De l'utilité des conflits sociaux

OPINION. Le mouvement de grève qui a perturbé, ces dernières semaines, le fonctionnement des raffineries pétrolières a mis en évidence les deux problèmes fondamentaux de l'économie française, à savoir l'accès aux ressources et la productivité, c'est-à-dire ce qu'il est convenu de nommer « pouvoir d'achat », qui n'en est, in fine, que le reflet. Par André Yché, Président du conseil de surveillance chez CDC Habitat.
(Crédits : DR)

À bien des égards, l'enjeu écologique qui tend à saturer, de nos jours, l'espace médiatique, n'est que la réponse méthodologique à ces deux questions essentielles et gagnerait à être mis en perspective sous l'angle du thème fondamental de la théorie économique, qui est celui de la rareté, et donc de la valeur et du progrès technique en tant que levier de productivité, c'est-à-dire de combinaison optimale des facteurs de production.

Abordé sous cet angle, on voit bien qu'il ne s'agit guère d'une problématique nouvelle, ni même d'un véritable sujet de débat : peut-être est-ce la raison pour laquelle cette présentation rationnelle du sujet écologique ne retient pas l'attention, car il perd alors toute sa saveur obscure et passionnelle, c'est-à-dire politique, pour devenir un thème académique de gestion, méritant de figurer au programme de tout examen d'entrée en école de commerce au mieux, ou dans celui de rencontres philosophiques consacrées au péché originel. En effet, celui-ci est la cause de l'exclusion du Jardin d'Eden, espace d'abondance, à la suite de l'acte initiatique de la procréation, appropriation indue de la prérogative divine. La rareté découle donc d'un geste blasphématoire et l'économie n'est que la cruelle sanction de la faute première, ce dont tout étudiant de premier cycle universitaire peut être aisément persuadé.

En effet, l'état de rareté résulte de la confrontation de l'offre accessible et de la demande, plus exactement dans une économie de marché, de la demande solvable, et celle-ci dans la plupart des cas, est une fonction croissante de la population. Donc, d'une manière générale, plus une population croît et s'enrichit, ce qui correspond à sa vocation naturelle selon l'Ancien Testament, plus la pression de la demande sera forte et les situations de rareté, fréquentes.

Là où la CGT a bien raison de mettre en évidence la malignité d'un « Dieu jaloux », c'est que tous les « détours de production » imaginés par l'homme pour s'exonérer de la rareté des biens essentiels (l'eau, l'énergie, la nourriture) engendrent de nouvelles raretés, sur des biens longtemps inaccessibles : l'essence par exemple.

Donc, l'humanité ne saurait s'extraire de la rareté, car elle est le ressort indispensable du progrès qui s'efforce de la repousser pour, toujours, à peine vaincue, la retrouver l'instant d'après.

C'est que la rareté est multiforme : rareté absolue : l'or, les diamants ; mais d'où tiennent-ils leur valeur, sinon de la rareté ? Le pétrole, est-ce bien sûr ? Sicco Mansholt et le Club de Rome, dans les années 1970, nous prédisaient l'apocalypse des énergies fossiles avant la fin du XXe siècle... « Ma sœur, ne vois-tu rien venir ? ». Mais autant que la rareté, le mythe de la rareté est source de progrès.

Ainsi en est-il de la rareté de la monnaie, qui fait sa valeur, exprimée par le taux d'intérêt associé à l'emprunt ou au placement. Pour favoriser la croissance, une politique monétaire expansionniste (le quantitative easing) fait baisser les taux d'intérêt, jusqu'au moment où l'abondance de monnaie, au lieu de servir à la croissance de l'économie réelle, engendre une poussée des prix. L'inflation est donc la sanction de la prodigalité et conduit à la « frugalité ».

Il en va de même pour les dépenses publiques : l'abondance de la monnaie, en réduisant le taux d'intérêt, suscite l'illusion passagère, le mirage pourrait-on dire, de la gratuité de l'endettement qui vient combler le déficit budgétaire de façon indolore.

Mais le contribuable n'est pas dupe (Théorème de Ricardo-Barro) et à partir d'un certain niveau de dette (90% du PIB selon Olivier Blanchard, ex « Chief economist » du FMI), il réduit ses dépenses et accumule des liquidités pour s'acquitter des impôts futurs. Donc, le laxisme d'un jour met fin à l'abondance du lendemain.

En bref, la rareté peut être organisée. Elle peut même résulter de la recherche de sobriété : nous reviendrons sur ce point.

À certains égards, le pouvoir d'achat, en ce qu'il représente la contrepartie d'un travail, facteur de production essentiel, relève d'une problématique analogue. À paramètres constants (rémunération du capital et des dirigeants, prélèvements fiscaux et parafiscaux), la rémunération des salariés dépend essentiellement du coût des autres intrants (énergie, matières premières, composants, services à la production) et de l'efficience des processus de combinaison de ces intrants, en regard de la valeur du produit fini, s'agissant de son utilité (la demande solvable) et de sa rareté. En synthèse, le pouvoir d'achat est une fonction directe de la productivité, c'est-à-dire de la sobriété dans l'usage des facteurs de production.

Nous y voilà ! Tous les écologistes n'en sont pas persuadés, mais en réalité, ils militent en faveur d'un effort de productivité ! Et tous les militants de la CGT ne le savent peut-être pas, mais leurs démonstrations (au sens anglo-saxon du terme « to demonstrate ») n'ont pour effet réel (et pour objet, si ce n'était la réticence des marxistes à reconnaître le classicisme libéral de Marx) que d'attirer l'attention des « masses », soi-disant moins cultivées (ce qui est désormais très discutable) mais pas moins lucides, sur les deux problèmes fondamentaux du pays : l'accès aux ressources essentielles (l'énergie, les minerais, les données, les technologies, l'espace, les normes et le droit, en bref, tout ce qui constitue la souveraineté) et la productivité, c'est-à-dire la manière de les utiliser.

Nous connaissons la « tragédie des biens communs » dénoncée dans un article célèbre de 1968 du moins célèbre Garrett Hardin qui consiste dans la surexploitation des actifs non patrimonialisés. Nous pourrions évoquer de la même manière « la tragédie écologiste » qui, lorsqu'elle s'éloigne de la problématique pour ainsi dire ontologique de son fondement, à savoir l'économie des ressources disponibles dans un monde (et donc pour une humanité, autant qu'elle durera) soumis au principe de rareté, a toutes les chances de se perdre dans la confusion des fins et des moyens.

Ainsi en est-il, par exemple, de la décarbonation, idéal admirable dans un univers dont l'existence organique est fondée sur le carbone. Prenons l'exemple de la mobilité décarbonée et donc, à base d'électricité, quelle qu'en soit l'origine : un véhicule électrique nécessite beaucoup plus de métaux, et donc de minerais, qu'un véhicule thermique. L'accès à ces minerais implique l'exploitation de gisements (nouveaux, mais adverses par rapport à la doxa écologiste, ou anciens, à travers la réexploitation des extractions minières des siècles précédents, et tout aussi problématiques). Ainsi, en dehors de ses fondamentaux rationalistes, l'écologie, comme la Révolution, « dévore ses propres enfants » (Pierre Victorien Vergniaud, 1793).

Et donc, la CGT fait incontestablement œuvre utile en nous mettant en face de nos contradictions et des enjeux essentiels pour le pays : l'accès aux ressources et la productivité. Que les récents conflits sociaux ne sont-ils pas justifiés en ces termes, qui recueilleraient une large adhésion citoyenne !

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Commentaire 1
à écrit le 04/11/2022 à 15:54
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Il faut souligner que tout conflits sociaux ne sont que des conséquences ! Que certain transforment en cause !

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