L'harmonisation fiscale des sociétés est la grande incapacité de la Commission Européenne

OPINION. La justice européenne donne raison à Amazone et désavoue la Commission Européenne. Pourquoi valide-t-elle l'avantage fiscal d'Engie ? Deux cas de "rabais fiscaux", deux jugements opposés qui relancent le débat sur les établissements stables en Europe. Les deux jugements tombent alors que la pandémie soulève des questions sur les résidences fiscales des entreprises. Avec la proposition de la secrétaire américaine du Trésor d'un taux d'impôt minimal global des sociétés, une porte de sortie est offerte à l'Europe. (*) Par Gabriel Gaspard, chef d’entreprise à la retraite, spécialiste en économie financière.
(Crédits : YVES HERMAN)

La notion d'établissements stables en Europe est source de multiples distorsions nuisibles à la performance économique. Elle est également source de saturation des tribunaux.

Concernant les GAFAM, à causes des conventions fiscales internationales qui sont supérieures aux droits nationaux et aux pratiques de "ruling" qui sont des accords directs entre les États et les entreprises, il est très difficile d'établir une notion d'établissement stable physique ou virtuel.

Avec la pandémie, on constate deux nouveaux cas de situations qui peuvent aboutir à des redressements fiscaux. Le premier est le cas d'un résident Français qui dirige une société européenne et qui, à cause de cette pandémie, a conduit sa société à partir de la France. Le second vise des salariés ou mandataire européens, qui négocient et signent en France des contrats commerciaux au nom d'une société européenne et qui sont restés plus de 6 mois consécutifs en France à cause du confinement et de la fermeture des frontières.

En France la situation devient absurde : on va imposer des entreprises européennes non françaises avec des lois françaises. L'État français ne peut pas imposer des sociétés étrangères sur leur chiffre d'affaires réel réalisé en France.

Le temps pour agir en justice est très long : tribunal administratif, cour d'appel, cour de cassation et Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

La liberté d'établissement en droit communautaire a été instaurée par le Traité de Rome en 1957. L'un des objectifs initiaux était d'établir des conditions favorables au développement des activités économiques communautaires et permettre ainsi la réalisation du Marché intérieur.

Une obligation pour tous

Pour faciliter l'activité transfrontalière des sociétés, le Traité a également interdit les restrictions relatives à la création d'agences, de succursales ou de filiales. Les États d'accueil doivent donc s'abstenir d'établir des conditions moins favorables. Ce principe confère aux fondateurs de sociétés une liberté de choix entre les différentes formes d'établissements secondaires pour qu'ils soient dépendants ou indépendants juridiquement. Cette liberté de choix, consacrée par l'arrêt Centros, donne à chaque ressortissant des États membres le droit inhérent à l'exercice de la liberté d'établissement, de créer une succursale dans un autre État membre. Ce droit doit s'appliquer quel que soit le système adopté dès lors que la société est constituée conformément à la législation d'un État membre et qu'elle y possède son siège statutaire, son administration centrale et son principal établissement.

Or on s'aperçoit en pratique, qu'énormément de contrôles fiscaux s'engouffrent dans la dénonciation d'un établissement stable virtuel en France sans connaissance des lois locales ou européennes, qui est pourtant une obligation pour tous. Cette pratique conduit à la destruction des sociétés françaises et à l'autodestruction du développement des échanges entre les pays de la zone euros. On assiste ainsi à la saturation des tribunaux et à la sollicitation d'ouverture de procédures à l'amiable conformément aux conventions entre les pays européens concernés.

Les objectifs doivent rester la prévention de l'évasion fiscale et l'élimination de la double imposition. On peut lire sur le site Europe.eu :

"Sur un plan général, une certaine harmonisation de l'imposition des sociétés peut se justifier pour prévenir les distorsions de la concurrence (en particulier dans les décisions d'investissement) ainsi que pour éviter une «mise en concurrence fiscale» et réduire les possibilités de manipulation comptable".

Or le 5 avril 2021, Mme Janet Yellen, la secrétaire américaine au Trésor, a peut-être annoncé une bonne idée pour l'Europe et la France :

"Nous travaillons avec les pays du G20 pour s'entendre sur un taux minimal d'imposition sur les entreprises, qui pourrait mettre fin à la course vers le bas".

Cette réforme prévoit, en plus d'un taux minimal mondial, de moduler l'impôt sur les sociétés en fonction des bénéfices réalisés dans chaque pays, indépendamment de leur établissement fiscal. Cette réforme réglerait, si elle est appliquée, les conflits entre l'Europe et les GAFAM et porterait un coup dommageable aux paradis fiscaux.

En Europe des propositions sur l'harmonisation des impôts sur les sociétés sont débattues depuis plusieurs décennies (rapport Neumark de 1962). Pour l'Europe il devient très urgent d'harmoniser les taux d'imposition des sociétés (projet ACCIS : assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés). Ce projet, relancé en 2016, se heurte depuis longtemps à certains états membres comme l'Irlande. L'ACCIS serait obligatoire mais elle pourrait être mise en œuvre progressivement (depuis plus de 5 ans ...). Cette mesure permettrait de limiter le "dumping fiscal" et de trouver une solution de répartition des impositions en cas d'établissement stable. L'Europe travaille encore et encore sur une proposition européenne sur l'imposition de l'économie numérique, en attendant un accord mondial.

En appliquant un taux d'imposition minimal global (plan Biden) de 21% pour tous les pays de l'UE et en respectant l'ensemble de règles uniques de l'ACCIS, ces dispositions permettraient de déterminer le résultat imposable d'une société au sein de l'UE. Les résultats imposables et consolidés seraient répartis entre chacune des sociétés qui constitue le groupe. Chaque société soumettra ses bénéficies dans l'État où elle est résidente.

En cas de conflit, seule la "convention européenne d'arbitrage" sera compétente et remplacera, dans le cas des établissements stables, les tribunaux nationaux et toutes les conventions fiscales bilatérales entre les pays de l'UE. On peut lire sur le site Europe.eu :

"Si la plupart des conventions bilatérales relatives à la double imposition contiennent des dispositions prévoyant un ajustement à la baisse correspondant des bénéfices de l'entreprise associée concernée, elles n'imposent nullement aux parties contractantes l'obligation d'éliminer la double imposition".

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Commentaires 2
à écrit le 18/05/2021 à 9:21
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Parce que les deux mamelles de l'UE sont le dumping fiscal et le dumping social, il est bien évident que du coup entre les grandes déclarations pompeuses habituelles auxquelles de moins en moins de gens croient et les actes elle soit énormément génée...

le 18/05/2021 à 16:52
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C'est l'Europe des riches et des super-banqiers et les bourgeois (politicards) grenouillent autours et aimeraient que cela ruisselle plus sur eux, vu les nombreux services rendus à la cause .

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