Mettre la finance citoyenne au service d'investissements collectifs d'intérêt général

CHRONIQUE. Utiliser le Livret A pour financer le nucléaire, piocher dans l'assurance vie pour financer la transition écologique, créer un livret d'épargne pour l'industrie de l'armement, comment utiliser les milliards économisés par les Français ? Par Gabriel Gaspard, Chef d’entreprise à la retraite, spécialiste en économie financière.
(Crédits : Mathieu Stern via Unsplash)

L'épargne des Français, un pactole très convoité

Les Français, dans un contexte économique incertain, expriment une préférence pour l'épargne. Avec ou sans crise, cette épargne de précaution est assez recherchée, car une majorité des Français craint l'avenir. Mais voilà ! Mettre de l'argent de côté, c'est moins consommer et c'est une mauvaise nouvelle pour le gouvernement qui essaye de trouver des solutions pour les pousser à investir et relancer la croissance.

Une partie de cette épargne va dans les livrets réglementés

En premier, cette épargne a servi à payer les crises : les épargnants sont victimes des taux directeurs de la Banque centrale européenne et victimes de l'inflation. L'assurance-vie est le placement qui a le plus collecté après les livrets réglementés. Les Français se sont accommodés des placements sûrs, disponibles, mais avec un rendement réel négatif. Ils ne s'intéressent que très peu à leur épargne et n'ont pas pris conscience du pouvoir économique qu'elle représente.

Certains livrets gérés par les banques commerciales ne sont pas réglementés. Pour l'être les conditions de fonctionnement et de rémunération doivent être fixées par les pouvoirs publics. Le plus connu c'est le Livret A. Selon la Cour des comptes  : "le modèle actuel de gestion de l'épargne réglementée assure, d'une part, la garantie d'une rémunération pour les épargnants, d'autre part, finance des investissements collectifs d'intérêt général". Elle estime que le modèle économique de l'épargne réglementée doit être globalement maintenu. Le total des dépôts des livrets réglementés est un énorme pactole mal utilisé qui intéresse le gouvernement, les banques, les assurances, etc. Comment utiliser des milliards abrités par les Français ?

Le gouvernement a des idées, mais n'a pas de pétrole

De nombreux projets de loi et propositions se multiplient pour utiliser ou créer des livrets réglementés :

Opposé à toute augmentation de l'endettement et des impôts, le gouvernement souhaite se tourner vers l'épargne privé pour financer la transition écologique et le nucléaire. La première piste est l'utilisation du Livret A pour flécher une partie des fonds vers la transition écologique et énergétique des territoires. Vient ensuite l'idée de mobiliser l'épargne placée sur des produits à long terme :"Notre objectif est de mobiliser 5% de ces 3.000 milliards d'euros, ce qui nous permettrait de mobiliser 150 milliards d'euros par an", a précisé le ministère de l'Économie et des Finances.

L'argent déposé par les Français sur leurs Livrets A et LDDS sert surtout à financer le logement social et la politique de la ville des collectivités. Ceci n'a pas empêché le gouvernement d'étudier les possibilités de piocher dans cette cagnotte pour construire les futurs réacteurs nucléaires. Dans cette approche le gouvernement préfère s'adresser à la Caisse des dépôts, établissement public, bras armé de l'État, plutôt que de faire appel à des fonds privés.

Dans le cadre du projet de loi relatif à l'industrie verte, un nouveau produit d'épargne sera distribué par les banques. Il est destiné aux mineurs. Le plan d'épargne avenir climat devrait bénéficier d'un taux supérieur au Livret A et son plafond sera identique. Toutefois, cette épargne sera bloquée et l'accès au plan se fera après 18 ans.

Le Livret d'épargne souveraineté est une nouvelle initiative du Sénat pour soutenir l'industrie de la défense française. Ce livret pourrait fonctionner comme le plan d'épargne en actions (PEA). Cependant son avantage résiderait dans l'exonération d'impôts et de prélèvements sociaux.

Toutes ses propositions ne sont pas au goût de la Banque de France. C'est un bouleversement social qui peut amener à renverser l'état actuel des choses.

« Nous voyons périodiquement surgir des idées de nouveaux livrets règlementés avec la tentation d'avoir une épargne fléchée vers telle ou telle cause », « je n'aime pas les silos et quand nous avons un système qui marche, qui est connu des Français, l'avantage du "annule et remplace" n'est pas certain », commente le gouverneur de la Banque de France.

La banque de France peut donner un avis

Avec la refonte des statuts de 1973 et le traité de Maastricht, il n'y a plus d'interdépendance entre l'État français et la Banque de France. La France emprunte via les banques commerciales. La Banque centrale européenne et la banque centrale nationale française (Banque de France) intégrée au Système européen de banques centrales (SEBC) définissent elles-mêmes la politique monétaire qu'elles mettent en œuvre, avec un objectif univoque : la stabilité des prix.

Climat, nucléaire, défense... les banques sont aux abonnés absents

Les banques continuent de financer largement le secteur des énergies fossiles selon le rapport annuel "Banking on Climate Chaos". Elles rechignent à financer l'industrie de l'armement. Elles ne souhaitent pas financer le nucléaire à cause des facteurs de risque. La Banque européenne d'investissement rejette le financement du nucléaire tricolore à cause des dissensions entre États européens, etc. Les banques françaises considèrent que la facture des livrets réglementés est salée et va peser sur leurs marges. La Banque centrale européenne est à sa limite de rachat des dettes. Pour le nucléaire, le gouvernement peut-il se permettre de placer l'épargne des Français sur des placements risqués ? Quant à l'industrie de la défense, l'Union européenne (UE) ne classe pas l'armement en tant que production durable dans sa taxonomie environnementale et sociale. Avec une dette publique dépassant 3 000 milliards d'euros, la France n'aura-t-elle désormais d'autres choix que de convaincre les épargnants de lui prêter leurs économies ?

Garder un bon système en marche et laisser les citoyens décider de l'affectation de leur épargne

Afin de garder un système qui marche, il faut créer des livrets réglementés simples, transparents avec des règles homogènes :

  • les fonds doivent être disponibles à tout moment ;
  • les comptes doivent être sans frais et les intérêts versés exonérés d'impôts sur le revenu et de prélèvements sociaux ;
  • les taux d'intérêt doivent être fixés par l'État tous les ans et être égaux à l'inflation (revenir à la formule applicable avant le 11 novembre 2016 où le Livret A offrait une protection contre l'inflation.) Le taux du Livret épargne populaire LEP doit être égal au taux du Livret A majoré d'un point ;
  • le taux réel ne doit jamais être négatif ;
  • pour ne pas pénalisés les banques et les assurances et ne pas faire de l'ombre à d'autres placements comme l'assurance-vie, une partie de la rémunération doit être prise en charge directement par l'État ;
  • tous les établissements bancaires pourront proposer ces comptes ;
  • la rémunération de gestion pour les banques doit être entre 0,20% et 0,30% ;
  • les intérêts seraient calculés le 1er et le 16 de chaque mois ;
  • pour chaque personne physique le plafond doit être en adéquation avec le montant de l'épargne voulue ;
  • les fonds doivent être garantis par l'État à 100% ;
  • chaque fonds doit être géré par un établissement de crédit public différent, au lieu de la seule Caisse des dépôts actionnaire majoritaire de La Poste depuis 2020. La Cour des comptes recommande de « veiller au respect du modèle particulier du fonds d'épargne au sein du nouveau groupe CDC » ;
  •  Entre 60% et 80% des collectes doivent être transférés aux fonds d'épargne des établissements de crédit. Ainsi en fonction de son objet social, l'établissement de crédit peut investir ou prêter avec un bon niveau de sécurité avec la participation de l'état, des communes et tous les corps intermédiaires ;
  • le conseil d'administration des établissements de crédit doit être obligatoirement paritaire ;
  • chaque livret doit avoir un seul thème, afin de permettre à chaque épargnant de choisir le fonds d'investissement qui lui convient le mieux.

À titre d'appréciation : on estime que pour la transition écologique il faut un apport supplémentaire de 60 milliards d'euros pour 2024. Pour se procurer cette somme, le gouvernement peut l'emprunter sur le marché financier, créer un nouvel impôt ou taxes, temporaires et ciblés ou mettre en place un livret réglementé qui sera au service de la transition écologique.

Emprunter 60 milliards sur 10 ans au taux fixe des obligations assimilables du trésor (2,9610% au 19/07/2023), la charge d'intérêt supplémentaire sur le budget de l'État sera de 1,7766 milliard par an pendant 10 ans, soit un total de 17,766 milliards d'euros.

Créer un nouvel impôt, pour le gouvernement « ce n'est pas la solution ». Le gouvernement ne souhaite pas taxer les plus riches, car il est convaincu que sa politique d'allègement fiscal des plus fortunés porte ses fruits. Il ne souhaite pas une autre révolte des revenus modestes, la facture des mesures des « gilets jaunes » a atteint 17 milliards d'euros.

Prenons le cas de la création d'un Livret climat qui serait rémunéré au taux de l'inflation de 5,6% en 2023, 2,4% en 2024 et 2% après 2024 (prévisions Banque de France). Par rapport au Livret A, rémunéré à 3% jusqu'au 1er janvier 2025, il ne ferait pas perdre de l'argent aux ménages français. En 10 ans, la charge d'intérêt supplémentaire pour l'État d'une collecte de 60 milliards pour un livret climat, déposé le 1er janvier 2024, serait nulle dans l'hypothèse de stabilité des prix.

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Commentaires 3
à écrit le 26/08/2023 à 17:08
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Pendant que les milliards des milliardaires fuient l'impôt dans les paradis fiscaux. Beurk, revenons sur des bases saines svp, merci.

à écrit le 23/08/2023 à 10:41
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On avait bien compris que l'on manœuvrer notre épargne pour la prélever sans le consentement des français !

à écrit le 23/08/2023 à 10:40
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On avait bien compris que l'on manœuvrer notre épargne pour la prélevé sans le consentement des français !

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