
Oh my God ! Anarchy in France ! Grève du Mobilier National ou pas, il n'y aura pas de « red carpet » pour Charles III ! Puisqu'il n'y aura pas de roi d'Angleterre à la table de la République. Et donc pas de dîner en grandes pompes à Versailles non plus. Dans le contexte social du moment, cela n'aurait pas été « sérieux », a reconnu Emmanuel Macron. Le symbole aurait été il est vrai un peu « too much » et la cible trop facile pour les « factieux et les factions ». L'effet diplomatique est désastreux : la France ne serait-elle donc pas capable d'assurer la sécurité de la délégation royale, qui nous gratifiait de la première visite à l'étranger du roi Charles III. Un signe important pour la réconciliation franco-britannique après les cicatrices du Brexit. Les dégâts sur l'image de la France au moindre incident sur la personne du roi à l'occasion de cette visite à hauts risques auraient il est vrai été irréparables.
Pourtant, Emmanuel Macron aime beaucoup recevoir à Versailles : il passe souvent ses week-ends à La Lanterne et reçoit chaque année au Château les grands patrons lors du Sommet Choose France. Le président aime tellement Versailles et ses fastes qu'il est incapable de se passer de sa présidente, l'ancienne journaliste du Point Catherine Pégard, pourtant atteinte par la limite d'âge.
En réalité, c'est surtout la persistance de la mobilisation syndicale qui a eu raison de la visite de King Charles. Le fils aîné d'Elisabeth II en a pourtant vu d'autres, même s'il n'a pas que de bons souvenirs de Paris... Mais après les émeutes de jeudi, la perspective d'une dixième journée d'action mardi 28 mars a convaincu les deux Palais, celui de l'Elysée et celui de Buckingham, qu'il serait plus sage de reporter cette visite.
Comment renouer les fils du dialogue avec les syndicats dans ce climat explosif ? Emmanuel Macron s'est dit vendredi « à disposition de l'intersyndicale » pour discuter des questions liées au travail, mais sans remettre en cause sa réforme des retraites qui, comme il l'a affirmé avec fermeté jeudi, doit « achever son parcours démocratique » au Conseil Constitutionnel.
Il est assez piquant de voir que son président, le socialiste Laurent Fabius, l'homme du « non » au Traité constitutionnel européen de 2005, a entre ses mains la possibilité de siffler la fin de la partie. Saisi de trois recours, dont celui de la Première ministre elle-même, usera-t-il de ce pouvoir ? Le faire sous la pression de la rue n'arrangera en rien l'état de la démocratie en France. Mais les constitutionnalistes n'excluent pas un veto sur tout ou partie du texte. Osons la question : l'usage concomitant par le gouvernement Borne des articles 47.1, 44.3 et finalement 49.3 sur un seul et même texte peut-il constituer un « abus » du « parlementarisme rationalisé » ?
Cela ferait une belle jurisprudence à étudier à Sciences Po et à l'ENA. Surtout quand on sait que le 49.3 a été imaginé au départ par Michel Debré pour mettre au pas une majorité frondeuse, pas une minorité introuvable. Utilisée 100 fois depuis l'origine, cette procédure parlementaire a sans doute vécue lundi son chant du cygne. Cet épisode prépare sans doute la fin de la dérive monarchique de la Vème République. Il va falloir inventer une autre manière de gouverner et de légiférer car 2023 n'est pas 1958 sous De Gaulle ni même 1989 sous Mitterrand-Rocard. Le petit parfum révolutionnaire qui exhale des poubelles en feu dans Paris pourrait au moins servir à cela.
Excédé - « Vous croyez que ça me fait plaisir de faire cette réforme » -, Emmanuel Macron va devoir se résoudre à changer de méthode. S'il veut prolonger son quinquennat, il doit construire un pacte politique transparent et clair, à l'allemande, et donc élargir sa majorité relative à l'Assemblée nationale. C'est la mission qu'il a donnée à Elisabeth Borne qui joue sa survie politique à sa capacité à bâtir un projet pour les quatre ans à venir avec ce qui reste de la droite LR, éparpillée façon puzzle. Un comble pour cette femme de gauche qui a travaillé avec Lionel Jospin et Ségolène Royal... Car avec la Nupes comme avec le RN, tous les vaisseaux semblent brûlés, comme les poubelles de Paris.
Le projet d'Emmanuel Macron est désormais de passer à autre chose et d'avancer. Le story telling de l'Elysée est cousu de fil blanc : maintenant que les finances publiques ont été rétablies avec le relèvement de l'âge de la retraite à 64 ans, qui commence à normaliser la situation de la France par rapport à ses voisins, il faut faire un peu de place au social ! La loi immigration n'est plus une priorité et va être découpée en plusieurs textes, première étape vers un enterrement. Et après un moment de pause et de « décence », comme l'a invoqué Laurent Berger, le patron de la CFDT, une grande conférence sociale sur le travail sera convoquée pour corriger tous les points litigieux de la loi retraite. A Bruxelles, vendredi, Emmanuel Macron s'est déclaré « à la disposition de l'intersyndicale » pour évoquer les fins de carrière et la pénibilité. Que n'a-t-il commencé par là... D'autres sujets risquent de s'inviter dans la négociation, comme les salaires ou le temps de travail. Et si tout cela se terminait par un Grenelle, comme en 1968. Ce qui est clair, c'est que derrière l'âge légal du départ à la retraite, c'est toute une pelote de laine qui se déroule : quelles incitations à garder les seniors dans l'emploi ? Comment accélérer la marche vers l'égalité salariale femme-homme ? Comment augmenter le taux d'emploi des jeunes et des seniors ? Le tout dans un climat économique plus incertain, avec une situation explosive sur le pouvoir d'achat, l'inflation et depuis quinze jours, avec l'épée de Damoclès de la crise financière et bancaire venue des Etats-Unis et qui commence à traverser l'Atlantique.
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