D'ici à quelques mois, Fret SNCF ne sera plus. Rattrapée en raison d'aides d'Etat, à hauteur de 5,3 milliards d'euros entre 2007 et 2019, jugées illégales par la Commission européenne, la filiale fret du groupe SNCF va devoir passer par une solution de discontinuité pour échapper au remboursement doublé d'une amende. Si le gouvernement s'était déjà exprimé à plusieurs reprises sur le sujet, c'est l'Etat actionnaire qui a pris la parole ce mardi. A l'occasion de la présentation du rapport d'activité 2022-2023 de l'Agence des participations de l'Etat (APE), Alexis Zajdenweber est revenu sur ce sujet plus qu'embarrassant au moment où l'exécutif tente de mettre en avant le ferroviaire avec l'objectif de doubler sa part modale d'ici 10 ans.
« Il s'agit malheureusement de solder le passé », regrette-il sans pour autant remettre en cause la solution de discontinuité. « C'est une solution qui permet de répondre aux contraintes du droit communautaire », ajoute-t-il ainsi dans la foulée. Il réfute ainsi toute accusation de précipitation de la part de l'Etat à accepter cette option lourde de conséquences plutôt que de risquer de s'opposer à Bruxelles. Pour cause, la discontinuité signifie la fin de Fret SNCF au profit de la création de deux entités : l'une pour la maintenance, l'autre pour le transport de marchandises. Et cette dernière va devoir faire d'importantes concessions, en ne pouvant reprendre que 90 % des salariés, 80 % des trafics et 70 % du chiffre d'affaires, devant abandonner à la concurrence 23 lignes de transport et son activité de trains entiers, la plus rentable du secteur, pour se concentrer sur les wagons isolés.
Cette discontinuité doit commencer à être mise en œuvre d'ici la fin de l'année, avec la possibilité de prolonger le délai jusqu'à l'été 2024. Et comme l'a rappelé Alexis Zajdenweber, ce plan pourra comprendre l'arrivée d'un actionnaire minoritaire dans un délai plus long.
Le doublement du fret ferroviaire reste un objectif
Bien que conscient du mauvais timing entre ce dépeçage du principal opérateur de fret ferroviaire en France et les multiples annonces gouvernementales sur la priorité donnée au ferroviaire, le haut fonctionnaire affirme que cette dernière est toujours de mise. « Nous avons au gouvernement un objectif de doubler la part du fret ferroviaire pour le transport de marchandises en France. C'est un objectif important, qui fait partie de la planification écologique, que le gouvernement porte, que de l'Etat actionnaire porte et que je porte en l'occurrence puisque je siège au conseil d'administration du groupe SNCF. Il n'y a pas de doute là-dessus », déclare-t-il.
Il assure ainsi que l'exécutif comme l'APE sont « extrêmement vigilants à ce que la mise en œuvre de ce plan de discontinuité ne vienne pas en contradiction avec les objectifs de développement du fret ferroviaire, et n'entraîne pas d'inversion du report de part modale vers la route ». Il juge d'ailleurs que le futur du périmètre de Fret SNCF a été pensé spécifiquement pour minimiser ce risque, avec notamment la cession des activités de trains dédiés (trains réguliers opérés au profit d'un seul client) qui sont les plus compétitives face à la route. De quoi s'assurer d'avoir des candidats à la reprise.
A l'inverse, cela signifie que Fret SNCF va devoir renoncer à une de ses activités les plus rentables. Une critique largement entendue ces derniers temps, du côté des syndicats mais aussi de parlementaires, notamment dans le cadre de l'enquête diligentée par l'Assemblée nationale sur la libéralisation du fret ferroviaire.
Une rentabilité subventionnée ?
Interrogé sur ce point par La Tribune, Alexis Zajdenweber réfute ce postulat. « Ce n'est pas la seule activité rentable de Fret SNCF et dans les trains dédiés, certains sont plus rentables que d'autres », assure-t-il. Il ajoute que « cela mérite de la nuance », sans pour autant vouloir « entrer dans les détails ». Il se contente ainsi de rappeler que les futures entités qui seront créées se doivent d'être viables et durables au sein du groupe SNCF, et qu'elles seront, de fait, appuyées sur des activités rentables.
Le commissaire aux participations de l'Etat ajoute qu'elles seront également éligibles aux aides à l'exploitation, sans préciser si la rentabilité sera atteignable sans ce soutien financier. Il rappelle ainsi que le gouvernement a lancé une série de mesures financières pour accélérer le développement de la part modale du fret ferroviaire en France. Des aides qui, selon lui, « étaient attendues depuis longtemps par le secteur, qui considérait ne pas être en mesure d'offrir certains services moins rentables sans cet apport de l'Etat ». Depuis 2021, l'Etat a en effet instauré de nouvelles aides à l'exploitation pour le fret ferroviaire pour un total de 170 millions d'euros. Prévues jusqu'en 2024, elles ont été prorogées et réévaluées à hauteur de 200 millions d'euros par Clément Beaune, ministre des Transports, jusqu'en 2030.
Alexis Zajdenweber cite ainsi l'aide aux wagons isolés, activité qui va rester dans le périmètre des futures entités de Fret SNCF. Il s'agit de constituer des trains à partir de wagons venus de différents chargeurs, ce qui représente souvent un défi logistique pour une rentabilité faible, voire nulle. Dans leur rapport d'information sur la situation de la SNCF et ses perspectives, déposé l'an dernier, les sénateurs Hervé Maurey (Union centriste) et Stéphane Sautarel (Les Républicains) estimaient que « l'aide au wagon isolé était devenue incontournable pour soutenir cette activité en croissance mais structurellement déficitaire ». C'est la principale aide accordée avec 70 millions d'euros par an, dont Fret SNCF perçoit 80 %.
Malgré une amélioration depuis deux ans, les deux députés tendaient à juger l'activité fret comme structurellement déficitaire sans subvention étatique, « notamment dans sa dimension wagon isolé ». Ils écrivaient ainsi qu'une marge opérationnelle positive « n'est envisageable qu'à la condition d'une hausse sensible de l'activité dans les années à venir, ce qui suppose une inversion significative de la tendance observée depuis plusieurs dizaines d'années ». Le nouveau périmètre ne devrait donc pas faciliter la poursuite du redressement.
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