
Le 30 novembre 2022. ChatGPT introduit avec fracas l'intelligence artificielle générative auprès du grand public. Un million d'utilisateurs en cinq jours, plus de 100 millions en moins de deux mois : le grand public s'est approprié le chatbot d'OpenAI à un rythme inédit dans l'histoire de la tech. Par ricochet, ChatGPT a donné le top départ d'une course effrénée vers un nouveau marché colossal. Forcément, les géants actuels de la tech sont dans les starting blocks.
Pour Microsoft, Google, Amazon et Meta, l'IA générative est un enjeu stratégique majeur, qui justifie d'investir des dizaines de milliards de dollars dans la technologie. Et pour cause : l'IA générative pourrait bouleverser tous les secteurs de l'économie en s'intégrant aux logiciels dont les entreprises ont besoin. Les plus optimistes n'hésitent pas à comparer son potentiel transformateur à celui d'Internet... Depuis le début de l'année, pas une semaine ne passe sans l'annonce d'une offre logicielle nourrie à l'IA générative. Grâce au précurseur ChatGPT, OpenAI garde une longueur d'avance. Mais son succès est aussi -et surtout ?- celui de Microsoft, son partenaire privilégié. En 2019, le géant de la tech avait investi un milliard de dollars pour éponger ses dépenses de recherche faramineuses et lui fournir la puissance de calcul nécessaire.
Prime au premier pour Microsoft
Suite au succès de ChatGPT, l'entreprise de Bill Gates a de nouveau investi 10 milliards de dollars en janvier 2023. Avec cette coquette somme, Microsoft s'est octroyé l'exclusivité de la vente indirecte des intelligences artificielles d'OpenAI. Autrement dit, si une entreprise veut déployer ChatGPT, elle n'a que deux choix : passer directement par OpenAI -dont les serveurs sont chez Microsoft- ou bien passer par la plateforme de cloud Microsoft Azure, qui donne accès à d'autres services complémentaires et un déploiement bien plus simple.
« Aujourd'hui, la grande majorité des cas d'usages d'IA générative déployés dans les entreprises s'appuient sur Micro- soft Azure », constate Ghislain de Pierrefeu, expert IA du cabinet de conseil Wavestone. Mais la guerre n'est pas perdue pour les autres : « depuis la rentrée de septembre, nous voyons de plus en plus d'entreprises aller chez Google Cloud et Amazon Web Services, ou bien déployer sur leurs propres infrastructures des modèles open source comme ceux de Meta ».
Google peine à tenir la cadence
Si Microsoft profite autant de son avance, c'est parce que le succès fulgurant de ChatGPT a pris de court l'ensemble du secteur de l'intelligence artificielle, à commencer par l'entreprise la plus reconnue sur le sujet, Google. Forte de deux divisions de recherche de niveau mondial [Google Brain et Google DeepMind, qui ont depuis fusionné, ndlr], cette dernière attaque frontalement le duo Microsoft-OpenAI. Le géant de Mountain View a multiplié les annonces de nouveaux modèles d'IA -comme Bard, un concurrent de ChatGPT- et de nouvelles fonctionnalités -à l'instar de Duet AI, un assistant pour sa suite de bureautique Google Workspace. Mais il souffre d'un retard chronique par rapport à OpenAI. Google pouvait espérer repasser en tête grâce à Gemini, un nouveau modèle d'IA générative supposément plus performant que GPT-4, le meilleur modèle d'OpenAI qui sert d'étalon au secteur. Mais alors qu'il était attendu pour cet automne, Gemini n'a toujours pas été lancé. Et dans le même temps, OpenAI a présenté des versions de GPT-4 et ChatGPT plus puissantes (dites "turbo") et déroulé une liste de nouveaux services aux entreprises. Une manière d'enfoncer le clou.
Des milliards de dollars pour entrer dans la course
Amazon Web Service (AWS), la branche numérique du géant de l'e-commerce, accuse un retard à l'allumage encore plus important. Puisqu'il ne dispose pas de ses propres grands modèles d'IA générative, il a investi fin septembre plus de quatre milliards de dollars dans Anthropic, la plus grosse startup concurrente d'OpenAI. Avec un objectif évident : reproduire le succès de Microsoft. Mais dans la foulée, Google a aussi investi deux milliards de dollars dans la jeune pousse, créant ainsi un étrange mariage à trois.
De son côté, Meta a choisi d'éviter la confrontation directe avec ChatGPT, et tient son propre couloir de course. La maison-mère de Facebook propose ses modèles d'IA générative -comme Llama-2- en open source, c'est-à-dire en libre accès sur Internet. Elle autorise même leur usage à titre gratuit pour les entreprises.
Enfin, un petit groupe de startups tente de suivre la cadence infernale des géants de la tech grâce à d'importantes levées de fonds, à l'instar d'Inflection AI (1,3 milliards levés) et Cohere (445 millions de dollars). Mais elles se comptent sur les doigts de la main.
« Entraîner les très grands modèles de langage comme GPT-4 s'accompagne d'un coût d'infrastructure extrêmement élevé. C'est un jeu auquel très peu d'entreprises peuvent participer », rappelle Nicolas de Bellefonds, directeur associé chez Boston Consulting Group.
Les processeurs de Nvidia nécessaires à l'entraînement des IA s'arrachent à plusieurs centaines de milliers de dollars, et les meilleurs spécialistes mondiaux sont débauchés à prix d'or. Dans cette course financière très américano-centrée, seul un Européen parvient à tenir la cadence pour l'instant : l'Allemand Aleph Alpha, qui a levé 500 millions d'euros au début du mois. Mais, cette somme, immense pour le Vieux Continent, suffira-t-elle pour s'asseoir à la table des géants ?
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