Sam Altman (OpenAI) : « Je suis une légende » !

VOTRE TRIBUNE DE LA SEMAINE. Le feuilleton offert cette semaine par la fausse sortie du mythique patron fondateur de ChatGPT, revenu par la grande porte à la tête d'OpenAI à l'issue d'une crise de gouvernance emblématique des tensions qui agitent le monde de l'intelligence artificielle, ferait une excellente saison 7 de la série américaine Silicon Valley... Sauf que là, c'est la réalité et elle fait un peu peur, pas forcément pour les raisons auxquelles on pense.
Philippe Mabille
(Crédits : CARLOS BARRIA)

Je suis une légende est un roman de science-fiction post-apocalyptique de l'auteur américain Richard Matheson, paru en 1954 puis adapté à trois reprises au cinéma, le dernier en date étant une libre interprétation avec Will Smith qui a connu un certain succès. L'histoire du film raconte le destin tragique d'un chercheur immunisé dans un New York infecté par un virus qui transforme les humains en mutants carnivores et qui finit par trouver un remède pour sauver l'humanité. Le héros interroge ce que signifie vraiment être humain dans un monde déshumanisé. Malgré lui, il finit par découvrir qu'il est devenu une légende parmi la nouvelle civilisation des humains vampires qu'il chasse sans merci.

La crise que vient de vivre Sam Altman avec le conseil d'administration de sa société OpenAI fait furieusement penser, toutes choses n'étant pas égales par ailleurs, à ce roman. La couverture mondiale dont a bénéficié l'annonce il y a tout juste une semaine du limogeage brutal du fondateur de ChatGPT a fait de Sam Altman une véritable « légende » de la tech, tout en faisant apparaître au grand jour des tensions gigantesques entre l'éthique et le business dans le far-west qu'est devenu la course à l'intelligence artificielle. Selon des sources citées par la très sérieuse agence Reuters, l'une des causes, parmi d'autres de cette crise, serait la découverte par le conseil d'administration de nouveaux progrès extraordinaires des chercheurs d'OpenAI, en direction du Graal, jusqu'ici imaginaire, de l'IA générale, c'est-à-dire proche de la conscience et capable de s'auto-développer par elle-même. Un « virus » de nature à transformer en profondeur l'humanité, en tout cas, c'est le story telling que l'on entend depuis un an, depuis l'apparition grand public de ChatGPT le 30 novembre 2022.

Laissons-là tous ces fantasmes, en attendant d'en savoir plus, mais le fait est là : Sam Altman, viré le vendredi, réembauché dans le week-end par son principal actionnaire Microsoft (qui cherche à protéger un investissement de 10 milliards de dollars...), remplacé le lundi par un manager au profil de business man, mais sans charisme, a fait, la même semaine, un retour triomphal porté par la menace d'une démission collective de plusieurs centaines de cadres et de chercheurs d'OpenAI, ce qui aurait vidé l'entreprise de ses cerveaux, sa principale valeur... Alors oui, cette histoire méritait de faire la Une de tous les grands médias économiques, en ce qu'elle offre l'illustration parfaite de la confusion entre ce qui est du ressort de l'open-science, par nature non lucrative, et du commerce, par essence orienté vers le profit.

Bien entendu, c'est la confusion des genres à la tête d'OpenAI entre ces deux objectifs incompatibles qui a engendré cette crise de gouvernance. Le fait que celle-ci se termine par la victoire écrasante de Sam Altman offre à ce dernier un pouvoir sans autres limites que celles de son puissant actionnaire, Microsoft, devenu depuis un an par son investissement dans OpenAI plus riche que jamais, avec une capitalisation boursière de 2800 milliards de dollars soit une hausse de 50% en un an. Cela vaut le coup de se payer une légende, même si en réalité, on est sans doute encore loin de l'IAG, « l'intelligence artificiellement générale ». Ou alors ce serait le moment Oppenheimer (atomique) ou Frankenstein (comme vous préférez) de l'humanité.

La vérité semble plus prosaïque, et il est beaucoup plus certain que nous sommes très très proches de la sortie d'une nouvelle génération d'assistants personnels, que certains appellent des « Agents IA », de robots surentraînés à répondre à nos besoins, personnels comme professionnels et intégrés à nos smartphone, voire destinés à les remplacer. Elon Musk, tout comme Sam Altman, rêve tout haut de lancer un « iPhone Killer », la précédente révolution de la tech, lancé le 29 juin 2007 par une autre « légende », Steve Jobs, fondateur d'Apple.

Ce que nous sommes en train de vivre, bien plus sûrement que l'approche du célèbre « point de singularité », c'est la disparition de l'internet ouvert et « gratuit » tel que nous avons connu pendant les vingt dernières années. Ce que préparent les GAFAM pour le futur, c'est un monde à la Microsoft où nous devrons payer, plus ou moins cher, pour avoir accès à plus ou moins de puissance technologique pour « augmenter nos capacités » cognitives et sans doute professionnelles.

Ce cauchemar « techno-libéral » a déjà commencé : pour avoir accès à certaines fonctionnalités de Facebook, Instagram, LinkedIn, X (ex-Twitter), il faut désormais soit payer, soit céder la propriété de nos données personnelles. ChatGPT et ses compagnons se présentent ainsi pour ce qu'il est en réalité : un RGPD-Killer, une machine à fabriquer de la « servitude volontaire » de la part d'êtres humains irrésistiblement attirés par la puissance prométhéenne du feu de l'IA. Qui ne voudrait pas être un humain augmenté ?

Lors de la première conférence AIM, Artificial Intelligence Marseille, organisée par La Tribune avec La Provence ce vendredi au Stade Vélodrome, nous avons reçu de très nombreux intellectuels, experts et chefs d'entreprise ou créateurs de startups pour discuter de ces sujets qui déterminent notre avenir (retrouvez ici le replay en vidéo de la conférence). Le commissaire au Marché Intérieur, Thierry Breton, a expliqué les enjeux de l'IA Act, le projet de régulation de l'Europe, qui provoque un vif débat autour des risques qu'il pourrait faire peser sur l'innovation. Thierry Breton a plaidé pour un équilibre entre intérêt général et intérêts particuliers et tacle le jeu des lobbys à deux semaines d'une réunion décisive à Bruxelles. L'écrivain Jacques Attali a mis en lumière les enjeux pour l'avenir par une formule qui restera : « nous vivons un moment très important, qui est celui de l'accélération de l'artificialisation du vivant ». Ce qui ne veut pas dire, bien au contraire, qu'il faut s'en détourner. Il faudra faire avec, comme nous l'a expliqué lundi dernier Bruno Le Maire et cette révolution technologique sera « une chance pour ceux qui la maîtriseront » et un désastre pour les autres.

Comme nous l'expliquions dans notre supplément Futurs à La Tribune Dimanche, la semaine dernière, la France a une carte à jouer, entre soutien public et intervention du privé, à l'image de la création d'OpenAI à la française avec KyutAI, la fondation d'open-science dotée de 300 millions d'euros par Xavier Niel, le fondateur d'Iliad, Rodolphe Saadé, le patron de CMA-CGM (propriétaire de La Tribune) et Eric Schmidt, ex-CEO d'Alphabet (Google). Le monde change, de plus en plus vite, ne pas s'y préparer serait non seulement suicidaire mais laisserait le champ libre aux géants américains de la tech. Ce qui serait dommage car la France a un vivier de startups déjà prometteuses à qui Thierry Breton a promis l'accès à des supercalculateurs européens désormais compétitifs avec ceux de nos concurrents. L'argent, et la puissance informatique, le nerf de la guerre économique du futur.

Et peut-être aussi de la politique. En Argentine, les deux camps rivaux ont utilisé massivement l'IA pour produire des images de campagne choc, ce qui n'a pas empêché la victoire de Javier Milei, l'homme à la tronçonneuse (chainsaw man) prêt à décapiter les dépenses publiques. Une mission que se verrait bien endosser Bruno Le Maire, bien décidé à jouer sa partition politique et à endosser le costume du grand argentier responsable, alors que la France attend le verdict de l'agence américaine S&P Global sur sa note souveraine, vendredi prochain, le 1er décembre...

Philippe Mabille

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Commentaires 4
à écrit le 26/11/2023 à 7:25
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Du trampoline? Allons, messieurs! Le Capitalisme, c'est du sérieux!

à écrit le 25/11/2023 à 9:54
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"Je suis une légende est un roman de science-fiction post-apocalyptique de l'auteur américain Richard Matheson, paru en 1954 " Dans le livre ,Robert Neville apprendra à la fin du récit qu'ils ont évolué. Ils ont mis au point un médicament qui leur...

à écrit le 25/11/2023 à 8:56
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Deus ex messahia ? Une intelligence infini ? Qui pourrait résoudre toutes les impasses actuelles de l'humanité ? Quelles sont ces impasses ? Une énergie abondante, peu cher et surtout décarbonée. La possiblité de synthétiser les matériaux complex...

à écrit le 25/11/2023 à 8:36
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Un sujet sérieux vous avez parfaitement raison que nous sommes trop peu nombreux à l'entendre."une capitalisation boursière de 2800 milliards de dollars soit une hausse de 50% en un an" C'est gigantesque, un énorme aspirateur à subvention publique qu...

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