Pour ou contre : faut-il baisser la demande de mobilité ? Christophe Gay (Forum Vies Mobiles) face à Mathieu Flonneau (enseignant-chercheur)

La question des mobilités est devenue un sujet de forte préoccupation des Français... Christophe Gay, co-directeur du Forum Vies Mobiles, s'interroge sur une société du toujours plus de mobilités, là où il y a trop de déplacements inutiles ou subis. De son côté, Mathieu Flonneau, enseignant-chercheur d'histoire contemporaine à l'Université de Paris 1, met lui en garde contre un risque de déclassement social qu'entraînerait la mise en oeuvre de la "ville du quart d'heure" ou du "territoire de la demi-heure".
(Crédits : DR)

Entre la guerre des taxis contre les VTC, la déferlante des trottinettes dans l'espace urbain, les polémiques sur la place de la voiture en ville, la crise des gilets jaunes, ou encore les sévères restrictions des déplacements pendant les confinements, jamais les questions de mobilité n'ont autant occupé l'espace médiatique qu'au cours de ces cinq dernières années. Et ce n'est pas fini. Avec la hausse durable des prix du carburant, l'obligation de réduire les émissions de CO2, mais aussi l'aspiration d'une partie de la population à quitter les villes pour se mettre au vert, la problématique de la mobilité va rester extrêmement sensible tout au long de la prochaine décennie. Ni l'Etat, ni les collectivités territoriales ne semblent d'ailleurs avoir trouvé la martingale qui réconcilie la qualité de vie, la mobilité et l'environnement.

C'est dans ce brouhaha médiatique, qui télescope liberté de mouvement mais aussi pouvoir d'achat, qu'a surgi l'idée de "démobilité". Un concept qui ne cherche plus à traiter la demande de mobilité par une offre supplémentaire, mais vise au contraire à la baisser à travers des solutions d'évitement des déplacements, notamment ceux qui sont subis et saturent les routes et les transports publics aux heures de pointe. Problème, le débat sur la "démobilité" va bien au-delà de la question des transports. Elle impacte aussi tous les réseaux logistiques qui permettent de moins se déplacer, mais aussi les rapports de classe.

Alors, faut-il réduire la demande de mobilité ?

Pour GAY

Oui, la démobilité est nécessaire. Jusqu'ici, notre société a utilisé deux leviers pour résoudre le problème de la pollution et des émissions de gaz à effet de serre liées à la mobilité. Celui de l'innovation technologique, en améliorant l'impact environnemental des carburants ou en jouant sur l'efficacité des moteurs. Et le levier du transfert modal en encourageant les personnes à quitter leur voiture pour aller vers les transports en commun ou le vélo. Mais, il y a un levier qui est totalement ignoré par les autorités alors qu'il est celui le plus recommandé par l'ONU et d'autres organisations internationales : celui d'éviter les déplacements. Cette démobilité consiste à réduire les distances parcourues au quotidien et le temps passé à se déplacer. Au 19ème siècle, nous parcourions 4 km par jour en moyenne. Aujourd'hui, c'est 60 km et 1h30 par jour. Ces pratiques de mobilité sont ancrées dans notre quotidien, et peuvent paraître aussi naturelles que respirer de l'air. Mais toutes nos enquêtes démontrent que chez certains, cette mobilité est une contrainte et qu'ils en souffrent. Pour eux, l'aspiration à réduire le temps passé dans les transports et les distances parcourues est très forte.

Par ailleurs, le mouvement des gilets jaunes a mis en lumière la forte dépendance des gens à la voiture individuelle, une mobilité non seulement carbonée mais aussi coûteuse. Pour ceux qui n'ont que la voiture pour se déplacer, la moindre hausse de taxe ou des prix du carburant devient invivable. Aussi, si l'on veut répondre à l'urgence climatique sans exacerber les inégalités face à la mobilité, il faut offrir des solutions alternatives qui permettent de moins utiliser la voiture. Ce n'est plus seulement un enjeu environnemental, c'est aussi une question de pouvoir d'achat, de qualité de vie et également de santé publique en rendant possible la pratique de la marche et du vélo.

Pour que ces alternatives à la voiture soient crédibles, il faut donc repenser l'organisation des territoires afin de favoriser les activités en proximité et réduire les distances à parcourir au quotidien. C'est ce que l'on appelle la ville du quart d'heure ou le territoire de la demi-heure. Dans les deux cas, il s'agit de réunir dans un même espace les divers centres d'intérêt qui poussent aux déplacements : le logement, l'emploi, les commerces et les lieux de loisirs. Certes ; redéployer les services publics, les commerces, repenser la localisation des entreprises et des logements... tout cela prend du temps. Aussi ; il faut sans attendre poser les bases d'un système moins dépendant de la voiture individuelle. Comment ? En proposant des infrastructures de transport alternatives (pistes pour les vélos et la marche, transports collectifs...) et en réorganisant nos activités pour éviter certains déplacements subis ou inutiles grâce, par exemple, au télétravail. La mobilité ne peut plus être la variable d'ajustement des modes de vie des individus car elle est aliénante dans sa configuration actuelle !

Contre FLONNEAU

Non. Il ne faut pas pousser à la démobiltié. A travers ce concept, on observe une tentation d'expliquer la dégradation des conditions de vie par la dégradation de l'accès aux mobilités. Pourtant, la réalité de la démobilité n'est pas fondée sur la seule sobriété écologique, mais plutôt sur une contrainte qui a trait à l'accroissement du coût de la mobilité, à la saturation problématique des modes capacitaires et au coût du foncier qui atteint des records dans certaines zones, poussant ainsi les gens à s'éloigner. Il existe également une contrainte liée à la congestion qui, paradoxalement, est parfois mise en œuvre par les autorités elles-mêmes lorsqu'elles restreignent volontairement la circulation.

La ville autoréalisatrice du quart d'heure illustre les faiblesses du concept de démobilité. D'un côté, elle revendique cette sobriété dans la consommation de mobilité, alors qu'en réalité, cette ville miraculeuse du quart d'heure est extrêmement équipée, connectée et incarne le triomphe des flux logistiques qui ne sont pas moins carbonés. En outre, ce modèle urbain s'avère être le promoteur pervers de la précarisation du travail, avec l'ubérisation des transports avec ses VTC ou son cortège de livraisons de repas minutées. C'est la Silicon Valley qui prospère sur cette imposture !

On peut donc regretter que cet hypercapitalisme moralisant, qui est à l'origine de ce concept de démobilité, impacte durablement les emplois liés aux déplacements (les métiers des transports publics régulés et de l'industrie automobile) mais aussi tout le tissu économique et le maillage des territoires. Le schéma d'une démobilité qui favoriserait les hyper-centre-villes au détriment de leurs périphéries reproduit donc, dans les faits, une nouvelle forme de ségrégation sociale, qui paupérise et perpétue, sous une nouvelle forme, une France du déclassement.

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Commentaires 10
à écrit le 08/04/2022 à 21:41
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Si on est cohérent on est bien obligés de fuir la ville. Pollution, vie intenable et le risque d'agression. Regardez l'autre semaine en plein jour près de la fête foraine un gamin de 16 ans a été exécuté à coups de couteau, cause vient d'une autre z...

à écrit le 08/03/2022 à 18:03
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Ce n'est pas "la demande" de mobilité mais simplement "l'offre", qu'il faut limité!

à écrit le 08/03/2022 à 14:00
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Comment organiser la demobilité lorsque Pole Emploi fait signer aux chomeurs un contrat selon lequel, en contrepartie d'une (maigre) indemnisation, ils s'engagent a chercher n'importe quel emploi dans un rayon d'une heure de trajet de son domicile, s...

à écrit le 08/03/2022 à 6:17
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Que les entreprises recrutent leurs collaborateurs dans leur bassin d'emploi serait déjà une grande avancé. Qu'ils arrêtent de chercher le mouton à 5 pattes. La mobilité professionnelle forcée est la première cause de gaspillage énergétique, de temps...

à écrit le 07/03/2022 à 15:58
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"ou encore les sévères restrictions des déplacements pendant les confinements" Logique puisque le but final de ce confinement strict concocté par le gouvernement ,le conseil de machin et sa clique de médecin et épidémiologiste de plateau TV était ...

à écrit le 07/03/2022 à 13:57
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Les gens sont plus responsables qu’on le pense. Oui à la pédagogie, non à toutes ces contraintes réglementaires de la part de gens qui pensent tout savoir

à écrit le 07/03/2022 à 13:41
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Le transport et le tourisme de masse sont les premières mobilités à réduire. Pas à stigmatiser les Français dans leur choix de lieu de vie et de déplacement.

le 07/03/2022 à 16:26
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a part que le tourisme de masse c est une faible partie de la consommation de petrole et la pollution associee. C est sur qu interdire les croiseres ca peut pas faire de mal (a part que ca va faire hurler les vieux) mais ca represente rien en CO2. En...

à écrit le 07/03/2022 à 12:39
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l argument contre est assez faible. Il est meme faux sur certains point car il s agit de favoriser une diffusion sur le territoire au lieu de renforcer les hyper centre comme il l evoque. On pourra rajouter au pour la demobilite le fait que ca reduir...

à écrit le 07/03/2022 à 12:34
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Le rapprochement production consommation et élimination des intermédiaires est l'une des voies; des transports en commun..., une deuxième et le troc une troisième!

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