Covid-19 : Sita travaille sur la mise en place de passeports sanitaires pour les passagers aériens (Barbara Dalibard, DG)

Dans un entretien accordé à La Tribune, Barbara Dalibard, directrice générale de Sita, une entreprise spécialisée dans les échanges de données entre les acteurs du transport aérien, explique les travaux en cours avec les gouvernements pour mettre en place, dans les données de voyage des passagers, un certificat sanitaire contenant des informations liées au Covid-19. Elle détaille également la stratégie de Sita dans les technologies permettant aux passagers de traverser le parcours client dans les aéroports en utilisant leur smartphone, sans contact physique avec les équipements aéroportuaires.
Fabrice Gliszczynski
Barbara Dalibard, directrice générale de Sita
Barbara Dalibard, directrice générale de Sita (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Quelles sont les conséquences pour Sita de la crise que traverse le transport aérien?

BARBARA DALIBARD - Sita est dans l'oeil du cyclone car nos clients sont des acteurs du transport aérien (compagnies aériennes, aéroports, prestataires en escale) qui traversent une crise sans précédent. Je rappelle que Sita est une coopérative créée il y a plus de 70 ans par les compagnies aériennes pour partager des données et des infrastructures technologiques qui, à l'époque, était coûteuses. Notre ADN, c'est l'échange et le partage de données entre les acteurs du système aérien, les compagnies aériennes, les aéroports et les prestataires en escale, mais aussi aujourd'hui, les gouvernements. 40% de notre activité étant liés au volume de passagers et de bagages traités, nous sommes par conséquent fortement impactés par l'arrêt de la quasi-totalité des avions dans le monde. Nous avons observé des décroissances de plus de 80% d'une année sur l'autre, voire même de pratiquement 100% pour notre activité liée au traitement des bagages. Malgré les mesures de confinement, nous avons réussi à servir nos clients sans aucune interruption de services, 24h sur 24, 7 jours sur 7. Nous sommes présents dans 70 pays, mais nous avons fait preuve d'agilité et de réactivité.

Sita est-il en danger?

Nos revenus sont en forte baisse. La bonne nouvelle, c'est que nous avions fini l'année 2019 dans de bonnes conditions. Nous avons du cash dont le niveau a augmenté depuis trois ans. Nous avons également des fonds provenant de nos membres qui constituent une sorte de capital. Notre objectif est d'optimiser l'utilisation de notre cash et d'être suffisamment agile pour passer la crise sans rien demander aux compagnies qui sont en quelque sorte nos actionnaires. C'est mon objectif, et je pense que nous le tiendrons.

Quelles actions comptez-vous mettre en place?

Nous réduisons la voilure pour diminuer très rapidement nos coûts et être encore plus efficaces. La réduction de voilure sera de l'ordre de grandeur de celle des compagnies au redémarrage de l'activité. Cela va être progressif. Les équipes ont fait des efforts très importants pendant la crise, elles ont accepté des baisses de salaires (avec un principe de baisser de manière plus importante en pourcentage les salaires les plus élevés). Mais on ne peut pas demander de maintenir de tels efforts dans la durée. Nous allons donc revoir tous nos processus, notre portefeuille d'activités, nos investissements, pour être présents sur tous les aspects critiques du transport aérien. Nous allons réduire notre portefeuille d'activités pour répondre encore mieux aux besoins des clients en étant plus compétitif et plus flexible dans nos offres. Nous allons faire des choix en arrêtant les services qui étaient le moins profitables et qui n'apportaient pas de grande valeur aux clients pour nous focaliser sur ceux qui en apportent beaucoup.

Avant la crise, Sita avait mis l'accent sur les solutions permettant d'améliorer la fluidité des passagers dans les aéroports pour répondre à la sous-capacité aéroportuaire face une demande qui ne cessait de croître. Au regard des sombres perspectives de trafic qui ne prévoient pas un retour au niveau de 2019 avant plusieurs années, cette activité fait-elle toujours partie de vos priorités aujourd'hui?

La problématique de la fluidité du parcours client dans les aéroports était centrale avant la crise du Covid-19. Elle répondait notamment à des logiques de sous-capacité aéroportuaire. Aujourd'hui, si l'on veut éviter les files d'attente dans les aéroports pour éviter la propagation du virus, la problématique est la même. Nos outils permettent de faire en sorte que l'essentiel des interactions entre le passager et les systèmes des aéroports puissent se faire à travers le téléphone mobile des passagers. Le mobile devient ainsi la télécommande du voyage. C'est ce que permet notamment notre nouvelle plateforme Airport Flex qui commence à être déployée. Avec cette solution, le passager peut passer toutes les étapes du parcours client dans l'aéroport (récupération de sa carte d'embarquement, dépose du bagage à un poste de self dropping, embarquement...) sans toucher les équipements, à l'exception du passage au poste d'inspection filtrage. Rendre l'aéroport complètement flexible avec des applications comme celle-ci permet de mieux utiliser la capacité de l'aéroport. Nous sommes prêts. Nous allons accélérer dans ce domaine pour que le mobile soit le passeport pour le parcours à l'aéroport jusqu'à l'avion.

On parle beaucoup d'un "passeport sanitaire". Comment Sita travaille-t-elle sur ce sujet?

Nous travaillons effectivement pour intégrer dans nos plateformes gouvernementales des certificats sanitaires, dont on ne sait pas bien encore ce qu'ils seront. Chaque pays a ses propres idées sur le sujet. Il n'y a pas de cohérence. Certains veulent intégrer les résultats d'une prise de sang réalisée avant l'embarquement, d'autres un carnet de santé indiquant si le passager a été infecté ou pas par le Covid-19 pour dire s'il est immunisé ou pas. Je pense que, demain, quand il y aura un vaccin, ce type de données permettra de s'assurer que les gens ont été vaccinés, ou qu'ils sont immunisés et donc de faire une protection spécifique pour ceux qui ne sont ni l'un ni l'autre. Un peu à la manière de ce qui se fait pour la fièvre jaune, où les pays vérifient au moment de la demande de visa des passagers si ces derniers ont été vaccinés. Pour aider à la reprise du trafic, nous essayons de pousser des standards pour pouvoir indiquer dans les PNR (données des passagers) une sorte d'attestation de santé. Des standards communs permettraient de s'échanger plus facilement des informations sur le passager quand celui-ci passe les frontières. Mais je pense hélas que cette attestation prendra des formes différentes selon les pays. À partir du moment où les gens savent ce qu'ils veulent échanger, nous pouvons mettre en place des solutions très rapidement. Sita travaille déjà sur le sujet. Derrière cette question de "passeport sanitaire", nous pensons que l'utilisation de la blockchain sera fondamentale car les passagers ne voudront pas que leurs données de santé se baladent ou soient conservées partout sur la planète.

La question environnementale, qui était la problématique principale du transport aérien avant la crise, risque de s'accentuer. Que va faire Sita dans ce domaine?

Nous allons accélérer nos investissements dans les outils permettant à nos clients de réduire leurs émissions de CO2 car la pression environnementale va effectivement s'accroître. Nous développons des applications qui mettent en relation les pilotes d'avions et les contrôleurs aériens permettant des échanges d'informations qui peuvent réduire les émissions de CO2. Le contrôleur peut, par exemple, demander au pilote de ralentir sa vitesse si l'aéroport est encombré... Sita avait par ailleurs prévu d'être neutre en carbone en 2022. Nous le ferons avant. Les compagnies ne consommeront pas de CO2 quand elles utiliseront nos outils.

Au moment de la reprise, il y a un risque pour les compagnies d'un manque de coordination entre les pays concernant la levée des restrictions de voyage. Comment Sita intègre-t-il cette donnée?

Les clients nous demandent beaucoup de flexibilité car ils devront optimiser les routes en fonction des décisions de confinement et déconfinement des pays. Il leur faudra allouer en temps réel leurs avions sur les meilleures routes ou sur les routes possibles. Nos outils dans les aéroports permettent de faire cela.

Sita est présent dans la connectivité des cabines, avec Sitaonair. L'installation du Wifi est-il remis en cause par les compagnies?

Il est possible que les compagnies ralentissent leur investissement pour équiper leur flotte de Wifi. S'il n'y a plus de nourriture cabine, le passager aura envie d'avoir du Wifi pour être connecté. Le besoin va rester. Pour les clients dont les avions sont déjà équipés, je pense qu'ils ne vont pas le retirer mais qu'ils vont plutôt essayer de maximiser la valeur de cet investissement en modifiant les prix. Une fois que l'installation est faite, la question est l'utilisation de la bande passante. Dans notre offre Wifi, on est capable en 48 heures de changer la structure de prix que la compagnie veut offrir à ses clients.

Propos recueillis par Fabrice Gliszcsynski

Fabrice Gliszczynski

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Commentaire 1
à écrit le 28/05/2020 à 16:44
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Ahh le passeport sanitaire !! Nous y sommes !! Prototype du passeport social, géré par un consortium/entreprise privé, histoire d'être certain que nos données médicales soient profitables et échangeables entre acteurs économiques. Tout ça pour notre...

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