La réunion ce lundi entre Emmanuel Macron et les membres de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) s'annonce tendue. Prévue à 17 heures, elle confirmera le fossé qui existe entre les positions du chef de l'État, tenté de temporiser sur certaines mesures face à la brutalité de la crise, et celles, parfois radicales, de cette convention à propos des 149 mesures que cette dernière a proposées pour "réduire d'au moins 40% les émissions de gaz à effet de serre de la France dans un esprit de justice sociale". Alors qu'un projet de loi climat censé traduire une bonne partie de ces propositions sera présenté d'ici à fin janvier, Emmanuel Macron a, la semaine dernière, relativisé la légitimité de cette convention qu'il avait lui-même créé après la crise des "gilets jaunes".
"Je ne veux pas dire que, parce que les 150 citoyens ont écrit un truc, c'est la Bible ou le Coran", a-t-il dit dans une interview accordée à Brut.
Cette déclaration, qui fait suite à la comparaison du moratoire proposé par la CCC sur le déploiement de la 5G à un "retour à la lampe à huile", a renforcé les soupçons de la Convention et de ses partisans d'un détricotage de leurs propositions.
L'aviation traduit ce décalage, puisque les propositions de la convention pour réduire l'impact environnemental de ce secteur (dont les vols intérieurs, Outre-Mer inclus, représentent 3,5% des émissions de CO2 du secteur des transports en France), passent à la trappe et seront quasiment toutes absentes du projet de loi prévu fin janvier. Pour les partisans du transport aérien, c'est tout sauf une surprise. Les propositions de la Convention avaient pour conséquence de tuer un secteur stratégique frappé de plein fouet par la crise, en jouant davantage la carte de la décroissance plutôt que celle de l'innovation pour tenter de la décarbonner. L'impact de ces mesures sur l'emploi et l'économie de la France était considérable, sans pour autant qu'elles génèrent un gain significatif en termes de baisse des émissions.
La règle des 2h30
Absente du projet de loi des finances (PLF), toute hausse de l'écotaxe est repoussée à un retour à la normale du transport aérien. Autrement dit, pas avant 2024, selon le consensus de la plupart des acteurs du secteur. Un sujet repoussé à la prochaine présidence. Pour rappel, la convention citoyenne proposait une hausse de près de 4 milliards d'euros de cette écotaxe. Même chose pour la mesure phare de la convention citoyenne de supprimer tous les vols intérieurs d'ici à 2025, dès lors qu'une alternative ferroviaire existe en moins de quatre heures. Une telle mesure revenait à fermer la quasi-totalité des vols intérieurs français. Dès le 14 juillet, Emmanuel Macron avait jugé la mesure inapplicable par rapport au risque de ré-enclavement pour certains territoires, et évoquait plutôt un seuil à 2h30. Il confirmait ainsi les propositions de différents membres du gouvernement, lesquels, depuis l'annonce des aides d'État à Air France au printemps, avaient fixé plusieurs contreparties environnementales, dont la suppression des lignes domestiques en cas d'alternative ferroviaire en moins de 2h30. Hors vols vers les "hubs" pour éviter que les passagers long-courriers ne passent par d'autres hubs étrangers et pénalisent ainsi Air France, sans aucun gain sur l'environnement.
Cette règle va donc être reprise dans le projet de loi climat. Elle concernera un nombre de lignes extrêmement limité, y compris au départ d'Orly, censé être l'aéroport le plus concerné par d'éventuelles suppressions de lignes.
"Cela devrait être anecdotique", confie un connaisseur du dossier.
Protéger les hubs
Excluant les vols en correspondance, cette règle des 2h30 a été en effet interprétée comme une règle concernant essentiellement Orly, aéroport spécialisé sur les vols dits de "point-à-point", contrairement à Roissy Charles-de-Gaulle, principal aéroport de transit français et plateforme de correspondances d'Air France. Ainsi, selon cette interprétation, les vols reliant Orly à Lyon, Nantes et Bordeaux, toutes concurrencées par un train effectuant le trajet en moins de 2h30, devraient être supprimés comme l'ont été il y a des décennies les vols vers Lille, puis, plus récemment vers Strasbourg, non en raison d'une injonction administrative, mais en réponse à un marché qui avait fait le choix d'un autre mode de transport. Air France, qui perdait beaucoup d'argent sur ces lignes, les a fermées au moment de l'arrêt quasi-complet des vols en avril, et ne les a pas rouvertes depuis (la compagnie avait déjà prévu d'arrêter Nantes avec la crise du Covid-19).
Pour autant, selon nos informations, le projet de loi climat ne devrait pas être rédigé de manière à interdire les lignes entre Orly et toutes les villes reliées à Paris en moins de 2h30 en train. Car, si Orly est effectivement un aéroport essentiellement de point à point, il n'en possède pas moins un trafic de correspondance important vers les départements d'outre-Mer et, dans un degré moindre, entre les villes françaises. En effet, la quasi-totalité des vols vers les DOM d'Air France, d'Air Caraïbes, de Corsair et de French Bee décollent d'Orly.
Aussi, même sur la plupart des lignes concernées par la règle des 2h30, le maintien d'un certain nombre de vols permettant d'alimenter les vols long-courriers vers les Antilles, la Réunion, Mayotte ou la Guyane seront maintenues, à condition qu'ils justifient plus de 50% de passagers en correspondance. Ce qui correspond à la notion de "discernement" dans l'application de cette règle, évoquée par Jean-Baptiste Djebbari, le ministre délégué aux Transports. "Cette règle des 2h30 doit être appliquée avec discernement. Cela dépend des correspondances. Il faut préserver les hubs nationaux et internationaux", a-t-il déclaré vendredi dans les colonnes de l'Opinion.
De quoi maintenir quelques vols quotidiens sur ces fameuses lignes concurrencées par un train effectuant le trajet en moins de 2h30, calées sur les horaires de départ et d'arrivées des vols long-courriers. En pratique, une mesure s'apparenterait à une vraie usine à gaz. Comment, et qui va vérifier que les vols sont bien remplis d'une majorité de passagers en correspondance ?
Reste à savoir ce que feront les compagnies aériennes. Air France vient de signer un partenariat avec la SNCF pour acheminer ses passagers en provenance de Bordeaux à Orly, via la gare de Massy en banlieue parisienne. Malgré cette offre pour les passagers en correspondance, l'arrêt de la navette Orly Bordeaux est problématique pour un grand nombre d'entreprises du secteur aérospatial disposant d'une activité à proximité de l'aéroport de Bordeaux. Avant crise, 500.000 clients environ utilisaient cette navette.
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