
Alors que les épisodes de sécheresse sont appelés à se multiplier, la France semble décidée à se convertir à ce que les francophones appellent la « REUT » et les anglo-saxons le « RE-USE » : la réutilisation des eaux usées et traitées. Lors d'une visite en Normandie hier, le ministre de la transition écologique a, en effet, confirmé la parution prochaine de « deux décrets » (le 31 août pour la premier, fin octobre pour le second) visant à lever « les freins réglementaires pour la réutilisation des eaux usées dans l'industrie ».
Le lieu de l'annonce n'avait pas été choisi au hasard. Accompagné de Stanislas Guerini, ministre de la transformation publique et d'Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée à la santé, Christophe Béchu s'est déplacé dans la plus ancienne des usines du groupe Danone, à Ferrières-en-Bray (Seine-Maritime), la première construite il y a 170 ans par le patriarche Charles Gervais.
220 millions de litres recyclés
Voilà en effet plusieurs mois que l'établissement travaille sur un pilote industriel pour le recyclage de ses eaux usées dans le cadre du dispositif « France Expérimentation ». Le décret promis pour l'automne aux industriels de l'agro-alimentaire était le signal qu'attendaient ses dirigeants pour passer à la phase des travaux pratiques.
« Nous avons déjà réduit notre consommation de 20 % en trois ans grâce à des mesures de sobriété mais il était difficile d'aller plus loin sans passer par le re-use », a expliqué François Eyraud, patron de Danone France, devant les ministres.
Moyennant un investissement chiffré à 4 millions d'euros, le site pense possible de réutiliser un tiers des eaux usées que sa station d'épuration rejette chaque année, après traitement, dans le ruisseau voisin. A la clef, une économie de 200.000 euros par an. Soit un temps de retour sur investissement... d'une vingtaine d'années, calcule tout haut François Eyraud. « Nous ne faisons pas ça pour l'argent », confie-t-il.
Concrètement, 200 millions de litres seront recyclés pour refroidir les tours aéro-réfrigérantes mais surtout pour alimenter un processus aujourd'hui très gourmand en eau du réseau. A savoir : le rinçage quotidien de la cinquantaine de cuves contenant le yaourt ainsi que le nettoyage des lignes de production entre deux changements de « parfum ».
« Bien que considérée comme propre à la consommation, cette eau n'entrera jamais en contact avec les produits destinés à l'alimentation », jure Bruno Mauduyt, directeur du site. Didier Faubel, responsable d'exploitation, se veut lui aussi rassurant. « Nous avons l'expertise parce que le re-use est déjà fonctionnel dans sept sites de Danone dans les pays voisins », rappelle-t-il.
La France en retard
L'enjeu n'est pas mince. Accompagnant l'État et les collectivités territoriales pour l'élaboration, le déploiement et l'évaluation de politiques publiques d'aménagement et de transport, le Cerema a calculé que seulement 0,8 % des eaux usées étaient réutilisées en France contre près de 20 % en Espagne, 10% en Italie et 85% en Israël, champion toutes catégories. Dès lors, l'Hexagone a-t-elle été trop timorée ? « Peut-être, le ministère de la santé a-t-il ouvert très fort le parapluie », a risqué hier Agnès Firmin le Bodo pour qui il est temps de « réévaluer le rapport bénéfice-risque au regard de la situation climatique ».
Même son de cloche du côté de Christophe Béchu. Pour le ministre de la transition écologique, l'heure est au rattrapage. « L'industrie, qui représente 8% des prélèvements, doit prendre sa part. Si on réussit à faire au moins 20 ou moins 30 % comme Danone, on voit bien sur quelle pente on se situe », a-t-il souligné devant les journalistes. L'Etat se montrera aidant, a promis de son côté Stanislas Guerini. « Pour tous les angles morts de la réglementation, le message que nous passons c'est que France Expérimentation sera là. Ce dispositif trop méconnu doit être mis au service de France Nation Verte ». A bon entendeur
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