Le financement des procès par les fonds d'investissement : un atout menacé  ?

OPINION. Le Parlement européen a appelé la Commission européenne à légiférer en préconisant l'adoption de mesures de contrôle pour règlementer le financement privé des litiges par des fonds d'investissement. Quelles en seront les conséquences? Par Samantha Nataf, associée chez De Gaulle Fleurance.
Samantha Nataf.
Samantha Nataf. (Crédits : DR)

Dans une Résolution du 13 septembre 2022, le Parlement européen a invité la Commission européenne à présenter une proposition de directive afin de règlementer le financement privé des litiges par des fonds d'investissement.

Le financement privé du contentieux, apparu dans les années 1980 en Australie, s'est depuis largement démocratisé et répandu dans le monde. Les montants investis par les fonds d'investissement spécialisés ont ainsi été multipliés par 15 entre 2010 (700 millions d'euros) et 2019 (11 milliards d'euros).

Des délais plus courts

Ce dispositif est particulièrement utilisé pour financer les procédures d'arbitrage qui opposent des entreprises et/ou des Etats pour le règlement de leurs différends internationaux. Ces contentieux peuvent s'avérer coûteux car il s'agit d'une justice indépendante des Etats, dont les frais sont à la charge des parties (honoraires des arbitres, d'avocats, experts...) et peuvent parfois atteindre plusieurs millions d'euros.

L'arbitrage international est devenu le mode préféré de règlement des litiges internationaux car les sentences arbitrales bénéficient d'une reconnaissance facilitée à l'international. Les entreprises en apprécient en outre le caractère confidentiel et les délais plus courts que la justice traditionnelle. Autre avantage : la possibilité pour les entreprises de choisir des arbitres qui ont une connaissance pointue du secteur d'activité concerné.

Le financement privé du contentieux permet donc l'accès à la justice des acteurs qui n'en ont pas forcément les moyens. Mais là n'est pas son seul attrait. De plus en plus de sociétés y ont recours, non pas par manque de ressources, mais parce qu'elles préfèrent affecter leur trésorerie disponible à leurs affaires courantes et à leurs projets de développement.

De leur côté, les fonds d'investissement y ont trouvé une activité particulièrement rentable. Les conventions de financement prévoient qu'ils perçoivent entre 20 et 50 % du montant des dommages et intérêts alloués. Et on estime que leur retour sur investissement peut dépasser les 300 %. En revanche, si le procès est perdu, le fonds perd la totalité des sommes investies. Compte-tenu de ce risque, avant d'accepter de financer une procédure d'arbitrage, le fonds d'investissement procède à un examen approfondi des chances de succès du litige.

Le financement privé du contentieux est pour l'heure essentiellement réglementé par des instruments dits de « soft law », c'est-à-dire des codes de conduite non contraignants ou autres recommandations déontologiques par les barreaux nationaux. Certains acteurs mettent en garde sur les dérives potentielles d'une telle financiarisation de la justice. Si la partie financée conserve en théorie le pouvoir décisionnaire dans la gestion de la procédure, le fonds dispose d'un droit d'information sur la stratégie adoptée et les différentes étapes du contentieux. Mais il va parfois jusqu'à interférer directement dans la conduite de l'arbitrage et son intérêt peut finir par primer sur celui de la partie financée.

Vers un plafonnement de la rémunération des fonds

C'est dans ce contexte que le Parlement européen a appelé la Commission européenne à légiférer en préconisant l'adoption de mesures de contrôle. Le Parlement européen préconise entre autres la mise en place d'un système de délivrance d'agréments pour les fonds d'investissement visant à assurer le respect de certaines règles éthiques. Il propose également le plafonnement de la rémunération des fonds à 40 % des indemnités perçues et l'interdiction du retrait du financement en cours de procédure.

La réglementation du financement privé des litiges est bienvenue dans la mesure où elle contribuera à assurer une plus grande transparence et une plus grande sécurité juridique au profit de tous les acteurs concernés. Nous estimons toutefois que la Commission devrait veiller à ce que l'Union européenne demeure un terrain d'investissement attractif pour ces fonds. Car ils demeurent un vrai atout pour les entreprises.

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Commentaire 1
à écrit le 15/02/2023 à 16:33
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Hypra clair, Bravo Samantha !

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