Victime oubliée des crises, l'épargnant sera-t-il le seul véritable payeur ?

CHRONIQUE. Depuis 25 ans et la création de la Banque centrale européenne BCE le 1er juin 1998, le ralentissement de la croissance économique mondiale amorcé au second semestre 2000 et l'introduction de l'euro comme monnaie unique au 1er janvier 2002, les épargnants sont-ils les victimes des taux directeurs ? Par Gabriel Gaspard, Chef d’entreprise à la retraite, spécialiste en économie financière.
(Crédits : KAI PFAFFENBACH)

L'épargne des Français est la partie du revenu qui n'est pas consommée immédiatement. Cette épargne représente aujourd'hui environ 6.000 milliards d'euros (hors immobilier) soit le double de la dette de la France et 88 388 euros par personne. Au lieu d'utiliser cette épargne pour investir et créer de la croissance, elle est sacrifiée pour alléger l'endettement public ou pour améliorer la marge nette d'intérêts des banques.

Emmanuel Todd le 23 janvier 2020, dans son livre « Les Luttes de classes en France au XXIe siècle » aux éditions du Seuil , arrive à la conclusion de la perte du pouvoir d'achat par les Français avec l'introduction de l'euro. Une autre étude, réalisée par le centre de politique européenne de Fribourg (Allemagne), vingt ans après la mise en place de la monnaie unique, donne un chiffre : chaque Français aurait perdu environ 56 000 euros sur la période 1999-2017. Mais le plus coûteux pour les épargnants est les taux directeurs de la BCE.

La réponse apportée par les Banques centrales à la récession économique de 2000-2001 explique la crise financière de 2008. La BCE a suivi la Réserve fédérale américaine et a baissé de manière marquée et rapide ses taux d'intérêt directeurs pour relancer l'économie. De mai 2001 à juin 2003, les taux directeurs sont passés de 4,5% à 2%. Les taux sont restés bas trop longtemps jusqu'en 2005 et leur remontée a ensuite été trop lente jusqu'en 2008 avec des paliers faibles de 0,25%.

En 2008, l'épargnant a souffert !

Cette année, le système financier international est frappé de plein fouet par une crise systémique mondiale. Pour sauver les économies des pays de la zone euro et créer le choc nécessaire, la Banque centrale européenne abaisse les taux directeurs jusqu'à zéro. Elle injecte beaucoup de liquidités et rachetée de la dette publique et privée par l'assouplissement quantitatif (QE). A-t-elle respecté son mandat ? La Bourse bat des records, les riches sont plus riches et les épargnants souffrent. Le 9 juillet 2008 le taux historique de la BCE est à 4,25%. Il passe à zéro le 10 mars 2016 et le restera bien après la pandémie de 2020. La BCE tarde à réagir. Les taux repartent à la hausse uniquement le 21 juillet 2022. En fournissant un financement à des taux d'intérêt négatifs en termes réels (après inflation), la BCE a encouragé l'augmentation de la liquidité qui a contribué à la hausse importante des actifs boursiers et immobiliers. Les taux négatifs ont fini par affaiblir les banques. Tout aussi dangereuse, cette politique a encore pénalisé les épargnants.

Les épargnants ont payé la crise financière de 2008 en 10 ans

La BCE a injecté 4 000 milliards d'euros de 2011 à 2017. En 10 ans, la crise financière a coûté approximativement 1 541 milliards d'euros à la France en termes de produit intérieur brut (PIB) selon les calculs d'Éric Dor, directeur des études économiques à IESEG School of Management. Pendant cette période, ce sont les épargnants, avec la faiblesse des taux de rendement, qui ont payé. Le taux de rendement du livret A est passé de 3,5% à 0,75%. Le rendement des assurances vie en euros est passé de 4% à 1,80%. Le rendement des emprunts de l'État est passé de 4,3% à 0,85%. Maintenir des taux d'intérêt plus bas que la croissance pendant longtemps est une méthode efficace dans une période de faible inflation pour effacer la dette excessive de l'État et faire payer les excès aux épargnants. L'année 2017 est un exemple parfait : la croissance du PIB était à 2,3%, une inflation à 1% mais un rendement du livret A à 0,75%.

De 2018 à 2022, les épargnants, véritables victimes des taux bas

Les années 2018 à 2021 sont des années d'effondrement pour les épargnants avec des taux directeurs à zéro, une croissance moyenne de 0,675%, une inflation moyenne de 1,25%, un taux de rendement moyen du livret A de 0,625%, un rendement de l'assurance vie qui tombe à 1,3% en 2021. Les années 2018 à 2021 ont marqué un véritable tournant. Les placements obligataires ont aussi baissé à 0,03%. La BCE n'a plus de marge de manœuvre, elle doit payer 1,6 milliard d'euros à cause de ses hausses de taux... L'épargnant n'a plus aucun placement sécurisé qui rapporte plus que l'inflation.

Avec une inflation à 6,1%, à partir de juillet 2022, la BCE a été contrainte d'inverser sa politique de taux bas et de se lancer dans une série de hausses de taux, dans le but de freiner la demande et de faire baisser l'inflation. Mais voilà, augmenter les taux en les gardant plus bas que l'inflation est une autre méthode efficace dans une période de faible croissance pour effacer la dette excessive de l'État, aider la marge nette d'intérêts des banques et faire payer les excès aux épargnants.

L'inflation annuelle pour 2022 s'est établie à 5,2%. Au 15 décembre 2022, le taux directeur de la BCE a atteint 2,5% avec une croissance du PIB en moyenne sur 2022 de 2,6%. Pour la France, le cas du livret A avec le LDDS et l'assurance vie euro est à analyser.

Pour 2022, les livrets A et LDDS ont produit 1,375% net en moyenne sur l'année. Ils ont rapporté 0,50% en janvier, puis 1% de février à juillet et 2% d'août à décembre. Avec une inflation à 5,2% et un encours total de 509,7 milliards à fin 2022, le taux de rendement réel, qui tient compte de l'inflation, est négatif (-3,825%). Les épargnants sur les livrets A et LDDS ont perdu environ 19,5 milliards sur un an.

Pour l'assurance vie support euro, le rendement réel est de -3,3% (1,9% -5,2%) et le total du fonds euro s'est établi à 1.827 milliards d'euros. Les épargnants en assurance vie en fonds euro ont perdu environ 60 milliards d'euros en 2022.

Les épargnants doivent encore s'inquiéter de la remontée des prix et de la politique monétaire de la BCE. Il apparait clair que la BCE a fait et fera de la politique tout court en privilégiant la soutenabilité des dettes publiques par rapport au pouvoir d'achats des Européens. La BCE respecte-t-elle sa mission principale ?

Les gagnants sont les banques et les États européens

Uniquement entre juin 2022 et fin mars 2023, pour les banques de la zone euro, la hausse rapide des taux a permis à la marge nette d'intérêts de progresser de plus de 100 milliards d'euros d'après les calculs d'Allianz Global Investors. Les taux d'intérêt bas de la BCE et l'inflation élevée génèrent une perte de 1.000 milliards d'euros de pouvoir d'achat pour les épargnants européens rien qu'en 2022.

La France peut remercier la BCE

D'après le DGFIP (Direction générale des finances publiques) les recettes de la TVA en France ont progressé de 8,9% en 2022 par rapport à 2021. Les recettes sur l'impôt société ont atteint 18,9% des recettes fiscales en 2022, un niveau jamais vu alors même que son taux d'imposition a été réduit de 33% à 25%, etc.

Avec les prélèvements obligatoires qui ont augmenté de 3 points entre 2002 (42,2%) et fin 2022 (45,3%), avec l'inflation et les taux directeurs qui grignotent les épargnes des ménages, il est temps d'alléger d'une manière significative l'impôt sur le revenu et d'augmenter les taux des placements réglementés.

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