En Normandie, l'avancée de la mer place les communes au pied du mur

Le recul du trait de cote s’accélère en Normandie dont les deux tiers du littoral sont en butte à des phénomènes d’érosion, contraignant les collectivités à changer d’approche. L’enjeu n’est plus tant de se protéger des assauts des vagues que de laisser la mer reprendre ses droits.
Feu le camping de la plage de Quiberville-sur-mer. Noyé sous les eaux à plusieurs reprises, il va migrer à 700 mètres à l'intérieur des terres, au prix d'un programme  reconnexion terre-mer unique en France.
Feu le camping de la plage de Quiberville-sur-mer. Noyé sous les eaux à plusieurs reprises, il va migrer à 700 mètres à l'intérieur des terres, au prix d'un programme "reconnexion terre-mer" unique en France. (Crédits : DR)

L'événement a fait grand bruit localement, au propre comme au figuré. Le 22 février, une partie de la falaise de craie qui domine Fécamp s'est effondrée à quelques encablures de la plage sans que rien le laisse prévoir. Un énorme pan de 40 mètres de large sur 15 mètres de profondeur s'est abîmé 100 mètres plus bas sans heureusement faire de victimes. Si l'éboulement -spectaculaire- a suscité beaucoup d'émoi dans la station balnéaire très fréquentée à cette période, ce type d'accident est devenu monnaie courante sur la cote normande.

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Etretat a ainsi subi trois effondrements au cours des douze derniers mois. Un peu plus à l'Est, les habitants de Criel-sur-mer ont vu tomber des morceaux de 60 mètres de long et jusqu'à 8 mètres de large pendant l'hiver 2021. Rien qui surprenne le géologue caennais Stéphane Costa, un des meilleurs spécialistes français de l'érosion des falaises qu'il surveille comme le lait sur le feu depuis trois décennies. « On ne parle que des événements qui se produisent dans les sites touristiques mais en réalité, on dénombre entre 60 et 70 éboulements chaque année », rappelle t-il. Soit un tous les cinq jours.

La menace se rapproche

Buttes témoins de la vulnérabilité du littoral, les falaises crayeuses ne sont pas les seules à souffrir d'un retrait. Les deux tiers des cotes normandes qui s'étendent sur plus de 600 kilomètres s'érodent plus ou moins rapidement. La Seine-Maritime fait même partie des cinq départements français* qui affichent un recul d'au moins 50% de ses rivages, selon l'indicateur national de l'érosion. Les conséquences sont déjà visibles. « 110.000 logements, 120.000 résidents et 54.000 emplois sont menacés par l'aléa inondation », estimait l'Insee Normandie dans une étude datée de 2020.

Problème, rien ne laisse entrevoir une amélioration. Bien au contraire. La Manche, mer peu profonde en forme d'entonnoir, favorise en effet le développement de fortes surcotes qui grignotent les plages, les cordons dunaires et sapent la base des falaises. Stéphane Costa a calculé qu'avec une élévation du niveau de la mer d'un mètre -une hypothèse dorénavant considérée comme basse- les épisodes de forts coefficients de marée devraient survenir « jusqu'à 65 fois par an contre 4 à 5 fois aujourd'hui ». De quoi enchanter les amateurs de pêche à pied, beaucoup moins les élus et riverains du littoral.

Les collectivités au pied du mur

Impossible dans ces conditions de regarder ailleurs, pour les universitaires réunis au sein du GIEC normand, équivalent régional du groupement international. « Désormais, l'hypothèse de relocalisations des ensembles bâtis les plus exposés est à l'ordre du jour », écrivent-ils dans leur dernier rapport. Considérée comme une hérésie il y a quelques années, la réflexion chemine. Après avoir longtemps exclu « le déménagement du territoire », les collectivités concernées se résolvent à l'envisager. Le sujet n'est plus tabou, constate le géologue caennais. Les élus sont passés du stade du « ce n'est pas possible » à celui du « comment fait-on ? » ».

A Varengeville-sur-mer (Seine-Maritime) par exemple, la municipalité étudie la possibilité de transférer sur un autre site sa célèbre église aux vitraux signés de Georges Braque. Construite à 400 mètres du bord de la falaise, l'édifice qui reçoit 55.000 visiteurs chaque année n'est plus qu'à 40 mètres du vide. A Criel-sur-mer, c'est la route touristique de la digue que les élus songent à condamner.

Pour autant, le passage à l'acte reste rare. La tentation de bâtir ou de rebâtir des ouvrages de protection cède parfois le pas à une approche plus radicale, quitte à engager un bras de fer avec les autorités préfectorales comme c'est le cas à Agon-Coutainville dans la Manche où le prolongement de la digue souhaité par la municipalité suscite de vifs débats ainsi que le relate Ouest France. Difficile de faire fi d'un siècle de croyance dans une ingénierie salvatrice.

« Même si, de mon point de vue, c'est un investissement d'avenir, recomposer spatialement la bande littorale est compliqué techniquement, socialement, sociologiquement, financièrement, donc politiquement », concède  volontiers Stéphane Costa.

Le cas d'école de Quiberville

Certains, pourtant, franchissent le pas. Ebranlée par plusieurs épisodes de submersion et d'inondation, la station balnéaire de Quiberville-sur-mer près de Dieppe a décidé de ne plus lutter contre les eaux. Un virage à 360 degrés assumé droit dans ses bottes par son maire. « Par le passé, j'étais de ceux qui disaient, on va maintenir le trait de cote, raconte Jean-François Bloch. J'ai beaucoup évolué dans ce domaine parce j'ai vu la nature nous chahuter régulièrement ». Ici, pas question de rafistolage transitoire. Depuis dix ans, la municipalité élabore avec constance un programme de « reconnexion terre-mer » unique en France, avec la complicité de l'Agence de l'eau et du conservatoire du littoral.

Déplacement du camping « de la plage » à l'intérieur des terres, renaturation des zones humides pour favoriser la biodiversité, élargissement de la digue pour permettre l'expansion du fleuve côtier de la Saane, création d'une nouvelle station d'épuration... Tout a été pensé pour restaurer les fonctionnalités naturelles du site sans hypothéquer l'activité économique. Coût de l'opération : 25 millions d'euros (financé pour moitié par l'Europe). Le prix de l'exemplarité. « C'est le premier territoire à accepter le retour de la mer », se félicite-t-on au Conservatoire du littoral. « Le projet va essaimer parce qu'il montre que c'est possible sans nuire à l'attractivité », veut croire Stéphane Costa.

Estampillé de 4 étoiles, une de plus que le précédent, le nouveau camping de Quiberville ouvrira l'été prochain. Curieux, ne pas s'abstenir.

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Commentaires 7
à écrit le 06/03/2023 à 9:53
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Je reformule : j'ai vécu plus de 30 ans sur les côtes du Pays de Caux. Et les chutes de falaises, les tempêtes infernales avec du sel partout, etc...ce n'est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c'est qu'on se la joue en permanence façon fin du monde, p...

à écrit le 04/03/2023 à 0:24
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L' actualité médiatique fait régulièrement écho à l'effondrement de nos falaises de la côte d'Albâtre (dont le dernier en date il y a quelques jours à Fécamp). C'est avec stupéfaction que j'y découvre dans quel contexte assourdissant on continue de r...

à écrit le 03/03/2023 à 11:10
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Les pans de falaises de la Côte d'Albâtre qui tombent, ce n'est pas vraiment une nouveauté. A chaque fois que quelque chose pète, on en fait un cataclysme cosmique dans les média : ça devient gonflant, à la fin.

le 03/03/2023 à 23:54
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C est pas nouveau mais c est amplifier par 10 on voit que vous êtes un parigo- je -sais- tout.. mais qui ne sais rien … car ne vit pas sur place !! oust restez donc à paris à barboter vos purées dans la Seine …hormis l accentuation des pans de falais...

à écrit le 03/03/2023 à 8:03
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Je ne suis pas normand et ça m'intéresse. Parce que si on va par là la pièce du vega-C ca n’intéresse que les astronautes ? Replongez vous dans les mots croisés.

à écrit le 03/03/2023 à 6:48
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Bof ,sujet qui n'intéresse que les Normands

le 03/03/2023 à 8:53
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Disons les gens près de la mer, donc une grande partie du pays. Y a pas eu un bâtiment détruit y a peu, la mer se rapprochait trop et usait dangereusement la colline ? D'aucuns disaient que c'était construit sur la 'plage' (sable), mais à l'époque il...

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