La taxe numérique, un exemple d'errement fiscal français

OPINION. Un compromis a été trouvé et la France échappe à des représailles commerciales sur ses exportations de vins et fromage. L'administration fiscale américaine, qui avait jugé la taxe numérique française discriminatoire en décembre, planifiait de mettre en place des mesures de rétorsion à l'encontre de ces produits hexagonaux. Retour sur un texte emblématique des dérives qui se produisent lorsqu'on légifère sur la base de clichés, sans regarder la réalité des dossiers. Par Nicolas Marques, directeur général de l'Institut économique Molinari.
Bruno Le Maire, au forum économique de Davos.
Bruno Le Maire, au forum économique de Davos. (Crédits : Reuters)

Souvenons-nous du débat. Fin 2018, les GAFA sont pointés du doigt en France. Le grand public avait en tête les mécanismes qu'ils avaient mis en place (Irlande, Pays-Bas...) pour optimiser leur fiscalité. Peu de monde avait compris qu'ils ne lésaient pas nos finances publiques. Ces dispositifs avaient été conçus pour limiter les effets de la fiscalité américaine sur les sociétés, à l'époque parmi les plus élevées au monde. Nos autorités s'appuyaient sur une étude censée attester que les GAFA américains payaient 14 points d'impôts de moins que nos entreprises européennes. Seuls les spécialistes savaient que cette étude, purement théorique, ne tenait pas compte des impôts réellement supportés par les entreprises et les auteurs de ce travail contestaient les conclusions qu'en tiraient les autorités. Peu de monde avait réalisé que les GAFA payaient autant d'impôt sur les sociétés que les grandes entreprises européennes. Les ordres de grandeurs véhiculés dans le débat public n'ayant aucun rapport avec la réalité, comme le montrera une étude de l'Institut économique Molinari.

Il fallait faire rentrer de l'argent pour financer les promesses faites aux gilets jaunes. Les GAFA semblaient la cible idéale et l'idée s'est transformée en projet de loi. Il s'agissait de prélever une taxe de 3% sur une partie du chiffre d'affaire des « géants du numérique ». Les promoteurs de cette taxe ont passé sous silence qu'il s'agissait d'une démarche déconseillée par les économistes. Les taxes sur les chiffres d'affaires sont les plus arbitraires qui soient. Elles pénalisent d'autant plus les activités dont les marges sont faibles. Pire, elles sont susceptibles de générer des effets « cascade », avec des empilements de taxes dans une même prestation encourageant à l'intégration verticale des producteurs, l'inverse de ce qui est souhaité dans le numérique.

Report immanquable de l'impôt

Les promoteurs de la taxe française ont surtout oublié de préciser que les GAFA reporteraient immanquablement cet impôt sur leurs partenaires et consommateurs hexagonaux. Dans l'étude d'impact transmise par le gouvernement au parlement en mars 2019, il n'y avait aucun chiffrage de cet effet d'incidence fiscale pourtant fondamental. Si, avec l'épisode des gilets jaunes, tout le monde avait compris que ce sont les consommateurs qui s'acquittent des taxes sur le pétrole, peu de monde réalisait qu'il en irait de même pour la taxe GAFA. Comme les distributeurs de carburants, les GAFA - maniant l'or noir du XXIe siècle - peuvent répercuter les taxes sur leurs clients finaux. Un chiffrage fait à la demande de l'industrie montrait qu'environ 55 % de l'impôt serait supportée par les consommateurs, 40 % par les partenaires commerciaux des entreprises ciblées et seulement 5 % par les géants du net. L'administration publique française a évité de faire ce chiffrage, ce qui a permis au défenseur de la taxe de passer sous silence cette réalité. D'un point de vue économique, la taxe GAFA conduisait à taxer des acteurs français et non des grandes entreprises numériques étrangères.

La taxe est votée en juillet 2019, dans une forme rétroactive. Elle génère depuis un maximum de complexités. Les entreprises ayant en charge sa collecte ont notamment l'obligation de traquer les transactions faites avec des utilisateurs français. Par ailleurs, cette date marque aussi le début de problèmes diplomatiques internationaux.

Discriminatoire selon les Etats-Unis

Les autorités américaines s'emparent du dossier, agacées par l'initiative française qu'elles jugent discriminatoire. Vu d'outre Atlantique, des entreprises américaines ont été pointées du doigt, avec une démarche visant à mettre la main sur une partie des impôts dus aux Etats-Unis. De crainte de représailles commerciales, la France s'engage dès juillet à rembourser la taxe collectée par les géants du numérique si une taxe internationale est mise en place au niveau de l'OCDE. A l'époque, la France pense que cette démarche, sans fondement économique puisque les entreprises américaines reportent cette taxe sur les consommateurs, suffira.

Cela n'a pas été le cas. Entre juillet et décembre 2019, les autorités américaines ont instruit leur dossier, avec une rigueur sans rapport avec la légèreté ayant prévalu chez nous. L'administration française tente de se défendre, tout en préservant le narratif qu'elle a déployé auprès de l'opinion publique. La loi ne serait pas discriminatoire, le texte de loi visant les « géants du numérique » et non les GAFA américains en tant que tel. D'ailleurs, il n'y a pas que des entreprises américaines concernées, ce qui est vrai à la marge. Mais elle évite soigneusement d'utiliser l'argument de l'incidence fiscale qui montrerait la réalité de cette taxe. Elle pèse sur les utilisateurs et non sur les GAFA. D'ailleurs, dès octobre Amazon avait commencé à répercuter la taxe sur les marges de ses partenaires français.

La menace s'estompe

En décembre, les autorités américaines concluent que la taxe française est discriminatoire et ne respecte pas les principes de fiscalité internationale. En janvier, elle identifie la liste des produits français pouvant faire l'objet de représailles, avec notamment des droits sur le vin et les fromages provenant de France. Une démarche qui, si elle était mise en œuvre, pèserait sur nos producteurs, nos vins et fromages étant exposés à la concurrence internationale.

Aujourd'hui, cette menace s'estompe. On devrait tirer les leçons de cette séquence. Trop de lois françaises sont votées sans qu'au préalable une véritable étude d'impact soit réalisée, avec des mesures produisant des effets sans rapport avec les intentions initiales et sans tenir compte des complexités qu'elles génèrent. Dans quelques jours s'ouvre le Printemps de l'évaluation, une opération destinée à expliquer l'importance de l'évaluation économique des lois. On aurait besoin que ce soit tous les jours le printemps et dans toute une série de domaines...

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Commentaires 30
à écrit le 27/01/2020 à 13:45
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les GAFA ont été scandaleusement diabolisés et accusés de tous les maux pour justifier la mise en place d'une taxe ridicule dans son assiette (le CA et non le bénéf) , ne rapportant pas grand chose (max 500 à 700 millions) et risquant de nous coûter ...

le 28/01/2020 à 12:31
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Alors pourquoi Apple , Amazon , Google virent la valeur ajouté à la Banque Américaine Si ce n’était «  que » du Chiffre d’affaires ? Avec l’argent virtuel, les transactions seront encore plus rapides... « A défaut de taxes «  , nous pouvons boycotte...

à écrit le 26/01/2020 à 15:08
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Quel RIDICULE ! ce Le Maire

à écrit le 26/01/2020 à 11:23
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Réponse @ Réponse de Alain d Les éléments de language que vous utilisez "truandages", "Paradis fiscaux" sont à l'image de votre inventaire disparate de mesures. C'est émotionnel, au lieu de viser directement le coeur du problème des GAFA (et de tout...

le 27/01/2020 à 13:52
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@Bara : J'adhère à presque tout votre propos, à part que l'ordi réétiqueté dont vous parlez est plus probablement fabriqué en Chine qu'aux USA (ou souvent en Pologne pour Dell). Et la solution, c'est une convergence fiscale européenne (donc plus d'Eu...

à écrit le 25/01/2020 à 16:20
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Ce texte ne vaut même pas un kopeck, tellement il est à sens unique et faussé. Rien à voir avec les gilets jaunes ! D'ailleurs la révolte contre les GAFA et les paradis fiscaux qui les abritent était engagée au niveau européen, avant le règne de Ma...

le 25/01/2020 à 17:30
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Le sujet c'est la taxe sur les GAFA, pas les "les "procédures contre le truandage"". Quant à l'impact des gilets jaunes, il peut expliquer l'acharnement désespéré du gouvernement à défendre cette taxe dont l'article montre clairement l'absurdité.

le 25/01/2020 à 19:08
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@ Bara Je suis donc en plein dans le sujet puisque les procédures citées et amendes infligées correspondent à des taxes non payées, notamment pas les GAFA et Cie. Je m'excuse d'avoir rappelé que les GAFA & Cie qui truandent se planquent dans les par...

à écrit le 25/01/2020 à 2:05
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En fait, les représailles ont déjà commencé. Les visas pour les Français aux USA ont vu leur durée être considérablement réduite. Elle est passée de 5 ans à 25 mois pour les visa investisseurs. Elle a été divisée par 2 pour les visas de salarié. C...

à écrit le 25/01/2020 à 2:00
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France, le pays de la taxe depuis le Moyen-Age.

à écrit le 24/01/2020 à 21:43
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Enfin le printemps fiscal qui verrait nos jeunes chercheurs revenir en France, nos entreprises s'implanter dans notre pays, des investissements étrangers se placer sur des valeurs françaises. Un taux de chômage qui diminuerait. C'est le demi échec...

à écrit le 24/01/2020 à 21:20
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L'Europe et la France se sabordent depuis des années : l'EU a accordé à l'Ireland, aux pays et au luxembourg le droit de créer des plateformes fiscales qui siphonnent les revenus des grands groupes. Ce ne sont ni Trump ni les Gafa qui ont fait ça. ...

le 24/01/2020 à 21:50
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J'ignorais que Lemaire avait dit que "son handicap était son intelligence". Si c'est exact, c'est bien la première fois qu'il semble lucide, je dirais même modeste car cela équivaudrait à dire que son point fort est la bêtise.

à écrit le 24/01/2020 à 18:39
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Discrimination ? N’importe quoi ! Pas honte de l’écrire ? Comme vous avez vite oublié les «  lois racistes mis en place par M. Trump » pour empêcher l’immigration alors que des milliers d’humains ont péri ( des enfants aussi ) Trump a laissé l’Euro...

le 24/01/2020 à 22:03
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Quelle originalité ! Encore des taxes et des procès, qui ne pénaliseront que les gaulois retranchés dans leur passé ! C'est comme le coût du stationnement et les chicanes contre les transports individuels en ville. Résultat : la fin du petit commer...

à écrit le 24/01/2020 à 18:12
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Pour les usa quand ça touche leur cote de Buffle : c’est discriminatoire Mais quand le système économique mondial des usa détruits plus de 25% avec les innovations gadgets : c’est normal ... c’est le progrès ... Écrasez les autres et avoir le monopo...

le 24/01/2020 à 18:30
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Précision : destruction des emplois , pouvoir d’achat , augmentation de précarité , chômage , baisse de qualité de vie , immigration suite aux guerres provoquées au MO ..., La liste est longue ... Les USA ont un seul œil ( juste pour eux ) le reste i...

à écrit le 24/01/2020 à 15:13
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L'auteur semble oublier que le premier objectif de cette taxe est de faire avancer les choses sur la mise en place d'une taxe internationale sur les activités du domaine du numérique. Les États-Unis ont longtemps bloqué de telles négociations avec ma...

le 24/01/2020 à 16:28
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Si l'objectif était de "Faire avancer les choses" ? Alors objectif raté ! Si c'était d'augmenter les taxes payées par les français tout en les caressant dans le sens du poil, c'est raté aussi . Ce qui m'oblige, bien malgré moi, à dire "Merci Trump" ...

à écrit le 24/01/2020 à 13:52
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... de plus de l'amateurisme de l'équipe macronienne qui navigue à vue, ne sait pas où elle va ni comment et, en résumé, ne sait pas quoi faire pour tenter de justifier ses incessantes dépenses somptuaires et autres gaspillages éhontés. Depuis qu'il ...

le 24/01/2020 à 15:18
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"Mais bon, les français ont un psdt à leur image : pas très intelligent, un chouia vulgaire et plus occuper à se regarder le nombril et à s'écouter dégoiser qu'à bosser" Il est vrai que faire des généralités sur tout un pays de 66 millions d'habit...

le 24/01/2020 à 15:32
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Je pense que les réflexions de l'intervenant que vous interpellez ne sont pas des généralités mais plutôt d'indubitable set indéniables constatations. Quand on voit le niveau du franchouillard moyen, et le ludion élyséen en est un, ce qu'affirme l'in...

le 24/01/2020 à 15:34
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Finesse intellectuelle ? Elégance ? Pas question ! Faut se mettre au niveau du français moyen, y inclus celui qui squatte l'élysée. mais au moins, votre com' prouve que vous avez compris... CQFD

le 24/01/2020 à 21:30
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"Je pense que les réflexions de l'intervenant que vous interpellez ne sont pas des généralités mais plutôt d'indubitable set indéniables constatations" Nous avons bien compris que l'intervenant et vous même êtes la même personne. Être continuellem...

à écrit le 24/01/2020 à 12:42
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la demission du ministre s'impose

le 24/01/2020 à 13:55
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Commentaire ridicule. Le maire ne fait que répéter sans toujours y comprendre grand chose ce que l'incompétent élyséen lui ordonne de dire et de faire. Il est connu que, aussi peu compétent qu'intelligent, remarquablement borné aussi, le "premier des...

à écrit le 24/01/2020 à 12:36
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Je pense qu'il manque un aspect important : en l'absence d'action, les GAFA ne paieront jamais d'impôts. Les taxes sont au final payées par le client, c'est vrai pour toute entreprise en situation dominante qui peut la répercuter sur ses clients. ...

le 24/01/2020 à 15:37
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Croire qu'en taxant les gros on favorise l'émergence des petits est dans le droit fil de ce à quoi on assiste en France avec l'imposition de ceux qui réussissent, sous prétexte de soutenir les autres. C'est d'ailleurs parfaitement résumé dans la ra...

à écrit le 24/01/2020 à 12:07
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BRAVO ! Enfin un article clair et simple sur le sujet. Il rappelle qu'évidemment c'est le consommateurs français et les fournisseurs français (donc l'emploi) qui auraient été pénalisés. On retrouve dans cette pathétique histoire de taxe GAFA tout ...

à écrit le 24/01/2020 à 11:56
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Ce monsieur est il bien objectif ou fait il plutôt un travail de lobby ? En tout cas, lorsque vous voyez citée une étude de l'institut Molinari, vous savez tout de suite quel sera le discours!

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