Mieux protéger les lanceurs d’alerte, c’est aussi sécuriser l’économie

DECRYPTAGE. La loi Waserman de mars 2022 donne enfin une reconnaissance légale à ces acteurs clefs. Le texte répond en outre à un enjeu de souveraineté par rapport au droit américain. Par Bertrand Venard, Audencia.
Antoine Deltour est un auditeur lanceur d'alerte, principalement connu comme la source des documents du scandale Luxembourg Leaks.
Antoine Deltour est un auditeur lanceur d'alerte, principalement connu comme la source des documents du scandale Luxembourg Leaks. (Crédits : Reuters)

Le statut de lanceur d'alerte a été longtemps embryonnaire en droit français. De fait, il aura fallu attendre la timide loi Sapin 2 de 2016 et surtout la loi Waserman de mars 2022 pour que les lanceurs d'alerte soient réellement protégés.

La loi de 2022 définit un lanceur d'alerte comme une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d'une violation du droit international ou de l'Union européenne, de la loi ou du règlement.

Cette lenteur du droit français est d'autant plus surprenante que le lanceur d'alerte a une importance majeure pour le fonctionnement harmonieux de nos systèmes politiques et économiques. Prenons un cas de santé public pour juger le rôle essentiel de la pneumologue Irène Frachon, qui, en 2010 fait éclater le scandale du Mediator. Ce médicament commercialisé entre 1976 et 2009 a été reconnu par la justice comme étant à l'origine de 1500 à 2100 décès, et le laboratoire Servier, qui le poduisait, comme ayant connaissance des risques depuis 1995.

Le lancement d'alerte peut aussi permettre d'améliorer la sphère politique et administrative. Imaginons une affaire de corruption impliquant un groupe international couverte par un ambassadeur et des politiques. Dans ce cas théorique, un lanceur d'alerte semble seul capable de mettre un terme à cette atteinte à l'intérêt collectif. Et à en juger par le classement assez moyen de la France dans l'indice de perception de la corruption de Transparency International, notre pays a encore un long chemin à faire pour lutter plus efficacement contre ce fléau. La loi Waserman offre à ce sujet des outils particulièrement intéressants.

Depuis l'autre rive de l'Atlantique

Ayant longtemps ignoré la notion de lanceur d'alerte, le droit français a évolué sous l'influence du droit américain. En effet, dès le XIXe siècle, des jalons sont posés aux États-Unis avec le False Claims Act de 1863. Ce texte autorise les citoyens à poursuivre un individu en fraude au nom du gouvernement et leur octroie même une partie des réparations si les accusations qu'ils portent s'avèrent fondées.

Le Whistleblower Protection Act de 1989, « whistleblower » étant l'équivalent anglais de « lanceur d'alerte »,protège « toute divulgation d'information par des employés du gouvernement fédéral qui croient raisonnablement dénoncer une activité constituant une violation de la loi, un gaspillage flagrant de fonds, un abus de pouvoir ou un danger substantiel et spécifique pour la santé et la sécurité publiques ». Des recours légaux sont pensés dans le cas où ces personnes subiraient, en raison de leur signalement, des retenues de salaire, une suspension ou même un licenciement.

Autre texte, en 2002, la loi Sarbannes-Oxley rend obligatoire pour les salariés la dénonciation des fraudes repérées, tout en pensant à la mise en place d'un système d'alerte sécurisé. Les lanceurs d'alerte sont même incités à s'exprimer par des mécanismes financiers, notamment avec le Dodd-Frank Wall Street and Consumer Protection Act de 2010.

C'est en partie l'extraterritorialité du droit américain et l'évolution du droit européen qui poussent la France à s'intéresser davantage au sujet. Alors que les États-Unis multiplient les pénalités financières pour corruption ou fraude à des entreprises étrangères, une véritable arme économique, il fallait penser une législation nationale pour des jugements nationaux.

Pour un meilleur fonctionnement de l'économie

Avec la loi Sapin 2 de 2016, la France rattrape une partie de son retard en instaurant des règles pour les lancements d'alerte tout en esquissant enfin une protection pour les lanceurs. Après une directive européenne de 2019, la France finit par adopter la Loi Waserman du 21 mars 2022 « visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte ».

Ce texte marque une étape considérable pour l'amélioration de la probité. D'une part, la définition du lanceur d'alerte s'assouplit par rapport à la loi Sapin 2. Il doit, certes, agir « sans contrepartie financière directe » mais il n'a plus besoin d'être un témoin direct mais seulement d'avoir « personnellement connaissance » des faits qu'il divulgue.

D'autre part, les procédures de signalement gagnent en diversité. C'est une avancée majeure car le précédent texte, en imposant l'alerte interne, exposait immédiatement le lanceur d'alerte à des sanctions de sa hiérarchie. Même si l'alerte interne reste recommandée, elle n'est dorénavant plus obligatoire. Le lanceur peut ainsi alerter une autorité administrative ou judiciaire comme le Défenseur des droits.

Le lanceur d'alerte peut, de plus, disposer d'un appui aussi bien financier que d'orientation ou d'aide. De fait, un lanceur d'alerte se trouve souvent très seul et fait l'objet rapidement de pressions et de représailles.

Pour mieux le protéger, la liste des représailles interdites a été considérablement étoffée : suspension, licenciement, refus de promotion, évaluation négative de la performance, intimidation, non-conversion d'un contrat temporaire en un contrat permanent, non-renouvellement ou résiliation anticipée d'un contrat de travail à durée déterminée sont explicitement prohibés.

La loi, enfin, renforce les sanctions contre qui tenterait d'étouffer un lanceur d'alerte par des représailles ou même par une avalanche de procédures, que l'on nomme d'ailleurs des « procédures-bâillons ». L'amende est doublée à 60 000 euros.

Ce nouveau cadre légal est particulièrement salutaire pour le fonctionnement économique. En effet, la corruption à elle seule peut diminuer le développement économique du système en impliquant de mauvaises décisions, un surcoût des achats et une diminution des investissements.

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Par Bertrand Venard, Professor, Audencia.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Commentaire 1
à écrit le 04/10/2022 à 10:43
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La mise en place du "secret des affaires" leur donne un rôle central mais retarde l'information ! ;-)

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