Hausse des taux directeurs : « la pénultième est morte »

CHRONIQUE. Les poètes ont toujours un temps d'avance. Mallarmé prévoyait-il déjà que la pénultième hausse des taux directeurs serait la dernière ? Nos banquiers centraux viennent de suggérer la fin des hostilités, alors que jusqu'à présent ils entretenaient le doute. Par Karl Eychenne, chercheur chez Oblomov & Bartleby
(Crédits : KEVIN LAMARQUE)

« La Pénultième est morte » Stéphane Mallarmé, Le Démon de l'analogie

Depuis la fin de l'été, les Banques centrales entretenaient le doute sur la fin des hausses de taux directeurs.

« Encore une, aujourd'hui peut-être, ou alors demain... »

Un message nébuleux, mais suffisamment explicite pour les marchés. Les investisseurs ne sont pas des amuseurs à la moutarde, ils avaient décidé depuis longtemps que le seul facteur de risque monétaire suffisait à faire la pluie et le beau temps, le reste à l'avenant. La messe était donc dite, puisque les taux n'allaient pas baisser, il fallait qu'ils montent. Et s'ils montaient, il fallait que les actions baissent. C'est effectivement ce qui fut observé. Mais hier, la donne a changé.

Hier, le banquier central américain a multiplié les allusions et messages subliminaux afin que chacun comprenne sans ambiguïté le message suivant :

« Les hausses de taux directeurs, c'est terminé ».

Jerome Powell n'a jamais dit cela, mais c'est ce que tout le monde a entendu. Le replay donne plutôt :

« Devons-nous encore monter les taux ? »

Lorsqu'on ose poser une question que l'on n'a jamais posé, il faut bien que les conditions aient suffisamment changé pour vous mettre dans un tel état d'esprit. Personne n'a écouté les réponses que Jerome Powell s'est faites à lui - même à la suite de son monologue. En effet, le seul fait d'oser poser cette question constituait une nouvelle majeure pour l'investisseur. Cette seule question ouvrait alors un champ des possibles jusque-là interdit à l'imaginaire : les taux directeurs pouvaient désormais cesser de monter. Un petit pas pour la syntaxe, un grand pas pour les marchés.

La réaction des marchés fut assez prévisible finalement : des baisses de taux d'intérêt de long terme, et des hausses des marchés d'actions, c'est-à-dire l'exact inverse des mouvements observés depuis la fin de l'été. Et si l'on regarde de plus près, la cohérence est plus frappante encore : préférence pour les valeurs les plus sensibles à des baisses de taux au détriment des moins sensibles ; préférence pour les obligations mal notées plutôt que bien notées ; retour sur les marchés émergents, retour sur les actifs exotiques... Autrement dit, un retour de l'appétit pour les actifs qui avaient été les plus fragilisés par le discours des banquiers centraux, jusque-là rétifs à imaginer la fin des hausses de taux.

La pensée Janusienne de la Fed

Pourquoi un tel revirement monétaire ? Le marché du travail est pourtant toujours aussi tendu aux États-Unis, et l'activité reprend du poil de la bête avec un PIB survolté pour ce 3e trimestre. Si bien que les mêmes motifs qui avaient incité la Fed à prolonger le trait restrictif semblent encore effectifs. Mais Jerome Powell a évolué dans sa réflexion, n'hésitant pas à voir le verre à moitié plein là où il était à moitié vide auparavant, une véritable pensée Janusienne.

Ainsi, le banquier central américain a notamment laissé entendre que les marchés obligataires lui avaient un peu facilité la tâche, avec des taux d'intérêt de long terme montant à près de 5%, renforçant davantage encore le caractère restrictif des conditions de financement. De plus, avec une inflation qui reflue tous les mois davantage encore, aujourd'hui sous les 4%, le coût réel de l'argent monte naturellement par la baisse de l'inflation sans que les taux directeurs n'aient pas besoin de monter.

Enfin, d'un point de vue plus académique, les taux directeurs à 5,5% sont déjà bien au-delà du taux de croisière (taux neutre) de la Fed plutôt estimé autour de 2,5%. Dans la même veine, si l'on essaie de calibrer une règle monétaire à l'aide de variables résumant le cycle économique, alors la Fed ne serait aujourd'hui pas loin du compte avec ses 5,5%, d'après les travaux de la Fed d'Atlanta.

Le risque géopolitique est partout, sauf dans les marchés

La montée du risque géopolitique est-elle pour quelque chose dans le revirement de la Fed ? Possible que cela soit une raison, possible que cela soit un prétexte. Mais cela n'a aucune importance pour les marchés, puisque ces derniers n'ont jamais considéré qu'il s'agissait là d'un risque majeur susceptible de déclencher un mouvement de panique, ou une envolée du prix du Brent. Les marchés n'ont jamais considéré que le risque géopolitique l'emportait sur le risque monétaire. La réaction d'hier en est une nouvelle preuve.

La Fed vient-elle de renverser la vapeur ? A-t-elle insufflé un souffle nouveau sur les marchés, anticipant une baisse tendancielle des taux de long terme, avec pour corolaire une hausse durable des marchés d'actions ?

Tant que les banquiers centraux ne tireront pas la bride de nouveau, on peut imaginer que les taux continueront de reculer, et les actifs risqués continueront de remonter. Seule limite technique, les niveaux faiblards des indicateurs avancés (PMI) qui semblent encore bien trop bas pour justifier un appétit pour le risque significatif des investisseurs. Cela ne signifie pas que les actions ne peuvent pas monter davantage, cela signifie qu'elles ne peuvent le faire que si les taux baissent. Les performances des marchés d'actions et des emprunts d'État seront positives, mais la performance des actions ne sera pas beaucoup plus élevée que celles des emprunts d'État. L'initié parlera de prime de risque observée (différence entre la performance des actions et des emprunts d'État), une prime aujourd'hui déjà bien élevée à près de 10% sur les 12 derniers mois quand les indicateurs avancés justifieraient plutôt... 0%.

La Fed a donc rebattu les cartes, et le jeu semble désormais favorable aux marchés de taux et d'actions. Mais attention, car c'est encore Stéphane Mallarmé qui nous rappelle que :

« Un coup de dés jamais n'abolira le hasard ».

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Commentaire 1
à écrit le 03/11/2023 à 9:19
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Ah tout ces mégas riches et leurs immenses problèmes de ne pas pouvoir gagner toujours plus toujours plus vite. Forcément nous autres on peut pas comprendre !

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