EuropaCity  : comment éviter un Notre-Dame-Des-Landes aux portes de Paris  ?

Le megaprojet de parc de loisir et de commerce du Triangle de Gonesse fait hurler les écologistes. Comme à Notre-Dame-Des-Landes, les conditions d'un affrontement entre « bétonneurs » et « zadistes » se mettent en place. Une vraie concertation devrait pourtant permettre à ces zones défavorisées de tirer bénéfice des énormes investissements prévus. Par Daniel Vigneron, journaliste spécialisé dans les questions économiques et européennes, fondateur en 2010 du site myeurop.info (*).

EuropaCity ou « Europadutout »? Une fois de plus, un mégaprojet d'aménagement d'une base d'activité et de loisir fait face à ses détracteurs irréductibles. La guerre est déclarée entre les porteurs du projet — le groupe Auchan à travers sa filiale immobilière Imochan associée au groupe chinois de tourisme et d'hôtellerie Wanda — et différentes associations altermondialistes. Nous sommes à 16 kilomètres de Paris, à l'est du Val-d'Oise et à quelques encablures de la Seine St Denis, territoires des quartiers défavorisés, du chômage massif, des zones de non-droit... C'est là qu'un scénario comparable à celui de l'aéroport de Notre-Dame-Des-Landes est en train de se mettre en place : une ZAC (Zone d'Aménagement Concerté) face à une ZAD (Zone à défendre).

Aménagement du territoire versus défense de la ruralité

Tous les ingrédients sont réunis pour un scénario classique. D'un côté l'aménagement du territoire (dans le cadre du Grand Paris), le développement local, la création d'emplois, la société digitale  ; de l'autre, la préservation des terres agricoles, la défense de la ruralité, des petits commerces, de la biodiversité... Comme dans le cas de Notre-Dame-Des-Landes, la bataille des chiffres est lancée, les experts s'affrontent et les recours juridiques se concoctent. La première salve des opposants a fait mouche : le 6 mars dernier, le tribunal administratif de Cergy a annulé l'autorisation de création de la ZAC du Triangle de Gonesse, préalable à la construction d'EuropaCity. Mais l'État vient de faire appel. Le bras de fer commence vraiment.

EuropaCity, c'est, dans le cadre de l'aménagement de 280 hectares de terres essentiellement agricoles situées entre les aéroports de Roissy et du Bourget, une zone de 80 hectares comportant un complexe commercial (500 boutiques prévues), un parc aquatique et un parc des neiges, des espaces culturels, des restaurants ainsi que 2.000 chambres d'hôtels... Coût de l'investissement, 3,1 milliards d'euros. À la clé, 3. 200 emplois par an pour la construction qui s'étalera sur plusieurs années et 10 .000 emplois permanents pour l'exploitation. Tout autour sera édifié un vaste quartier d'affaires offrant 800. 000 m2 de bureaux, 200. 000 m2 d'activités technologiques et 80. 000 m2 de centres d'innovation. Ce qui devrait générer 40. 000 emplois d'ici à 2030. Ce quartier sera accessible directement depuis Paris et Roissy grâce à la future gare du Triangle de Gonesse de la ligne 17 en construction.

Les diverses associations hostiles au projet s'emploient à démontrer que cette gare, construite in situ à seule fin de viabiliser EuropaCity, est la preuve concrète que l'activité créée n'engendrera que des retombées économiques marginales sur les communes environnantes (Gonesse, Villiers-le-Bel, Le Thillay, Goussainville, Le Blanc-Mesnil...). C'est oublier un peu vite les dispositifs prévus concernant l'embauche de main-d'œuvre locale tant pour le chantier que pour l'exploitation du site.

Les opposants dénoncent la « bétonnisation » provoquée par EuropaCity

Mais les principaux arguments des écologistes sont de deux ordres. En premier lieu, ils dénoncent la « bétonnisation » de 280 hectares de terres réputées, dit-on, comme étant parmi « les plus fertiles d'Europe ». Certains vont même jusqu'à prétendre que le fameux triangle de Gonesse est en quelque sorte le « poumon vert » de la capitale. Ces assertions tombent d'elles-mêmes lorsque l'on se penche sur la réalité agricole régionale : les 280 hectares du triangle, coincés entre deux aéroports et encerclés d'un réseau autoroutier dense, ne représentent que 0,5 % des 54 .000 hectares de terres agricoles du Val-d'Oise ! On est loin de la problématique des 1. 600 hectares de zones humides de la ZAC de Notre-Dame-Des-Landes... En outre, le projet EuropaCity prévoit la création d'une ferme urbaine qui ravitaillera les restaurants du site, sans compter la mise en place avec les agriculteurs d'un réseau de production en circuit court.

Le deuxième type de critique porte sur l'impact d'un nouveau centre commercial d'envergure qui viendrait doubler le nombre des 500 commerces déjà en activité dans les centres commerciaux de la région (Aéroville à Roissy, Paris-Nord II, O'Parinor). Pour ces opposants, le risque de voir se développer les friches commerciales dans les centres-ville est considérable. Ce point n'est pas sans fondement, mais certains font remarquer non sans raison que le mal est largement fait, tant la situation économique des quartiers environnants est déjà difficile.

Priver de financements des quartiers sinistrés ?

Reste une réalité incontournable : peut-on faire une croix sur un investissement de plus de trois milliards d'euros dans un département où le chômage des 15/24 ans dépasse les 28 % (comme en Seine Saint-Denis) et 36 % à Sarcelles et à Villiers-le-Bel ; qui compte 65. 000 personnes bénéficiaires du RSA (165. 000 en Seine Saint-Denis) ; dont 20 % des habitants de Gonesse et 23 % de ceux de Villiers-le-Bel perçoivent la prime d'activité ? Les recettes fiscales supplémentaires attendues sont de l'ordre de 40 millions d'euros par an, chiffre à rapprocher des 140 millions de produits des impôts locaux pour Gonesse et les six communes les plus proches en 2015.

Sans compter, à ce stade, les 900 millions d'euros de retombées annuelles pour l'économie locale estimés par les porteurs du projet Europacity, mais que ses détracteurs mettent en doute. Il faut surtout prendre en considération le bénéfice que l'État et les collectivités locales vont tirer de la vente par l'établissement public Grand Paris Aménagement (GPA) des 80 hectares de terrains prévus pour EuropaCity : ayant déboursé de 7 à 10 millions d'euros pour leur acquisition, GPA s'apprête à les céder au consortium Immochan-Wanda pour un montant de 270 millions. Une jolie plus-value !

Mettre de l'huile dans les rouages

Avec de telles recettes, les pouvoirs publics ont une capacité financière de « mettre de l'huile dans les rouages ». En clair, calmer les opposants en répondant à leurs inquiétudes. Des avancées pourraient notamment être obtenues en impliquant davantage encore les agriculteurs locaux dans la production en circuit court. Surtout, parallèlement à l'accélération de la rénovation urbaine, un schéma directeur des implantations commerciales devrait viser à revitaliser les centres-villes en conjurant la désertification et la multiplication des « cités-dortoirs ».

En tout état de cause, des solutions innovantes doivent être trouvées. Car les politiques de la ville et les plans banlieues au coût exorbitant mis en œuvre durant des décennies ont échoué à conjurer la misère économique des zones périurbaines en difficulté. Les méga-investissements en matière commerciale et touristique ne sont certes pas la panacée, mais l'histoire a montré — on pense notamment à la réhabilitation du quartier new-yorkais de Harlem — que ces opérations jouent comme des catalyseurs d'implantations d'entreprises. Une régénération qu'il appartient aux pouvoirs publics de favoriser dès le départ en impliquant l'ensemble des acteurs de terrain. La périphérie nord de Paris ne peut ni se permettre l'inaction, ni une interminable guérilla entre « zacistes » et « zadistes ».

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Commentaires 8
à écrit le 27/06/2018 à 9:06
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"Zone défavorisée" Il est vrai que les travailleurs bangladais qui avant le néolibéralisme ne gagnaient rien ont vu leurs conditions de vie s'améliorer dorénavant en gagnant un euro par jour à confectionner nos vêtements pour finir brulés dans no...

à écrit le 27/06/2018 à 7:58
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1è différence avec NDDL, là il s'agit de vraies bonnes terres agricoles contrarement à celles de NDDL, sans la moindre valeur à cet égard. 2è différence, il s'agit ici d'un projet qui objectivement ne peut être qualifié d'intérêt public contraireme...

à écrit le 27/06/2018 à 7:12
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Je regrette que votre article sur europacity manque d'objectivité. Je le devinais dès les premières lignes, à votre ton, mais c'est très clair à vos commentaires. Et pourquoi pas un beau parc comme ça dans Paris même. Avec la Seine? Bercy s'est peu...

à écrit le 27/06/2018 à 4:59
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Est-ce un article rédigé par un journaliste? Ou bien un article rédigé par la direction à la communication de Auchan? On est en droit de se demander pourquoi un tel parti pris... Pourrait-on avoir des articles avec davantage d'impartialité svp? ...

à écrit le 26/06/2018 à 19:42
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nos énarques ont ils oubliés notre AGRICULTURE ! ! encore un scandale qui pointe

à écrit le 26/06/2018 à 19:28
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Encore des commerces et des aires loisirs: c'est à croire que les français ne font que s'amuser et acheter. La décadence de Rome a commencé le jour où le peuple a réclamé du pain et des jeux (panem et circences), mais peu de latinistes pour connaitre...

à écrit le 26/06/2018 à 19:16
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Aux USA on commence à fermer des centres commerciaux à cause de la concurrence de l'Internet et cela va s'accentuer.Pourquoi vouloir bétonner des terres agricoles, avec la promesse de créer des emplois dont la plupart sont hypothétiques?.Dans la cons...

à écrit le 26/06/2018 à 17:52
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Cette incapacité à se projeter dans l'avenir est pour moi incompréhensible. Une zone commerciale ça n'est que du béton. Dans 30 ans, ça ne vaudra plus rien et on ne pourra rien en faire. La terre se cultive et on sera bien heureux de l'avoir sous la ...

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