Veolia prône le modèle espagnol pour accélérer la réutilisation de l’eau en France

Alors que la France ne recycle que 0,2% des eaux usées traitées dans ses stations d'épuration, l'Espagne où Veolia est leader de la gestion de l'eau, fait preuve d'innovation en la matière. Une solution pour faire face au stress hydrique qui touche l'ensemble du pays et qui répond aux besoins de l'agriculture, des villes et en eau potable, mais qui peine à s'exporter sur le territoire français.
Le parc inondable de La Marjal à Alicante en Espagne a été bâti au sein de la ville soumise tant au stress hydrique qu'à des pluies torrentielles.
Le parc inondable de La Marjal à Alicante en Espagne a été bâti au sein de la ville soumise tant au stress hydrique qu'à des pluies torrentielles. (Crédits : DR)

En cette fin du mois de juin, les températures dépassent facilement les 30 degrés à Barcelone. Une chaleur écrasante qui s'accompagne d'un stress hydrique auquel la capitale catalane espagnole, comme toute l'Espagne, est désormais tristement habituée. Le pays est l'un des plus touchés par la sécheresse en Europe. Et l'été 2023 s'annonce plus ravageur encore que le précédent : les réservoirs ont atteint leur niveau de capacité le plus bas depuis ces 12 dernières années.

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Pour autant, l'Espagne n'a pas attendu de tels niveaux d'alerte pour réagir et voir dans la réutilisation de l'eau la solution à la pénurie d'eau qui la menace. Cette pratique consiste à recycler l'eau traitée des stations d'épuration pour l'utiliser à des fins d'irrigation agricole, de nettoyage public, pour recharger les nappes phréatiques ou encore produire de l'eau potable. Dès 1985, une première loi espagnole a instauré les conditions de base pour la réutilisation directe de l'eau. 22 ans plus tard, un cadre juridique est venu définir les exigences administratives, sanitaires et environnementales, ainsi que le contrôle de la qualité de l'eau et approuver les différentes utilisations de l'eau recyclée.

De quoi permettre à l'Espagne d'atteindre 15% de son eau actuellement réutilisée. Un chiffre certes bien faible comparé au 89% accomplis par Israël ou encore des 40% de Singapour...Mais très loin du score réalisé par la France qui ne recycle que moins de 0,2% de son eau. Autrement dit, (quasi) rien.

« Quatre à dix ans pour obtenir une autorisation en France »

Alors que l'été dernier a été marqué par une sécheresse ravageuse faisant naître en France la crainte d'une pénurie de l'or bleu, Emmanuel Macron a néanmoins présenté en mars dernier un plan eau qui fixe l'objectif de 10% d'eau usée retraitée et réutilisée d'ici à 2030. En d'autres termes, « nous voulons réutiliser 300 millions de mètres cubes, soit trois piscines olympiques, par commune » avait ainsi précisé le président de la République, indiquant que 1.000 projets seraient lancés en cinq ans. « Nous devons aussi faciliter et accélérer les procédures administratives et lever quelques verrous administratifs », avait-il admis. Un constat que partage Estelle Brachlianoff, directrice générale de Veolia, pour qui les freins à une accélération de la réutilisation des eaux usées sont largement de nature réglementaire.

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« Il faut quatre à dix ans pour obtenir une autorisation et à chaque nouveau projet on repart de zéro », regrette-t-elle, plaidant pour la mise en place d'un guichet unique plutôt que d'aller solliciter « quatre ministères différents qui ont chacun leur vision ».

« Un premier pas a été accompli avec le plan eau, mais cela doit désormais être traduit concrètement dans les textes et dans la pratique », affirme la dirigeante qui note de surcroît une demande croissante du côté des collectivités.

Car, s'il faut une impulsion nationale, la solution sera nécessairement à l'échelle locale, assure-t-elle, citant parmi les interlocuteurs privilégiés les agences de l'eau. Quant au financement, « de l'argent il y en a, ce qui pose problème c'est son fléchage ».

Des projets sont néanmoins en train d'émerger sur le territoire national à l'instar du projet Jourdain en Vendée. Le service public chargé de la production et la distribution de l'eau potable pour les 19 communautés de communes et d'agglomération de Vendée et l'Île d'Yeu a, en effet, confié à Veolia la construction, la réalisation et l'exploitation d'une unité d'affinage pour une mise en service en novembre 2023. Une première en France qui a pour objectif de réutiliser les eaux usées traitées pour en faire de l'eau potable avec une première phase de 100.000 m3 produits par an et une seconde passant à 4.800.000 m3 par an. Un projet est également à l'étude en ÎIe-de-France, lequel reposera lui aussi sur une technologie développée par Veolia : l'osmose inverse, ce système de filtrage de l'eau méconnu encore en France mais d'ores et déjà à l'œuvre en Espagne. « Nous avons appris beaucoup de choses en Espagne que nous voulons mettre à disposition de la France pour accélérer dans ce domaine », martèle Estelle Brachlianoff.

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L'exemple espagnol

Exemple phare du groupe français spécialisé dans la gestion de l'eau et des déchets : l'éco factory du Baix Llobregat - du nom du fleuve Llobregat - située à une trentaine de kilomètres de Barcelone. Mise en service en 2006, elle est la plus grande installation de réutilisation de l'eau espagnole avec une capacité de recyclage de l'eau de 95%, soit 300.000 m3 par jour. Un chiffre qui peut grimper à 315.000 m3 par jour en situation de stress hydrique. Et ce, grâce à la technologie Actiflo développée par Veolia notamment pour la production d'eau potable. Le groupe français revendique 1 milliard de mètres cubes d'eau recyclée en 2022 et 250 sites prévus à cet effet répartis dans 18 pays. Et bénéficie par ailleurs depuis le rachat de Suez en janvier 2022 du savoir-faire en la matière de l'entreprise espagnole Agbar (la Société generale des eaux de Barcelone), qui traite 23% des eaux en Espagne et recycle un tiers du volume total du pays, et dont Suez était devenu l'actionnaire à 100% en 2014.

Station d'épuration du Baix Llobregat en Espagne

[Au sein de l'éco-factory du Baix Llobregat, les eaux usées sont traitées lors de différentes étapes pour ensuite être réutilisées. Crédit : DR]

Le site du Baix Llobregat utilise également la technologie dite de l'osmose inverse pour le traitement et la réutilisation des eaux saumâtres et de l'eau de mer. Le procédé contribue ainsi à remplir les aquifères, ces réservoirs d'eau situés dans le sol et dans lesquels l'eau de mer s'engouffre quand leur niveau est trop bas. En outre, 50% de l'eau captée de la station d'eau potable de Barcelone provient de la station du Baix Llobregat. Elle fournit également dans une moindre mesure une irrigation pour l'agriculture et contribue à maintenir le niveau du fleuve.

Autre innovation espagnole : le parc de La Marjal à Alicante, au sud-est du pays, a été bâti au sein de la ville soumise non seulement au stress hydrique mais aussi aux pluies torrentielles de plus en plus fréquentes et intenses. D'une capacité maximale de 45.000 mètres cubes, ce parc inondable peut contenir l'équivalent de 18 piscines olympiques évitant ainsi aux zones avoisinantes, dont la plage de San Juan, d'être inondées. Les eaux de pluies peuvent ensuite être reversées dans le réseau de la ville ou être transférées jusqu'à une station d'épuration pour être traitées et réutilisées. Au-delà de sa fonction hydraulique, le parc, ouvert au public, présente également une fonction environnementale, souligne Amalia Navarro, directrice du développement durable au sein d'Aguas de Alicante. « Il a permis de recréer un écosystème avec beaucoup de végétation et un grand nombre d'espèces d'oiseaux, certaines en voie d'extinction », se félicite-t-elle.

Le parc inondable de La Marjal à Alicante a été bâti au sein de la ville soumise tant au stress hydrique qu'à des pluies torrentielles de plus en plus fréquentes et intenses.

[Le parc inondable de La Marjal à Alicante peut contenir l'équivalent de 18 piscines olympiques d'eau de pluie. Crédit : DR]

Recycler pour ne pas réduire sa consommation

Autant d'installations de réutilisation de l'eau qui permettent à l'Espagne d'envisager l'avenir plus sereinement, assure-t-on, malgré les risques qu'une aggravation du réchauffement climatique fait peser sur l'eau dans les années à venir. « En principe, on ne devrait pas avoir à réduire notre consommation d'eau », assure, en effet, Manuel Villar Sola, adjoint au maire d'Alicante, chargé de l'environnement et du cycle de l'eau. La ville espère atteindre 100% de réutilisation de ses eaux usées traitées grâce à un nouveau projet baptisé Alicante eau circulaire pour un investissement de 220 millions d'euros et qui devrait débuter en 2026. De quoi maintenir la consommation d'eau de cette ville dont la population passe de 335.000 à 450.000 habitants en saison touristique et dont l'économie compte essentiellement sur l'agriculture.

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Pourtant, « tout ne peut pas reposer sur le recyclage », rappelle la patronne de Veolia, citant notamment la nécessité de réduire les pertes causées par des fuites dans les réseaux. Mais surtout : réduire sa consommation. En d'autres termes : la sobriété. Un concept à l'épreuve de la réalité économique.

De nouvelles normes en Europe pour la réutilisation de l'eau dans l'agriculture

Si la France tarde à développer le recyclage de l'eau, l'Europe, elle, avance. Lundi 26 juin, de nouvelles normes sont, en effet, entrées en vigueur au sein de l'UE. Elles concernent la réutilisation des eaux usées traitées pour l'irrigation agricole, « essentielle dans le contexte de sécheresses récurrentes, et renforceront la transparence de cette pratique », a annoncé la Commission européenne. Ces nouvelles dispositions complètent le règlement en vigueur depuis 2020 au sein de l'UE et qui établit les exigences maximales pour le contrôle et la qualité de l'eau réutilisée dans l'agriculture.

Pour autant, seuls 2,4% du total des eaux urbaines résiduaires traitées sont actuellement récupérés et réutilisés dans l'UE.

« L'eau est une ressource précieuse qui devient de plus en plus rare. Tout comme nous réutilisons de plus en plus d'autres matériaux et produits rares, les eaux usées urbaines peuvent être traitées avec succès grâce aux technologies disponibles. Cela ouvre de nombreuses possibilités aux agriculteurs qui peuvent utiliser cette eau recyclée en toute sécurité pour l'irrigation. Grâce aux nouvelles normes européennes, les consommateurs et les agriculteurs peuvent avoir confiance dans la qualité et la sûreté des produits agricoles irrigués avec de l'eau recyclée. », s'est néanmoins félicité Virginius Sinkevičius, commissaire chargé de l'environnement, des océans et de la pêche.

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Commentaires 6
à écrit le 29/06/2023 à 10:29
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L'exemple Espagnol me parait un peu ambitieux pour la France :n'oublions pas que la célérité de nos administrations ,l'omniprésence des "anti tout" et la volonté délibérée de complexifier ce qui est simple ,auront tôt fait de décourager les bonnes v...

à écrit le 29/06/2023 à 8:19
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Véolia: Eau plus chère et moins bonne. Je sais pas si c'est une bonne idée de les écouter encore ceux-là franchement d'autant que société luxembourgeoise soit dit en passant même pas française, une honte.

le 29/06/2023 à 8:59
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"société luxembourgeoise " ils vous diront qu'ayant des activités internationales, ils "doivent" s'installer dans un paradis, Luxembourg ou Pays-Bas, pour 'mieux' gérer.

le 29/06/2023 à 9:31
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Et ça gère l'eau, ressource stratégique vitale s'il en est, des français, c'est honteux, le business des eaux de source en bouteilles est moins choquant. Vivement que l'UE se dote d'un potentiel juridique tel que les américains ! Mais c'est pas en co...

à écrit le 28/06/2023 à 18:27
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Comme quoi il existe des alternatives aux bassines tant décriées par les écolo et en passant dire aux agriculteurs qu'ils se tirent une balle dans le pied en soutenant ce mode d'irrigation qui se tarira à très court terme une fois la nappe phréati...

le 29/06/2023 à 9:01
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"asséchée irrémédiablement" y a un état américain où ils ont tellement soutiré, pompé par des forages que c'est quasi irréversible, l'effondrement des nappes, il faudra bien 10 000 ans pour que ça se reforme.

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