« Pour cette année 2024, nous avons plusieurs défis à relever dans notre cœur de métier, la sécurité, la sûreté, la ponctualité... et la Direction des services de la navigation aérienne (DSNA) ne doit pas être le maillon faible de cette chaîne. Nous allons nous y employer. » Dès le début de son discours, Damien Cazé, directeur général de l'aviation civile, a donné le ton.
Alors qu'il s'exprimait devant un parterre de représentants de compagnies aériennes, mercredi à l'occasion de l'assemblée générale du BAR France (Board of Airlines Representatives - France, association des représentants de compagnies aériennes en France), il a affiché sa volonté de poursuivre le chantier de la réforme du contrôle aérien en France. Pour cela, il va devoir avancer sur trois tableaux, qui s'entremêlent par moment : le social, le politique et le technique.
Entité chargée du contrôle aérien au sein de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), la DSNA n'a clairement pas bonne presse du côté des compagnies aériennes. Elle est souvent pointée du doigt, que ce soit en raison des retards engendrés dans le service que des grèves jugées très fréquentes. Sans compter des événements comme celui-ci mis en avant récemment par le Bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile (BEA) avec une catastrophe aérienne évitée de peu à Bordeaux.
« Nous avons une navigation aérienne en France qui n'est pas très performante et qui est surtout très en retard sur sa modernisation », reconnaît lui-même Florian Guillermet, directeur de la DSNA
Accélération de la transformation
Depuis son arrivée il y a deux ans et demi, Florian Guillermet s'est donc attelé à lancer « une stratégie de transformation qui vise à revenir en maîtrise de performance, à accélérer la modernisation, à réorganiser (la DSNA) y compris au niveau de (son) implantation territoriale et enfin à mieux prendre en compte la dimension environnementale dans toutes (ses) opérations. » Et, avec le soutien de Damien Cazé, les choses semblent s'accélérer.
Cela passe par une grande remise à plat des relations, parfois complexes, avec les contrôleurs aériens. Le DGAC sait qu'il ne pourra pas avancer frontalement contre eux. Demandant aux compagnies de ne pas tomber dans le « contrôleur bashing », il souligne l'importance de « les embarquer dans le changement » plutôt que d'espérer « gagner un bras de fer ». Un dialogue social a été ainsi engagé sur plusieurs volets concomitants.
Un premier pas important a été franchi avec la mise en place de la loi portée par le sénateur Vincent Capo-Canellas (Union centriste) avec le soutien essentiel du syndicat national des contrôleurs du trafic aérien (SNCTA), majoritaire dans la profession. En vigueur depuis fin décembre, celle-ci oblige les contrôleurs grévistes à se déclarer deux jours à l'avance, afin de pouvoir organiser le service et limiter les perturbations du trafic.
« Cette loi devrait mettre un terme aux errements que nous avons connus pendant tout le premier semestre 2023 sur l'exercice du droit de grève, qui a conduit à des dysfonctionnements tout à fait scandaleux, inadmissibles. Ce n'est qu'un premier pas », a lancé Damien Cazé, visiblement favorable à un encadrement plus important du droit de grève.
Un cran plus loin
Le directeur de la DGAC affirme « devoir encore dynamiser l'organisation du temps de travail qui n'est pas assez en adéquation par rapport à vos besoins (les compagnies), avec la nécessité de devoir mieux coller à la pointe. C'est ce à quoi on va s'atteler dans les semaines qui viennent, parce que nous en avons grandement besoin face à un trafic qui augmente ».
Un nouvel accord est ainsi visé pour gagner en flexibilité, avec une meilleure prise en compte de la saisonnalité et des périodes de forte demande sur les vacances et les fins de semaine. Mais rien ne dit pour l'instant que cela sera possible d'y arriver avant l'été prochain.
Florian Guillermet a, de son côté, confirmé qu'un plan d'actions correctives était en cours pour faire face à la problématique des « clairances » mise en lumière par l'incident de Bordeaux. Sans donner de détail, il promet un contrôle renforcé des présences sur site pour faire face à ce système quasi-institutionnalisé, qui permet à des contrôleurs d'ajuster leur temps réel de présence au travail sans contrôle de la part de l'encadrement.
Déséquilibre géographique
La prochaine étape pour Damien Cazé et Florian Guillermet sera de s'attaquer en profondeur à l'implantation géographique du contrôle aérien. Selon les deux hommes, la DSNA souffre d'un dispositif pléthorique de 80 tours de contrôle, dont la moitié ne se justifie pas à leurs yeux en raison d'un trafic trop faible. Ce qui disperse ses forces, complique le maintien des qualifications des contrôleurs et rend une modernisation généralisée impossible.
Cet aspect revêt une dimension politique, comme le reconnaît Florian Guillermet, bien conscient que la DSNA ne sera pas décisionnaire sur le nombre et la répartition des tours de contrôle qui pourraient être vouées à disparaître.
Cela s'accompagne naturellement d'une réflexion sur une meilleure répartition des effectifs. Actuellement, les agents du contrôle aérien peuvent demander des mobilités qui sont accordées de droit. Ce qui pénalise fortement le centre en route de la navigation aérienne Nord (CRNA Nord), à Athis-Mons, en région parisienne. En sous-effectifs chroniques du fait d'un déficit d'attractivité face aux quatre aux CRNA (Aix-en-Provence, Reims, Brest et Bordeaux), il est source de retards pour le trafic sur les aéroports parisiens qui devraient perdurer en 2024.
La politique de ressources humaines doit aussi s'adapter aux départs à la retraite massifs attendus sur les dix prochaines années. Entre 2028 et 2033, la DSNA pourrait perdre un tiers de ses contrôleurs, ce qui l'oblige à anticiper dès à présent des recrutements. D'autant que, comme le regrette Florian Guillermet, il faut cinq ans pour former un contrôleur français alors que la moyenne européenne est plutôt de l'ordre de 2 ans et demi à trois ans.
La fin de l'Arlésienne de la modernisation ?
Sur le plan technique, la DSNA doit composer avec un équipement « obsolète », des mots mêmes de Damien Cazé. Ce dernier le décrit comme « très en deçà de ce qu'on constate à l'étranger, ce qui est source de dysfonctionnements nombreux pour les aéroports comme pour les compagnies et source d'insatisfaction quotidienne pour les contrôleurs ».
Longtemps reporté, au point d'être un temps vu comme une Arlésienne, le programme de modernisation 4-Flight est désormais bien enclenché depuis un premier déploiement au CRNA Est à Reims mi-2022. Mais cela n'est pas sans difficulté, comme a pu le constater l'aéroport de Nice lors de sa mise en œuvre sur le CRNA Sud-Est à Aix-en-Provence, fin 2022. Cela génère encore aujourd'hui quelques retards, concède Florian Guillermet, mais il assure que l'amélioration sera sensible en 2024.
Le gros morceau est attendu cette année au CRNA Nord, avec le déploiement de 4-Flight sur le centre d'Athis-Mons en novembre prochain. Une phase de tests vient tout juste de s'achever. Celle-ci se voulait plus approfondie que dans les autres CRNA, pour ne prendre aucun risque au vu de l'importance du trafic géré. Si Florian Guillermet se félicite d'un comportement très sain du système sur le plan technique, il reconnaît certaines difficultés, dont des problèmes de compatibilité de 4-Flight avec un antique matériel en place dans la tour de contrôle de Roissy-CDG qui a obligé à suspendre momentanément l'expérimentation et à faire des adaptations.
Florian Guillermet admet en toute honnêteté que le « risque zéro » n'existe pas, mais il assure que tout sera mis en œuvre pour être prêt pour novembre. Et si le dialogue reste ouvert avec les compagnies et aéroports - qui craignent des pertes de capacité pour la période de Noël - Damien Cazé a affirmé sa détermination à tenir ce calendrier et ne pas décaler non plus l'arrivée de 4-Flight dans les deux derniers CRNA en 2026. D'autant que la DSNA lance en parallèle la modernisation d'une quinzaine de tours de contrôle en régions, avec Nice comme priorité pour 2025.
L'impulsion donnée par Florian Guillermet dans l'impulsion de ces chantiers est indéniable. Pourtant, il n'en verra pas l'achèvement. Il a été désigné pour prendre la tête de l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) en avril prochain. Mais Damien Cazé assure que son successeur « aura la même ligne de conduite ».
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