Économistes au bord de la crise de nerfs

OPINION. La combinaison de l'obsession des banques centrales vis-à-vis de l'inflation, de leur concentration sur cette seule et unique priorité, et de la prolifération de ce palier des 2% à travers toutes les banques centrales du monde a engendré une sorte de suicide collectif. Par Michel Santi, économiste (*).
Michel Santi, économiste.
Michel Santi, économiste. (Crédits : DR)

Les banques centrales sont perdues, et les banquiers centraux avouent aujourd'hui à mots couverts que leurs outils et autres instruments de politique monétaire utilisés depuis des décennies pour rectifier les cycles économiques ne fonctionnent plus !

Eh oui: elles ont perdu leur touche magique, ces banques centrales qui ne sont plus omnipotentes, y compris la plus puissante d'entre elles, à savoir la Réserve fédérale US.

Elles qui jouissent -et qui sont, à juste titre, fières et jalouses- de leur indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques et de la bureaucratie des États, elles qui ont bénéficié pendant longtemps du pouvoir quasi-miraculeux et privilégié de régulation des cycles de l'activité économique, elles qui ont longtemps assumé les décisions - parfois impopulaires et souvent controversées - en matière de taux d'intérêts tout en affichant ostensiblement leur indifférence aux pressions exercées par les politiques, ce sont elles désormais qui plaident pour que les dépenses publiques, pour que la politique budgétaire et pour que la fiscalité viennent à la rescousse - ce qui, en soi, est une reconnaissance implicite de leur faiblesse.

À force de tout sacrifier au dogme des 2% d'inflation...

Est-ce à dire que le paradigme sur lequel elles ont été édifiées, et qui consistait à stabiliser le système suite aux paniques bancaires du 19e et du début du 20e siècles, est devenu dépassé, périmé ? Elles qui, après Bretton Woods et après l'instauration des taux de change flottants, étaient les gardiennes de cette sacro-sainte stabilité des prix théorisée par Milton Friedman.

Elles ont hélas concentré tous leurs efforts sur la surveillance du palier quasi-dogmatique des 2% d'inflation qui était le seuil critique à ne surtout pas dépasser afin que ce système puisse prospérer.

Elles ont tout sacrifié à l'aune de ce repoussoir des 2%, y compris la préservation du plein emploi et la promotion de la croissance reléguées loin, très loin, derrière la protection des épargnants et des rentiers.

Une victoire en forme de suicide collectif

Ironie du sort, il serait tentant, aujourd'hui, de les féliciter. N'ont-elles pas remporté de haute main cette lutte contre l'inflation qui est désormais une denrée extraordinairement rare ? En fait, la combinaison de leur obsession vis-à-vis de l'inflation, de leur concentration sur cette seule et unique priorité, et de la prolifération de ce palier des 2% à travers toutes les banques centrales du monde (qui en cela ont suivi la Fed et la BCE après la Bundesbank) a engendré une sorte de suicide collectif car nul ne sait plus actuellement de quelle manière faire resurgir un tout petit peu d'inflation.

Mais ne jetons pas la pierre aux seuls banquiers centraux car c'est, en réalité, la globalité de la corporation des économistes traditionnels, orthodoxes, «mainstream» qui est désormais sur un siège éjectable pour n'avoir voulu admettre que le capitalisme est fondamentalement vecteur d'instabilité, et pour n'avoir pas voulu intégrer les composantes essentielles - comme la dette et comme l'argent - dans leurs modèles économiques.

"Un enterrement à la fois": la lente avancée des idées nouvelles

Il suffisait pourtant de s'intéresser aux travaux et à l'hypothèse de l'instabilité financière de Hyman Minsky pour se départir - ou au moins pour questionner - leurs certitudes quant à l'équilibre des marchés et de l'économie auquel s'accroche toujours un certain nombre d'entre eux ! Pourtant, les crises sont inévitables, les bulles spéculatives humaines, comme sont intenables certains niveaux d'endettement du secteur privé générateurs de déséquilibres profonds qui nécessitent des ajustements violents à intervalles réguliers.

L'expérience des Hommes montre qu'il leur est très ardu de remettre en question les schémas intellectuels dans lesquels ils sont confortablement installés, qu'il leur est quasiment impossible d'en adopter d'autres qui soient plus radicaux. Déplorant le manque d'enthousiasme de ses contemporains pour ses découvertes pourtant géniales sur l'électromagnétisme, le physicien Max Planck notait que la science n'avance qu'«un enterrement à la fois». Il en va de même pour l'économie et pour les marchés financiers - il est vrai - familiers des hécatombes.

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(*) Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.

Il vient de publier «Fauteuil 37» préfacé par Edgar Morin

Sa page Facebook et son fil Twitter.

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Commentaires 9
à écrit le 10/09/2020 à 9:45
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Autrement dit, il y a des récessions, que les économistes sont incapables de prévoir, parce que c'est trop compliqué. Et il va bien falloir qu'un certain nombre de personnes se disent qu'ils vont gagner moins d'argent cette année. De préférence ceux...

à écrit le 09/09/2020 à 17:33
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essayer de vivre sans économistes, qui de théories fumeuses en erreurs répétées, nous entraînent trop souvent dans des désillusions ?

à écrit le 08/09/2020 à 9:26
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C'est pourtant facile de générer de l'inflation par les coûts. Augmenter les salaires les plus bas et payer plus cher les matières premières. Cela améliorera la vie des salariés et la vie des gens des pays producteurs de matières premières. Tout ce...

à écrit le 08/09/2020 à 9:14
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Quand les théories font abstraction du facteur humain, qui ne voie dans la monnaie généralement qu'un moyen d'échange et qui ne se fie qu'a sa vitesse de circulation pour réagir, tout les châteaux de carte ne sont que des empilements instables!

à écrit le 08/09/2020 à 7:12
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Ils adorent ça être au bord de la crise de nerfs, en plus ils se font un fric "de dingue" à la bourse. Il convient de rappeler que l'économie est à 90% une construction intellectuelle humaine, et que le libéralisme est fondé sur la cupidité, la gue...

à écrit le 07/09/2020 à 21:44
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Versez l'argent aux ménages plutot qu'aux banques qui inflatent les actifs financiers justement et l'immobilier et vous verrez comme c'est facile d'engendrer de l'inflation... Ya des ons quand même...

le 09/09/2020 à 20:11
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ça semble tellement facile que les gens ont rempli leurs livret A de 100 milliards en 6 mois et refusent de les dépenser. Après une t'ite bierre sur le coin du comptoir on se croit vite inspiré. Comment se fait-il que personne n'y ait pensé avant moi...

à écrit le 07/09/2020 à 18:58
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Quelques décennies, c'est pas grand choses dans l'histoire de l'économie, surtout si on considère que ces décennies justement étaient des anomalies économiques. Il y a plus de 20 ans, la verte envergure dans son discours, the challenge of central ba...

à écrit le 07/09/2020 à 18:23
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"et pour n'avoir pas voulu intégrer les composantes essentielles - comme la dette et comme l'argent - dans leurs modèles économiques." C'est exactement ça et c'est franchement ballot avouons le d'oublier l'argent au sein d'un phénomène économique...

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