ADP et Schiphol Group dénouent leurs participations capitalistiques croisées

Treize ans après avoir signé une alliance industrielle et capitalistique, ADP et le groupe néerlandais Royal Schiphol Group ont décidé de mettre fin à leur partenariat le 30 novembre. Commencera un processus de cession des participations de 8% que chacun détient dans le capital de l'autre. Présentée comme un moyen de gagner en efficacité dans la bataille des hubs, cette alliance avait en fait pour principal objectif à l'époque de tenir à distance le groupe Vinci qui venait d'entrer en catimini dans le capital d'ADP. Décryptage.
Fabrice Gliszczynski
(Crédits : Yves Herman)

Clap de fin pour l'alliance entre le groupe ADP et son homologue néerlandais Royal Schiphol Group. Une alliance industrielle et capitalistique unique dans le paysage du transport aérien signée fin 2008 (quatre ans après le rachat de KLM par Air France), à l'initiative du groupe français pour gagner en efficacité dans la bataille des grands hubs, même si la raison principale, côté français, était ailleurs : contrer le groupe Vinci dont l'entrée surprise quelques mois plus tôt dans le capital d'ADP avait révélé au grand jour ses ambitions de prendre un jour le contrôle du gestionnaire des aéroports parisiens (voir encadré ci-dessous).

D'une durée initiale de 12 ans, cet accord entre ADP et Schiphol avait été, l'an dernier, prolongé d'une année. Il ne sera pas renouvelé. La direction d'ADP l'a annoncé lors de la publication des résultats financiers du premier semestre, fin juillet.

"Nous avons décidé conjointement avec Schiphol de dénouer nos participations croisées", a déclaré Augustin de Romanet, le PDG d'ADP.

Cette alliance qui répond au nom de hublink prendra fin le 30 novembre prochain, ont précisé ultérieurement à La Tribune Aéroports de Paris et Schiphol Group, gestionnaire notamment des aéroports d'Amsterdam, d'Eindhoven et de Rotterdam. Débutera dans la foulée un mécanisme de dénouement de la participation de 8% que chacun détient dans le capital de l'autre. La cession des participations sera "organisée de manière ordonnée pendant une période de 18 mois jusqu'au 30 mai 2023", ont ajouté les deux groupes.

Un scénario aux antipodes de celui envisagé par Schiphol Group il y a encore deux ans quand le groupe néerlandais, au moment où la privatisation d'ADP était évoquée, déclarait "vouloir rester un actionnaire-clé d'Aéroports de Paris." Et pour cause, le groupe néerlandais avait discrètement manifesté son intérêt pour la privatisation, renvoyée depuis aux calendes grecques. Aujourd'hui, la donne a visiblement changé.

Lire aussi Privatisation d'ADP : l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol suit de près le dossier

Pour ADP, ce partenariat n'a jamais été une priorité stratégique dans ses alliances internationales. Moins de trois ans après la signature de l'accord avec Schiphol, le groupe français s'est tourné vers la Turquie en entrant dans le capital de TAV Airport. Puis, début 2020, juste avant la pandémie, le deuxième grand choix stratégique s'est porté en Inde avec l'acquisition du groupe GMR.

Aujourd'hui, les commentaires de la direction d'ADP semblent indiquer qu'elle est l'origine de la fin du partenariat avec Schiphol.

Un partenariat déséquilibré

"Un partenariat, c'est nécessairement équilibré. Quand il y en a un qui gagne plus que l'autre, il y a un problème", a déclaré Philippe Pascal, directeur général adjoint, Finances, Stratégie et Administration d'ADP, lors de la présentation des résultats financiers à la presse.

Dans un langage plus diplomatique mais tout aussi clair Augustin de Romanet a précisé la pensée de ce dernier :

"Si on regarde mécaniquement les dividendes qu'ont reçus les uns et les autres, le rapport est probablement de un à deux", a-t-il indiqué.

Et d'ajouter :

"Les deux entreprises ont des modèles assez différents. Schiphol est une entreprise qui n'est pas cotée, qui est détenue très majoritairement par les autorités publiques hollandaises (l'Etat néerlandais détient 70% du capital, la municipalité d'Amsterdam 20%, celle de Rotterdam 2% Ndlr), qui a externalisé toutes ses compétences en ingénierie, et qui agit plutôt, sans que ce soit péjoratif, moins comme une entreprise industrielle et commerciale autonome soumise aux règles du marché et plus comme une agence au service de la prospérité des Pays-Bas. Nous avons deux modèles de déploiement de l'énergie qui ne sont pas exactement parallèles. Dans ces conditions, même si le partenariat a été très positif pour les deux parties et qu'il a produit beaucoup de choses, notre responsabilité aujourd'hui vis à dis des parties prenantes d'ADP est de constater que l'argent immobilisé dans Schiphol ne produit pas des effets tels qu'on ne peut pas envisager de ne pas céder notre participation."

Dit autrement, le groupe néerlandais se soucie moins de la rentabilité financière qu'ADP. Non coté en Bourse, ses contraintes sont moins fortes. Cette vision différente s'observe dans le niveau de redevances aéroportuaires facturées aux compagnies aériennes. Au cours des 15 dernières années, celles d'Amsterdam ont moins progressé que celles de Paris, comme le rappelle souvent Air France-KLM. Au final, cette différence de modèle traduit une vision différente de l'écosystème du transport aérien entre l'Etat français et l'Etat néerlandais. Pour rappel, en France, la loi de 2005 relative aux aéroports stipule que le calcul des redevances peut intégrer la rémunération des capitaux investis.

Quoi qu'il soit, au regard de la profondeur de la crise que traverse le transport aérien, le fruit de cette cession contribuera à la réduction de l'endettement d'ADP.

"Le prix de cession des titres Schiphol sera déterminé sur la base d'une valeur de marché. Au 30 juin 2021, la valeur des titres Schiphol (mise en équivalence) dans les comptes d'ADP s'élevait à 370 millions d'euros", indique le groupe aéroportuaire français.

Soit le même montant que celui qui avait permis en 2008 de prendre 8 % du capital de Schiphol. Ce dernier avait injecté 530 millions d'euros pour acheter à l'État français 8% du capital d'ADP.

Conditions de sortie

La sortie de Schiphol du capital d'ADP peut-elle faire entrer un loup dans la bergerie?  Fixées par ADP et Schiphol Group, les conditions de sortie du groupe néerlandais rendent en effet peu probables, pour ne pas dire impossibles, les chances de voir les parts de Schiphol atterrir dans les mains d'un concurrent comme Vinci (actionnaire à 8% d'ADP), si tant est que celui-ci soit encore intéressé aujourd'hui avec la crise que traverse le transport aérien. En effet, ADP dispose d'un droit de première offre pendant une période de temps limitée lui permettant de faire une offre à Royal Schiphol Group sur les titres que ce dernier détient dans Aéroports de Paris ou de désigner un tiers qui fera une offre sur les titres ADP.

Par ailleurs, en l'absence d'exercice par Aéroports de Paris de son droit de première offre, ou si Royal Schiphol Group n'accepte pas son offre d'acquisition, le groupe néerlandais aura le droit de céder ses actions ADP soit sur le marché, soit à une ou plusieurs personnes identifiées, sachant que l'État (50,6% du capital d'ADP) et Aéroports de Paris auront alors un droit de préemption. Le droit de préemption de l'État doit être exercé dans un délai fixé entre les parties et prévaut sur le droit de préemption d'Aéroports de Paris.

Enfin, dans le cas d'un projet de cession à personnes identifiées des actions Aéroports de Paris détenues par Royal Schiphol Group, l'État français et Aéroports de Paris disposent d'un droit de veto pour s'opposer à cette cession, pouvant être exercé une fois par projet de cession et dans un délai convenu entre les parties.

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                           LES VRAIES RAISONS DE CETTE  ALLIANCE

Le 3 janvier 2008, 18 mois après l'entrée en Bourse d'ADP, l'annonce dans la presse de l'entrée de Vinci dans le capital d'ADP à hauteur de 3,3% fait l'effet d'une bombe au siège d'Aéroports de Paris. Personne n'avait vu le coup venir. A ce moment-là, l'Etat possède encore 68% du capital. Pierre Graff, le PDG d'ADP de l'époque a des sueurs froides. Il voit dans cette opération des similitudes avec la stratégie déployée par Vinci lors de la privatisation des autoroutes. En effet, quand l'Etat a mis en vente les autoroutes du sud de la France (ASF) en 2005, Vinci avait réussi, au cours des années précédentes, à rafler plus de 21% du capital sur le marché. Un niveau tel qu'il avait dissuadé d'éventuels candidats de se lancer dans la bataille de la privatisation. Par conséquent, sans concurrence, Vinci a pu très bien négocier les conditions de cette acquisition avec l'Etat.

Cet épisode est resté  en travers de la gorge de Pierre Graff. Il était en effet aux premières loges. Au moment où Vinci a commencé à monter au capital d'ASF, Pierre Graff était le directeur de cabinet du ministre des transports de l'époque, Gilles de Robien.

Pour ADP, il faut trouver une parade. Ce sera Schiphol Group. Dix mois après l'arrivée de Vinci dans son capital, ADP annonce une alliance stratégique avec les Néerlandais, confortée par un échange d'actions. Si, officiellement, cette opération a pour but de développer des synergies avec les Hollandais (elles sont difficilement perceptibles), elle avait surtout pour objectif de placer plus de 8% des actions de l'Etat à un groupe jugé moins hostile que Vinci qui faisait le siège de Bercy pour monter au capital. Selon nos informations à l'époque, c'est ADP qui a présenté le projet à l'Etat. Résultat, après cette alliance avec les Hollandais, l'Etat détenait près de 60% du capital d'ADP. Du coup, en cas de cession de l'Etat jusqu'au seuil de 50% d'ADP, Vinci pouvait, à l'époque, au mieux rafler 10%, pour porter sa participation à 13%. Insuffisant pour refaire le coup d'ASF. L'opération Schiphol ne fut évidemment pas présentée ainsi. Au cours des autres cessions, l'Etat a soigneusement évité que la part de Vinci ne dépasse celles des autres grands investisseurs. Vinci détient aujourd'hui 8% du capital.

Lire aussi Vinci, le vieux cauchemar d'Aéroports de Paris, guette la privatisation de Roissy et d'Orly

Fabrice Gliszczynski

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Commentaires 5
à écrit le 19/08/2021 à 11:07
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Les dirigeants d'ADP sont spécialistes des coups foireux. Ils avaient acheté l'aéroport d'Istanbul sans savoir que celui-ci allait fermer ! Sans l'intervention du gouvernement français, ADP aurait perdu sa mise. Avant cela ils avaient revendu leur pa...

à écrit le 17/08/2021 à 18:54
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Roissy terminal 1 a ouvert en... 1974. La gare de RER était au milieu des champs au lieu d'être sous ce premier terminal ! Ensuite Aéroports de Paris a essayé de mettre en service la "Relayeur" système de transport entre le terminal 1 et les autres t...

à écrit le 17/08/2021 à 14:56
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@Européenpassager : Personnellement, je ne trouve pas que Schipol (Amsterdam) soit particulièrement bien conçu !!! Tout d'abord, il n'existe pas de possibilité de rester sous douanes lors d'un transfert : on doit ressortir puis repass...

à écrit le 17/08/2021 à 10:22
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J'aime beaucoup l'aéroport d'Amsterdam. Facile à utiliser, propre, et très bien desservi à Amsterdam contrairement à Roissy. Bon, comme à Roissy, tout y est très cher, du café au comptoir à la simple bouteille d'eau mais l'aéroport est super bien con...

le 17/08/2021 à 14:56
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@Européenpassager : Personnellement, je ne trouve pas que Schipol (Amsterdam) soit particulièrement bien conçu !!! Tout d'abord, il n'existe pas de possibilité de rester sous douanes lors d'un transfert : on doit ressortir puis repass...

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