Primaire de droite : des candidats passéistes, passifs, intemporels

Les programmes des candidats à la primaire de la droite et du centre témoignent d'une approche passéiste, peu en phase avec la réalité économique actuelle. Ces candidats ne se montrent pas capables, en outre, d'appréhender les contraintes temporelles. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan.

Le show des sept mousquetaires sur TF1 était soumis à de lourdes contraintes. Du fait de leur nombre, les prétendants ne disposaient pas du temps suffisant pour présenter leur message, même réduit à l'essentiel. Ils n'ont pu, sauf l'annonce et la conclusion, que répondre à des questions. Et ces questions tendaient plus à faire apparaître les différences entre eux, permettant la comparaison qu'à expliciter des stratégies ou des visions. Des questions sur des écarts dans les chiffres, principalement les baisses de dépenses ou d'impôts, n'étaient pas de nature à retenir l'attention, d'autant que le téléspectateur sait d'expérience que les chiffres réels seront fort différents, le contexte intérieur et extérieur ayant changé.

 Le col ouvert de Bruno Le Maire, signe du Renouveau ?

Restant sur sa faim, le spectateur assidu pouvait compenser, voire se distraire, en appréciant les apparences et la forme, qui ont leur importance dans ce type de compétition, où « tout compte ». Le col ouvert de Bruno Le Maire est- il le signe du Renouveau promis ou d'une difficulté à épouser le personnage présidentiel ? Le costume tristounet un peu large d'Alain Juppé est-ce un indice gaullien ou l'accoutrement normal d'un septuagénaire ? Le rouge Kosciuszko et la chevelure en bataille (le chignon d'antan faisait trop BCBG) sont-ils la promesse de lendemains qui chantent? La mâchoire crispée et les mimiques répétitives de Nicolas Sarkozy sont-elles la marque de la concentration du chef et d'une vigilance sans défaut ou l'indice d'une tension inquiète qu'il ne peut contrôler ?

On a admiré le talent de François Fillon pour éluder la question sur le montant du Smic, qu'il ignorait visiblement. On a constaté la maladresse de Bruno Lemaire prenant des emplois aidés pour des emplois de fonctionnaires, qui n'a pas donné envie de lire les 1000 pages de son programme. On s'est désintéressé à tort du candidat Poisson, jugé hors-course, alors que certains de ses propos étaient pertinents et décoiffaient : les syndicats et les 35 heures, la laïcité et le renouvellement de l'état d'urgence.

Bref, l'on était dans l'anecdotique, loin des interrogations majeures sur l'avenir de la France. Ainsi, la question centrale sur la dynamique qui fondera notre développement économique durant les prochaines années n'a pas été posée. Ce qui est apparu, c'est une approche mécanique, passéiste, intemporelle et bien sûr hexagonale.

 Une approche mécanique et passéiste

Une politique mécanique : le quinquennat actuel ayant échoué, il suffit de faire l'inverse et l'on fera bien. Une attitude traditionnelle dans notre vie politique, qui avait été celle de François Hollande après son élection.

Mais surtout, une conception presse- bouton de la politique économique. Il suffirait que l'on donne de l'argent aux consommateurs et aux entreprises pour que la croissance reparte et absorbe le chômage. La semi- stagnation qui caractérise l'économie de beaucoup de pays développés est ignorée. Le risque que le supplément de revenus des ménages soit thésaurisé par peur d'un chômage qui restera élevé est négligé, de même que celui d'une utilisation du supplément de profits pour accroître les dividendes et réduire leur capital, comme cela se pratique aux États-Unis.

La vérité est qu'il n'y aura pas de croissance durable sans une reprise forte de l'investissement sous toutes ses formes, reprise qui n'est nullement automatique. Ce que l'on attend des candidats, c'est qu'ils nous disent par quels mécanismes plus d'épargne sera utilisée pour financer les investissements au lieu d'être thésaurisé ou gelée dans des placements qui ne contribuent pas à la croissance. Ce que l'on attend ce sont des mesures comme la déductibilité des bénéfices réinvestis, et des dispositifs originaux, publics ou parapublics, pour financer la transition énergétique- l'environnement n'a guère été évoqué-en exploitant les opportunités qu'offrent des taux d'intérêt extrêmement bas. Notre capital productif a substantiellement diminué ces dernières années, alors que nous sommes dans une période de mutations techniques accélérées. Seule NKM a esquissé des propos indiquant que dans cette nouvelle économie les dispositifs d'hier ne seraient plus valables.

Comment expliquer cette approche passéiste? Une confiance aveugle dans le marché ? Elle n'est guère de mise dans une phase du capitalisme caractérisée par une faible propension des entreprises à investir, une croissance limitée de la productivité et une montée des inégalités ?

Tout autant, une confiance dans le choc positif suscité par l'annonce des baisses de recettes et de dépenses publiques et l'effondrement d'une gauche déconsidérée. Les acteurs économiques reprenant confiance consommeraient, emprunteraient et investiraient plus. Cette hypothèse est vraisemblable. L'opposition assommée par son échec se limiterait à quelques barouds d'honneur. La limite pourrait être plus mécanique que politique.

 Une conception tronquée de l'État, une hausse des inégalités

Cet optimisme est renforcé par une conception tronquée de l'État qui avalerait les prélèvements pour son seul fonctionnement sans rien rendre. Or l'état en rend une grande part sous forme de transferts, dont on peut certes contester le bien fondé et la pertinence. Ce sont ces transferts qui seront visés en premier par la baisse des dépenses publiques, les plus faciles à mettre en œuvre rapidement. Or les bénéficiaires perçoivent de faibles revenus et les transferts qui passent presqu'entièrement en consommation, alors que ceux qui paieront moins d'impôts ont des revenus plus élevés et consomment relativement moins. Cette redistribution à l'envers atténuerait sensiblement le choc de confiance et augmenterait les inégalités.

 Une approche intemporelle

Une des carences de l'actuel quinquennat a été l'incapacité à évaluer les contraintes temporelles, les délais inhérents à la prise de décision, à la mise en œuvre, à l'adaptation des agents économiques aux dispositions nouvelles et à l'évaluation des résultats. Il est probable que dans quelques années seront mesurables les effets positifs de politiques mises en œuvre sous la mandature actuelle, considérées actuellement comme des échecs.

Les candidats à la succession semblent vouloir continuer sur la même voie et refuser d'introduire le temps comme variable essentielle de leur action. Même si la procédure des ordonnances est utilisée, il faudra plusieurs mois, après le vote de la loi d'habilitation pour « sortir » les différents textes nécessaires. Surtout, tout est présenté comme portant sur le court terme, ce qui engendre la confusion.

Certains objectifs n'ont de sens que dans un moyen-terme allant au-delà du prochain quinquennat. Pour ces objectifs, il faut être clair sur la direction et les réformes à mettre en place mais prudent sur les calendriers.

L'endettement public est excessif, il doit être réduit. Le problème est de déterminer un rythme réaliste. La désastreuse politique bruxelloise de réduction rapide et généralisée des déficits en Europe, qui n'a permis un désendettement significatif, est l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Avec des taux d'intérêt extrêmement bas, qui permettent un allègement des charges financières et la politique stabilisatrice de la Banque Centrale Européenne, qui a pour effet que la dette française est fortement demandée sur les marchés, l'urgence n'est pas à la baisse de la dette mais à la croissance. C'est elle qui permettra un désendettement progressif.

La part des dépenses publiques dans le PIB est substantiellement plus élevée que dans les pays voisins et une baisse est souhaitable. Opérer à la marge en passant le rabot ne suffira pas. Il convient de procéder à un examen minutieux des fonctions de l'Etat, certaines ayant perdu de leur priorité, débouchant sur des réformes de structure (logement, santé) et sur une révision de nos mécanismes de solidarité. Même si certaines mesures peuvent être amorcées rapidement, l'essentiel exigera du temps et de la concertation. Se précipiter, c'est aboutir à des blocages et à des résultats pervers comme le ralentissement de la croissance.

Il en est de même pour une réforme d'ensemble de la fiscalité ou de l'éducation.

 Expliciter ce qui peut être fait immédiatement

Introduire le temps dans un programme, c'est expliciter ce qui peut être fait immédiatement et ce qui sera nécessairement décalé. Ainsi, la baisse des impôts peut être quasiment immédiate (on peut jouer sur les acomptes ou les tiers provisionnels) mais on ne peut réduire massivement et immédiatement la dépense publique. La présentation faite par les candidats prête à confusion, la baisse des impôts et des dépenses étant mise sur le même plan, alors que la baisse des dépenses se fera sur cinq ans. Ce déséquilibre pèsera sur les déficits budgétaires des premières années.

Il ne s'agit pas de technique mais de politique. Les citoyens sont déçus et perdent confiance lorsqu'ils constatent que ce qui a été annoncé ne se réalise pas, l'annoncé étant infaisable dans les délais prévus. Nous sommes au cœur de la crise politique. L'énoncé d'objectifs doit être accompagné de la fixation des étapes principales et bien sûr des quelques mesures immédiatement réalisables. Cela implique beaucoup de travail et de pédagogie.

 Dernière remarque sur la prise en compte du temps. Certaines réformes, notamment celles dites structurelles, bénéfiques à moyen terme ont un cout sensible à court terme. En plus de la protestation des conservateurs opposés à toute réforme et des inévitables perdants, qui voient disparaitre avantages ou rentes, la désorganisation et la confusion inhérentes à tout changement important seront des freins. Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas faire de réforme. Mais dans l'annonce comme dans la mise en œuvre, il convient d'intégrer cette difficulté, et de tenter d'expliquer cette contradiction apparente entre les effets à court terme et ceux à moyen terme.

 La suite de la campagne éclairera t'elle les électeurs sur une dynamique de progrès, compatible avec les changements techniques et l'environnement international, allant au-delà du catalogue de mesures ponctuelles ? Probablement pas au stade des primaires où les apparences et les personnalités occupent une place prépondérante. Et après ? Emmanuel Macron saura-t'il échapper aux approches passéistes et statiques qui dominent actuellement le débat ?

Pierre-Yves Cossé

Octobre 2016

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Commentaires 12
à écrit le 19/10/2016 à 8:56
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Tout le monde intervient comme si l'UE n'existai pas, mais c'est elle qui impose la marche a suivre! De ce fait on utilise une image passéiste pour rassurer les populations, alors que la politique future sera dogmatique, a coup de réforme et de régre...

à écrit le 18/10/2016 à 15:44
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On fait joujou ? Marine Le Pen ne se présente pas, que se passe-t-il, qui sera élu ? Parce que le seul élément sur lequel ils comptent tous, est la présence du FN au second tour, pas leur programme. Autre hypothèse, Marine Le Pen et Mélechon font...

à écrit le 18/10/2016 à 14:12
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Déjà il faut avoir en tête que le revenu de base proposé par NKM (à mon avis inéluctable) auquel s'ajoute l'école gratuite jusqu'au bac, de quoi payer un master ou une formation professionnelle, l'assurance maladie remboursée et la protection régalie...

à écrit le 18/10/2016 à 13:53
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Une mesure essentielle concerne la réforme de la fiscalité pour basculer la fiscalité du travail sur la fiscalité énergétique. Personne n'en parle.

à écrit le 18/10/2016 à 13:06
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Bon resumé de la situation. Le prochain president sera LR vu le discredit de Hollande et la presence de Le Pen au second tour. Donc pourquoi un candidat va se mettre a dos une parti de ses electeurs potentiel ? Donc on raconte ce qu ils ont envie d ...

à écrit le 18/10/2016 à 13:02
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Primaire de gauche: des candidats agissants impassifs et up to date ha ha

à écrit le 18/10/2016 à 12:02
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C'est pas sur Macron qu'il faut conclure, mais sur Mélenchon. Lui, au moins, présente un programme de véritable rénovation, institutionnelle, environnementale, économique et sociale. On pense ce que l'on veut du personnage, c'est indéniable : son pro...

le 18/10/2016 à 13:02
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Vous parlez de l ancien ministre et senateur depuis 20 ans ? l admirateur du Venezuela ? Son ego est tellement gonflé qu il a reussi a se brouiller vec ses allies communiste Son seul programme est de couler le capitaine de pedalo en l empechant d et...

le 18/10/2016 à 22:06
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@cd Oui ancien ministre et sénateur, et ? Où est le problème au juste ? Ministre de l'éducation professionnelle, c'est rédhibitoire à vos yeux ? Il a été prof en lycée technique, d'où ce ministère...

à écrit le 18/10/2016 à 12:00
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Certes,certes,certes...Mais au delà des concepts, des incantations personne n'ose remettre en cause le Système de la Globalisation Mondiale, au prétexte que n'existe aucune alternative crédible. De même par ailleurs, si l'on glose sur les abomination...

à écrit le 18/10/2016 à 11:59
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On ne va quand même pas reprocher à une batterie d'avocats, de médecins ou de prof d'histoire/éco à ne faire que ce qu'ils savent faire : faire survivre le système dont nous sommes "si fier". Ces gens qui considèrent que les rapports de la cour de...

à écrit le 18/10/2016 à 11:34
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Décidemment ce cher PYC est bel et bien le VRP n°1 de son petit poulain Macron et tous les autres ne sont que des has been et losers...Un tel lobbying est pitoyable et frise l'indécence...

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