Louis XVI, le jeu et la liberté d'entreprendre

OPINION. L'article 51 de la loi PACTE, en cours de discussion au Parlement, pourrait changer la donne pour les jeux d'autant que son adoption pose un problème de constitutionnalité. Par Dominique Chagnollaud (1), professeur des universités, et enseignant à l'Université de Paris II Panthéon-Assas.

Il fut une époque où la question de la réglementation des jeux déliait les langues, polarisait les camps des adversaires et des partisans du hasard, une époque où un Casanova intriguant cherchait à convaincre Louis XV de financer l'école militaire grâce à une grande loterie publique et où un Talleyrand, alors évêque d'Autun, encore tout drapé de morale, pouvait s'alarmer que Louis XVI confiât un monopole à la Loterie Royale de France, dénonçant tout à la fois son injustice et son immoralité.

De nos jours, c'est en catimini que se font les grands changements qui affectent nos jeux et l'article 51 de la loi PACTE, en cours de discussion au Parlement, risque bel et bien d'être adopté sans qu'on s'émeuve, non de sa moralité, mais de sa constitutionnalité. Pourtant les termes mêmes de l'article sont éloquents : le Gouvernement sera autorisé, par ordonnance, à transférer au secteur privé la majorité du capital de La Française des Jeux et à confier à ce nouvel opérateur privé, en sus des paris sportifs en réseau physique, des droits exclusifs d'exploitation des « jeux de loterie commercialisés en réseau physique de distribution et en ligne ». En un mot, le Gouvernement demande au Parlement de lui donner un blanc-seing pour confier à un opérateur privé un monopole sur un nombre indéterminé de jeux, pendant une période indéterminée, sous le contrôle d'un organe lui-même indéterminé.

L'art du flou

La pratique des ordonnances a certainement ses vertus - les ordonnances de codification permettent au Parlement de ne pas gaspiller un temps précieux - mais on ne saurait y avoir recours pour légiférer dans le dos de la représentation nationale et transformer ainsi la technique de la législation déléguée en un art du flou. Quels seront les jeux entrant dans le champ d'application du futur monopole ? L'expression « jeux de loterie », retenue dans le projet de loi, renvoie à une acception extrêmement large et imprécise à tel point qu'un amendement a dû être adopté en première lecture à l'Assemblée nationale - un pis-aller - pour réclamer que soit inscrite dans la future ordonnance une « définition juridique des catégories de jeux autorisés ». A l'heure actuelle, le monopole réservé à La Française des jeux concerne uniquement, outre les paris sportifs du réseau physique, les jeux « de grattage et de tirage ». Que recouvrira la formule « jeux de loterie » lorsque sa signification aura été déterminée par le Gouvernement ? Comme l'annonçait le ministre des Finances, « l'avantage de ce terme très générique, c'est qu'il permet à la Française des jeux de développer toutes sortes de jeux de hasard nouveaux, y compris en ligne » (séance du 15 septembre 2018), un grand « avantage » donc, qui autorisera la constitution d'un monopole sur un vaste ensemble de jeux, comprenant notamment les machines à sous virtuelles pourtant interdites par la loi du 12 mai 2010 pour des motifs de santé publique...

Une liberté à sens unique

L'extension des jeux en ligne ne serait pas en elle-même problématique si elle s'accompagnait d'une ouverture à la concurrence, dans le respect de la liberté du commerce et de l'industrie et de la liberté d'entreprendre. Or, dans le projet du Gouvernement, s'il s'agit bien de démultiplier les jeux, le seul bénéficiaire de cette extension sera nécessairement l'opérateur privé jouissant du monopole. Les parlementaires l'ont bien compris, qui ont dénoncé une méconnaissance du droit interne et du droit européen de la concurrence : un Etat peut légalement, sans mise en concurrence préalable, attribuer des droits exclusifs à un opérateur si cet opérateur est placé sous le contrôle étroit de l'Etat et si l'octroi de ces droits est de nature à permettre de maîtriser les risques inhérents au secteur des jeux de hasard. En d'autres termes, seule une restriction du secteur, pour des motifs d'ordre public, peut légitimer l'octroi d'un monopole. Tel ne saurait être le cas ici : le renvoi au « terme générique » de jeux de loterie permet au contraire une extension des jeux en ligne, extension qui ne peut donc justifier l'octroi de droits exclusifs au profit de La Française des jeux, à plus forte raison que les modalités de contrôle sur cet opérateur privatisé semblent des plus hésitantes...

Dans sa grande sagesse, le Sénat a supprimé cet article 51 - le rapporteur déplorant ce « chèque en blanc demandé au législateur » et « ce chèque en bois pour les finances publiques » -, mais il est fort probable que l'Assemblée nationale le rétablisse en nouvelle lecture : le Conseil constitutionnel aura alors l'occasion de rappeler une nouvelle fois que les finalités d'une loi d'habilitation doivent être précisées et que ces finalités sont regardées comme insuffisamment précises lorsque le législateur risque, par une habilitation trop vague, de porter atteinte à des droits ou à des libertés constitutionnellement garantis...

_________

(1) Ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature et de la Commission européenne pour la démocratie par le droit au Conseil de l'Europe (Commission de Venise), il préside le Cercle des constitutionnalistes depuis 2008. Il a notamment collaboré avec Philippe de Gaulle à l'édition des Lettres, Notes et Carnets du Général de Gaulle et a été le conseiller de Simone Veil, ministre d'Etat, ministre des Affaires sociales, de la santé et de la ville.

Dominique Chagnollaud est l'auteur d'un important traité de Droit constitutionnel contemporain régulièrement réédité et de nombreux ouvrages sur la vie publique, les institutions de la Vème République et l'histoire politique de la France.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 14/03/2019 à 14:37
Signaler
Ils sont là pour ça les LREM, dépecer notre pays afin de le donner à leurs patrons milliardaires. Qui ne le voit encore pas ? Macron en 2017, Le Pen en 2022, les milliardaires qui détruisent la France et l'Europe ne seront jamais inquiétés et...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.