
« Dans les trois prochaines années risquent de se jouer les trois prochaines décennies de la France »... Cette phrase de Bruno Le Maire qui, dans un entretien à La Tribune Dimanche, sifflait la fin de la recrée en matière budgétaire, a trouvé une déclinaison parfaite dans son discours prononcé le lendemain à Bercy en ouverture du T-Day, placé cette année sous le thème du « Climat et l'IA ». Une prise de parole venue secouer la conscience collective sur l'enjeu brûlant de l'intelligence artificielle (IA) qui, après avoir mûri pendant plusieurs décennies, a fait entrer le monde dans une nouvelle ère, notamment depuis la percée fulgurante de ChatGPT, et s'apprête à révolutionner notre économie.
« A ce moment de maturité, elle va tout emporter sur son passage ! Il y a des continents qui maîtriseront l'IA, les algorithmes, le stockage des données, le cloud, les supercalculateurs, les processeurs... et puis il y a ceux qui seront consommateurs de cette technologie », a ainsi lancé le ministre de l'Economie.
De quoi décréter la mobilisation. « Je souhaite évidemment que le continent européen, la France en tête, qui a tout pour être le leader de l'IA en Europe, soit producteur de cette technologie et non simple consommateur », a-t-il ajouté. En clair, il s'agit de trouver les moyens de « développer notre propre IA, sinon nous serons consommateurs de l'IA des autres ». Et le temps presse.
Promesse de productivité
Reste que les effets attendus de l'intelligence artificielle, qui apporte une révolution dépassant de loin les seuls enjeux technologiques, suscitent des craintes. En particulier, son impact sur l'emploi dans nombre de secteurs, du fait de la capacité de l'IA générative à réaliser désormais des tâches aussi bien intellectuelles que créatives.
« C'est parce qu'on a eu peur de la robotique, qu'on a seriné aux Français du matin au soir que les robots allaient tuer des emplois, que nous avons été l'une des nations européennes qui a le moins robotisé son industrie et que nous avons fermé des usines », défend-il. En nous débarrassant de tâches fastidieuses, l'IA a le potentiel de permettre le développement des connaissances.
En fait, « il n'y a pas à avoir peur de l'IA. Il faut la maîtriser, maîtriser l'innovation et la technologie. Et fixer, bien entendu, des limites. Mais ceux qui auront peur de l'IA, qui ne l'utiliseront pas, les nations qui feront ce choix seront larguées au XXIème siècle », fustige le ministre de l'Economie.
D'autant que la révolution de l'IA porte la promesse de gains de productivité. Pour ce faire, le Japon et la Corée du Sud seraient déjà en passe d'utiliser massivement l'intelligence artificielle. Un enjeu d'autant plus crucial que la productivité, en France, est en panne. Pour Bruno Le Maire, elle est même « le problème numéro un de la France », dans la mesure où elle explique les niveaux de salaire trop bas et le manque d'industrie.
« Qu'est-ce qui explique qu'un certain nombre d'activités industrielles comme le textile ou l'électroménager, qui auraient dû rester en France, sont parties ? La productivité », avance le locataire de Bercy, en fustigeant « une idéologie décroissante, anti-technologie et refusant l'innovation qui a fait tellement de tort à notre nation ».
Bruno Le Maire en est convaincu. « L'IA est une chance pour ceux qui la maîtriseront. Elle sera un désastre pour ceux qui lui tourneront le dos », martèle-t-il.
Un marché européen des capitaux unique
Toutefois, cette révolution aux enjeux financiers, technologiques et civilisationnels planétaires, « intervient dans les mains d'acteurs monopolistiques », dit-il. Une première dans l'Histoire... Dans les microprocesseurs GPU, d'abord, indispensables à l'intelligence artificielle. Dans les supercalculateurs, ensuite, même si l'Europe tente de tirer son épingle du jeu. Dans la main mise des acteurs qui, à l'instar de Google et Microsoft, règnent en maîtres sur cette révolution en marche. Les chiffres d'investissements nécessaires sont vertigineux : « On parle dorénavant de centaines de milliards de dollars ou d'euros », prévient le ministre. Comment, dans ces conditions, se placer dans la course ?
« Soit dans les trois ans il existe un marché unique des capitaux en Europe et nos startups peuvent lever des dizaines de milliards d'euros, soit c'est "game over" », tranche Bruno Le Maire.
De même, fédérer les capacités européennes en matière de supercalculateurs et de cloud sera clé.
Enfin, à l'heure où l'Union européenne veut conclure son futur règlement « AI Act », qui vise à encadrer et protéger l'innovation dans l'IA, reste aussi à trouver un équilibre entre l'innovation et la réglementation. S'il faut effectivement réglementer, « j'ai les plus profonds doutes sur la capacité que nous pouvons avoir à réguler les technologies dont nous ne maîtriserions pas les fondamentaux. Ce sera très difficile. Donc, si l'on veut réguler, il faut commencer par innover », explique-t-il. D'autant que l'IA pourrait par ailleurs être synonyme de meilleure gestion de la consommation électrique et donc contribuer à combattre le dérèglement climatique.
Face à ces défis, le ministre l'affirme : « l'Europe a les capacités de créer ses propres champions de l'intelligence artificielle, l'Europe a la capacité de résister ».
A condition, toutefois, que la bataille de l'IA, et donc celle de la productivité et de la prospérité, n'attende pas demain, mais qu'elle commence dès aujourd'hui.
Sujets les + commentés