
"Si la voiture individuelle est la grande gagnante, c'est que nous aurons raté quelque chose", déclarait le 16 avril dernier Jean-Pierre Farandou, le PDG de la SNCF lors d'une audition au Sénat, au cours de laquelle il détaillait les mesures sanitaires prises par l'entreprise ferroviaire pour rassurer les clients à la sortie du premier confinement le 11 mai.
Neuf mois plus tard, c'est la douche froide au sein de la société ferroviaire. "La voiture a gagné", a reconnu ce 19 janvier Christophe Fanichet, le PDG de SNCF Voyageurs, en commentant les résultats de l'enquête sur les déplacements des Français entre les deux confinements, réalisée par l'observatoire Société et Consommation (L'ObSoCo) et le cabinet d'études et de prospectives Chronos, en partenariat avec l'agence de l'environnement et la maîtrise de l'énergie (ADEME) et la SNCF. De l'aveu même de Christophe Fanichet, les résultats de cette enquête réalisée entre le 21 et 29 octobre auprès de 4.500 personnes âgées de 18 à 75 ans ont provoqué "un petit cataclysme" au sein de la société ferroviaire, qui l'an dernier a perdu 42% de ses clients.
La marche, le vélo, la voiture, le tiercé gagnant de la mobilité
Car, si cette enquête montre une tendance forte à la limitation des déplacements du quotidien, liée au développement du télétravail, du commerce en ligne, et d'une mobilité davantage tournée sur la proximité, elle met en également en évidence l'usage accru des modes individuels, comme la marche ou le vélo, mais aussi la voiture individuelle, considérée par la SNCF comme sa principale concurrente.
Ces trois modes de transport sont les seuls, parmi une liste de quatorze, à avoir vu leur utilisation progresser, alors que le TGV et les transports collectifs urbains occupent les deux dernières places du classement, derrière le covoiturage et les taxis.
Les transports collectifs "étant les plus fortement associés au contact avec les autres usagers et au risque de contamination", rappelle L'Obsoco, cette tendance est, sans surprise, liée à la crise sanitaire. Les efforts colossaux des entreprises de transport en commun pour assurer la sécurité sanitaire n'ont visiblement pas convaincu les Français. Seuls 52% des personnes interrogées leur font en effet confiance pour assurer la sécurité sanitaire des usagers, tandis qu'une personne sur deux ne sont pas rassurés par la capacité des autres voyageurs des transports collectifs à respecter les gestes barrières.
L'expérience "utilisateur" des automobiles positive
Au regard de la satisfaction qui, selon l'étude, entoure l'utilisation de la voiture, ces tendances observées pendant la crise pourraient donc perdurer dans le "monde d'après". Si l'expérience de la "démobilité" est jugée positive par 55% des sondés, cette satisfaction se concentre en effet sur les modes de transport individuels, en particulier la voiture individuelle. Avec une note de 8 sur 10, celle-ci obtient le meilleur score de satisfaction, juste derrière la marche (8,1), mais devant le vélo (7.7). L'enquête ne le dit pas, mais au-delà des conditions sanitaires rassurantes de l'automobile individuelle, la réduction des embouteillages liées au développement du télétravail doit probablement jouer dans la satisfaction des automobilistes.
Une tendance appelée à perdurer
A la question sur l'utilisation des modes de transport du quotidien dans les années à venir, la voiture s'en sort une nouvelle fois très bien. Alors que seul l'usage de la marche et du vélo est appelé à progresser, celui de la voiture personnelle est stable (avec les vélos libre service), alors que celui de tous les autres modes de transport est en baisse.
Pour les déplacements occasionnels (vacances, visites à des proches...), l'usage de la voiture est même le seul qui devrait progresser selon l'enquête. A tel point que les certitudes d'hier le sont beaucoup moins aujourd'hui. Encore écrasante il y a peu, la part des Français estimant que les transports collectifs constituaient l'avenir s'écroule de 9 points par rapport à 2018.
"Bien qu'encore majoritaire, l'idée selon laquelle l'avenir appartiendrait aux transports collectifs perd en intensité", fait remarquer l'étude. 60% l'espèrent toujours, contre 69% il y a deux ans. En tout cas, la part écrasante des Français (68%) qui pensaient il y a deux ans qu'il faudrait abandonner la voiture pour d'autres modes de transport afin d'éviter les nuisances qu'elle provoque tombe à 50%, au même niveau que ceux qui estiment "qu'on ne pourra jamais complètement abandonner la liberté que procure la voiture pour les déplacements".
"On voit un regain de la voiture pendant cette crise. La voiture est une réponse au risque sanitaire mais aussi un espace de liberté. La liberté et l'autonomie que procure la voiture est quelque chose auxquels les Français sont attachés", a commenté, Guénaëlle Gault, directrice générale de l'Obsoco, en précisant que cet attachement à l'automobile s'accompagne avec la volonté accrue d'être propriétaire de son véhicule.
Pour 50% des Français, la priorité des Français sera d'être propriétaire de leur mode de transport (+18 points par rapport à 2018). En forte hausse avant la crise, les solutions de covoiture, d'abonnement, de location s'effondrent.
De quoi accentuer les clivages dans la société entre partisans et opposants à l'automobile, sur fond de lutte contre le réchauffement climatique notamment. "On voit un attachement à l'automobile et à la propriété qui semble se renforcer du fait de la crise mais aussi une part minoritaire mais croissante de personnes qui affirment une posture de plus en plus critique à l'égard de la voiture", note Guénaëlle Gault.
Un paradoxe pour la SNCF
Pour Christophe Fanichet, le développement de l'usage de la voiture constitue en effet un paradoxe. "Les Français veulent plus d'écologie, plus de modes de transport doux, pour autant, ils prennent plus la voiture et non pas la mobilité partagée qui sont offerts par les transports collectifs qui sont entre 30 à 80 fois moins polluants", a t-il, en expliquant cette tendance par les attentes sanitaires des passagers.
Redoutant que la voiture soit considérée comme valeur refuge dans cette crise sanitaire, Laurent Jegou, chef de projets Mobilité-Prospectives chez Chronos, propose "un durcissement des contraintes sur la voiture dans les centres urbains" et milite pour la mise en place de "véritables systèmes-vélos" pour développer l'usage des vélos. Il reconnaît néanmoins que dans les zones moins denses, "les contraintes structurelles qui pèsent sur la mobilité ne seront pas naturellement levées car les leviers d'actions sont lourds à activer".
Pas un mot en revanche dans cette présentation sur le verdissement du parc automobile et de la nécessité d'aller plus loin dans le développement à grande échelle d'un réseau de bornes de recharge électrique (dans les centres urbains notamment, mais pas que), lequel permettait de concilier l'attachement d'une majorité des Français à l'automobile et les impératifs de transition écologique.
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