Oui à un "eurobond", sans passager clandestin !

Par Thibaut Cuillière, responsable de la stratégie crédit chez Natixis.
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Après avoir successivement organisé le sauvetage de la Grèce, de l'Irlande et du Portugal, créé un programme de rachat de dette par la Banque centrale européenne (BCE) et lancé avec succès, en mai 2010, le Fonds européen de stabilité financière (FESF), l'Europe semble pourtant à court de munitions pour venir en aide aux pays dits « périphériques » et circonscrire le risque de contagion à l'ensemble de la zone. Les marchés financiers croient de moins en moins aux remèdes proposés par les autorités européennes depuis le début de l'année 2010. Sans même se pencher sur la validité du deuxième plan d'aide à la Grèce, la question de la réforme du FESF et du financement de ses interventions futures sur le marché secondaire reste entière. En outre, les rachats massifs d'emprunts d'État par la BCE n'ont pas permis jusque-là de stabiliser durablement les taux de la dette à 10 ans de l'Espagne et de l'Italie autour des 5 %.

L'eurobond semble en fait être la seule issue durable à cette crise, dans la mesure où l'existence d'un émetteur unique pour la zone euro exclut de facto toute tentative de différenciation entre ses membres. De plus, cet émetteur semble constituer l'équilibre parfait entre, d'une part, les excédents commerciaux et les faibles déficits publics de l'Europe du Nord et, d'autre part, une Europe du Sud en proie à des déficits commerciaux et publics ayant cassé sa dynamique de croissance du début des années 2000. Néanmoins, la naissance d'un eurobond est conditionnée par la réponse à deux problématiques majeures : 1/ Comment inciter les pays les plus vertueux au niveau budgétaire à se refinancer via l'eurobond à des taux supérieurs auxquels ils se financent actuellement par leurs propres moyens ? et 2/ Comment faire en sorte que les pays qui ont insuffisamment respecté la discipline budgétaire requise depuis la signature du traité de Maastricht soient pénalisés par rapport aux autres ?

La mise en place de l'eurobond, accompagnée d'un système de bonus-malus interne à la zone euro (en d'autres termes, le versement d'une prime des pays les moins vertueux sur le plan budgétaire à ceux qui sont les plus disciplinés, contrairement à ce que l'Europe a proposé jusqu'alors via le FESF), répondrait pleinement à ces deux objectifs. En instaurant un système de primes dépendant des taux de dette et de déficit publics rapportés au PIB, de la notation financière des États (qui permet d'allier les effets de réputation et de liquidité de la dette à des critères fiscaux quantitatifs) et du niveau du PIB, on pourrait non seulement assurer le refinancement de la zone euro à un taux nettement plus acceptable que la moyenne des taux de refinancement nationaux, mais aussi et surtout permettre à chacune des nations de se refinancer dans des conditions égales sinon meilleures qu'aujourd'hui. Un tel système permettrait, d'une part, de garantir à l'ensemble des États un financement à des conditions favorables et, d'autre part, d'éviter un transfert de richesse des pays les plus vertueux au niveau budgétaire vers les pays dits « périphériques ». En résumé, on réconcilierait l'intérêt collectif de la zone euro avec l'intérêt particulier des nations qui la composent.

Par exemple, l'Italie et l'Espagne se financeraient respectivement à 3,2 % et 3 % à 10 ans avec notre eurobond bonus-malus, contre 5,6 % et 5,3 % s'ils se finançaient par eux-mêmes aux conditions de marché actuelles. Ce qui représenterait des économies substantielles en charges d'intérêt, de l'ordre respectivement de 5,6 et 2,1 milliards d'euros par an pour les deux pays.

Il faut être réaliste. À partir du moment où des centaines de milliards d'euros d'achats de titres (à l'image du « quantitative easing » à l'américaine) restent hors de question, puisque l'Europe refuse de prendre le risque inflationniste de la création monétaire, la seule alternative à l'eurobond, dans le contexte actuel d'accroissement des risques souverains, serait... la sortie de la zone euro d'au moins un des États membres. Cette sombre perspective doit encourager les autorités européennes, sinon à lever directement les nombreux obstacles juridiques et administratifs que suppose la migration vers l'eurobond, du moins à mettre en place un calendrier volontariste dans ce sens, qui suffirait sans doute à stopper l'hémorragie actuelle des marchés. Ne vaut-il pas mieux accepter une perte de souveraineté limitée plutôt que prendre le risque d'un éclatement de l'euro aux conséquences imprévisibles ?

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