pas dissuadé les prétendants. Après avoir longtemps lutté pour conquérir la compagnie publique italienne, Air France-KLM et Lufthansa s'affrontent désormais pour ITA Airways en espérant trouver leur place au soleil en Italie. Explications.
Léo Barnier
ITA Airways reste encore loin des capacités d'Alitalia, mais attire les convoitises.
ITA Airways reste encore loin des capacités d'Alitalia, mais attire les convoitises. (Crédits : REMO CASILLI)

Pris entre son besoin de redresser la barre opérationnellement, de se désendetter et de rembourser les aides d'Etat, Air France-KLM n'avait pas eu jusque-là tout le loisir de se pencher sur le dossier d'ITA Airways, qui a succédé à Alitalia l'an dernier. Plus avancé dans son rétablissement, Lufthansa semblait avoir pris la main : associé avec MSC Group, le groupe allemand a exprimé formellement son intérêt dès la fin janvier et a désormais transmis une offre. Pourtant, fort de ses manœuvres capitalistiques récentes, le groupe français semble revenu dans la course pour un nouveau duel avec son frère-ennemi allemand dans le ciel italien.

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Créée pour succéder à Alitalia en faillite, ITA Airways ressemble pourtant à un sacré guêpier. Alors pourquoi les deux groupes tentent absolument de séduire la nouvelle compagnie d'Etat italienne ?

Si les intérêts des deux groupes pour ITA Airways étaient connus dès le lancement de la compagnie italienne, Lufthansa est donc parti le premier. Fin janvier, il a ainsi émis une expression d'intérêt pour racheter la majorité du capital d'ITA Airways en compagnie de l'armateur italo-suisse MSC (Mediterranean Shipping Company). Mais le groupe allemand n'a pas réussi à obtenir une période de négociations exclusives de 90 jours de la part de l'Etat italien, bien décidé à faire monter les enchères.

Cela n'a pas dissuadé Lufthansa de déposer une offre commune avec MSC Group. Si le chiffrage n'a pas été communiqué, l'agence Reuters indique que Lufthansa souhaiterait acquérir 20 % du capital de la compagnie publique italienne (contre 40 % était évoqué fin janvier), tandis que son partenaire viserait 60 %. Le solde resterait dans les mains de l'Etat italien pour le moment, avant une vente entre 2024 et 2026 selon la presse transalpine.

Air France-KLM encore dans la course

Il en faut plus pour décourager Air France-KLM. Avec son augmentation de capital qui s'achèvera le 9 juin et son accord avec le fonds d'investissement Apollo (qui mettra sans doute quelques mois à être finalisé), le groupe va bientôt pouvoir s'affranchir des restrictions européennes sur les opérations capitalistiques d'envergure. Ce carcan a été imposé par Bruxelles aux compagnies aériennes ayant reçu des aides d'Etat, jusqu'au remboursement d'au moins 75 % de celles-ci. Et son premier mouvement pourrait bien être en direction de l'Italie.

L'AFP rapporte ainsi que le groupe français s'est allié au fonds d'investissement américain Certares, spécialisé dans le tourisme et très actif sur le marché européen. Delta Air Lines, actionnaire d'Air France-KLM et lui aussi ancien allié d'Alitalia, est de la partie. Là aussi, la répartition des forces n'est pas encore connue, mais les deux groupes américains ne peuvent pas dépasser 49 % du capital dans une compagnie européenne. Tandis qu'Air France-KLM doit encore parachever ses remboursements des aides d'Etat.

Air France-KLM confirme en tout cas son intention, entrevue dès la fin de l'été dernier, de créer une relation forte avec ITA Airways. Le groupe français avait en effet engagé des discussions très rapidement pour établir un nouveau partenariat, pouvant aller jusqu'à la "joint-venture", un partenariat commercial très élaboré correspondant au le plus haut niveau d'intégration possible entre des compagnies aériennes avant une fusion. Pour l'instant, seuls des partages de codes ont été conclus entre ITA Airways, Air France et KLM. En parallèle, l'alliance Skyteam a offert à la nouvelle compagnie le strapontin laissé vacant par Alitalia.

La situation va se décanter dans les prochaines semaines. L'Etat italien doit trancher dans les prochaines semaines entre les offres, au nombre de deux sauf surprise. La vente doit ensuite être actée d'ici fin juin.

Un duel de longue haleine

En attendant, les appétits français et allemand pour se renforcer en Italie sont donc indéniables. Et cela fait une quinzaine d'années que cet affrontement dure, après de nombreuses passes d'armes faites du temps d'Alitalia. Pourtant, ITA Airways n'est encore qu'un ersatz de l'emblématique compagnie italienne. Malgré une multiplication d'annonces, sa flotte est encore limitée avec moins d'une soixantaine d'appareils, dont huit long-courriers A330 et A350. Le plus gros de l'effort est encore à venir pour atteindre 78 appareils d'ici la fin de l'année et 105 d'ici fin 2025. Pour cet été, son programme comprend 64 destinations, dont 23 domestiques, 34 régionales et 7 intercontinentales. C'est 20 de plus qu'il y quelques mois, mais la compagnie est encore loin des cadors du secteur.

En revanche, s'allier à ITA Airways est sans doute le meilleur moyen de s'implanter fortement sur le puissant marché italien. Avant crise, il s'agissait du 5e marché européen avec plus de 150 millions de passagers, qui occupait même la 4e place en ne comptabilisant que le trafic international. Le nord du pays desservi par l'aéroport de Milan, sur lequel ITA Airways a réussi à conserver l'essentiel des créneaux horaires d'Alitalia, constitue un important bassin de trafic affaires, avec une forte rentabilité.

La fin du double hub

Le réseau hérité d'Alitalia offre d'importantes synergies avec celui de Lufthansa et d'Air France, avec une forte implantation à Milan et son important trafic affaires ainsi qu'à Rome et son formidable potentiel touristique. Formidable atout sur le papier, cette dichotomie a pourtant été l'une des principales faiblesses d'Alitalia. Pendant des années, la compagnie a été contrainte pour des raisons en partie politique de maintenir un système de double hub, divisant ses forces et ses ressources.

Limitée dans ses moyens, ITA Airways a été obligée de se recentrer et déploie pour l'instant ses long-courriers sur la seule capitale italienne, si ce n'est un premier vol entre Milan et New York. Une stratégie entendable tant Alitalia a perdu des plumes à jouer sur les deux tableaux, mais qui laisse beaucoup de place à Air France-KLM et Lufthansa dans le Nord de l'Italie. Charge aux deux groupes d'y drainer les passagers à forte valeur ajoutée vers leurs propres plateformes de correspondance, que ce soit en propre ou en partenariat avec ITA Airways.

ITA Airways pourrait aussi apporter une source de revenus supplémentaires en intégrant une joint-venture comme Alitalia en son temps sur le transatlantique. Pendant 10 ans, cette dernière a ainsi opéré aux côtés d'Air France-KLM et de Delta Air Lines. Si le volume que pourrait potentiellement ITA Airways est encore faible, la nouvelle compagnie italienne semble bien décidée à se développer sur les Etats-Unis. Sur ses 7 destinations intercontinentales, son réseau compte Boston, New York, Los Angeles et Miami.

Léo Barnier

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Commentaires 2
à écrit le 27/05/2022 à 15:10
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Au risque de me répéter, je rappelle que toutes les déclarations émanant de Lufthansa ou de AirFrance-KLM ont avant tout pour objet de déstabiliser l'adversaire... Quand aux déclarations italiennes, elles ont avant tout pour but de faire monter les ...

à écrit le 27/05/2022 à 15:09
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Au risque de me répéter, je rappelle que toutes les déclarations émanant de Lufthansa ou de AirFrance-KLM ont avant tout pour objet de déstabiliser l'adversaire... Quand aux déclarations italiennes, elles ont avant tout pour but de faire monter les ...

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