« Monsieur le Président, face au RN, vous avez commis une faute qui peut coûter très cher »

En humiliant Elisabeth Borne, à ses yeux coupable d'avoir assimilé le RN à un « héritier de Pétain » et de traiter « d'arguments moraux » la formation d'extrême droite, Emmanuel Macron a bien plus qu'heurté la conscience démocrate : il l'a ébranlée. N'en déplaise à ses calculs politiques, la lutte contre un RN notabilisé qui n'a jamais été aussi proche du pouvoir suprême requiert d'être sur tous les terrains : ceux, factuels, qu'il énumère avec raison ; celui, moral, qu'il rejette de manière insensée. Que pèse donc l'absconse « décivilisation », sur laquelle il se polarise pour séduire droite et extrême droite, face au « chaos civilisationnel » que promet Marine Le Pen une fois installée à l'Elysée ? Monsieur le Président, de grâce, ne vous trompez pas de stratégie.
(Crédits : Reuters)

« Monsieur le Président, je vous fais une lettre, que vous lirez peut-être si vous avez le temps. Incompréhensible et préoccupante est votre humiliante critique des déclarations de votre Première Ministre Elisabeth Borne assimilant le RN à un « héritier de Pétain ». Vous jugez que le combat contre l'extrême droite ne doit plus convoquer « d'arguments moraux » ? Penser ainsi est une erreur. Et même davantage : une faute.

Ecartons-nous des jugements passionnés et restons sur le domaine scientifique : tout historien spécialiste de la Seconde guerre mondiale, de l'antisémitisme ou de l'extrême droite peut démontrer que le fondateur du Front National Jean-Marie Le Pen était un Pétainiste dévoué - ainsi Laurent Joly, directeur de recherches au CNRS, rappelant (Le Monde, 2 juin) que le père de Marine distribuait le premier journal pétainiste d'après-guerre et conduisit la campagne électorale de Jacques Isorni, avocat de l'ancien chef du régime vichyste. Ecartons-nous des raisonnements moraux... mais tout de même. Elisabeth Borne est fille de Joseph. Arrêté par la Gestapo en 1943, il est l'un des six rescapés d'un convoi de 1 250 personnes déportées à Auschwitz. De l'abomination il ne s'échappera jamais vraiment, se suicidant en 1972 à l'âge de 47 ans. Sa fille, alors âgée de 11 ans, deviendra pupille de la nation. Peut-être est-elle un petit peu légitime pour aborder « moralement » cet héritage pétainiste ? Ecartons-nous, enfin, des calculs politiques - parmi eux, ne pas effrayer la frange radicale des LR - au nom desquels vous justifiez votre recadrage. Car ils sont injustifiables.

Quel cadeau !

Vous avez raison de vouloir mener le combat contre le RN sur les sujets qui font sa popularité ; mais de la velléité aux actes, il y a une brèche, il y a même un gouffre. Sinon, comment expliquer que le RN poursuive inexorablement son ascension dans les bulletins de vote ? Entre vouloir mener et mener, il existe un sacré hiatus, que la droitisation de votre stratégie - aux fins de dégager ici ou là une majorité parlementaire de circonstance - creuse plus encore. Vous avez raison de ne pas stigmatiser les électeurs du RN ; nombre d'entre eux se réfugient là où ils espèrent une parade au désarroi dans lequel l'extraordinaire complexité du monde, la somme folle d'adversités - inflation, anxiété, désertification, insécurité, précarité, géopolitique incandescente -, et, il faut le reconnaître, un peu de votre politique les précipitent.

Mais vous avez fondamentalement tort d'estimer que ces priorités doivent justifier de taire la réalité xénophobe, nationaliste, anti-sociale, haineuse du Rassemblement national. Combattre le RN pour que Marine Le Pen ne soit pas votre successeure en 2027 réclame d'être sur tous les fronts. Et celui de dire ce qu'est l'idéologie véritable du RN n'est pas moins cardinal que celui de conduire une politique efficace là - l'emploi, la sécurité, l'immigration, le réaménagement du territoire, etc. - où le parti « héritier de Pétain » cultive sa cote. Entendez-vous les déclarations, dans ce sens, des ministres Eric Dupond-Moretti et Bruno Le Maire, et l'émoi provoqué au sein de vos troupes ?

Faire front au front, c'est lutter contre lui sur tous les terrains : celui des idées et celui des actes. En même temps, selon votre mantra. Refuser d'attaquer le RN sur le terrain de sa racine, de son poison idéologique, c'est, finalement, favoriser la stratégie usurpatrice de dédiabolisation que Marine Le Pen, Jordan Bardella et leur équipe entreprennent avec succès. Nul doute que le champagne a coulé à flots au siège du RN lorsque votre « sortie » s'est fait connaître. Quel cadeau vous avez offert à l'extrême droite ! Pouvait-elle espérer plus beau présent que d'entendre le chef de l'Etat corroborer sa stratégie de purification ? Votre relativisme idéologique n'est pas une erreur ; il est une faute.

Plus aucune digue

Asséner, marteler sans jamais fléchir, ce que le FN fut et ce que le RN est, c'est conserver la mémoire d'une réalité qui fond comme neige au soleil, jusque dans des cercles sociaux que l'on pensait épargnés. Qui n'a pas surpris, dans son entourage même le plus éclairé, une voix apaisée, une voix déculpabilisée, une voix indulgente, et même une voix complice invitant, par exemple, à « essayer pour voir » ? Les digues partisanes avaient cédé les premières, celles des consciences citoyennes et républicaines sombrent elles aussi.

L'icône du RN a d'ores et déjà gagné le combat de la normalisation. Vous avez raison de travailler à mettre en exergue les innombrables défaillances, manquements et incompétences propres au programme du RN. C'est ce qui a déterminé, pour partie, sa défaite en 2017. Mais il ne vous aura pas échappé que « la » Marine Le Pen de 2023 n'est plus celle d'il y a six ans - ni qu'une partie de la droite républicaine a entamé un travail de sape visant à constituer la même union des droites qui a pavé en Italie l'arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni. Le soin que Marine Le Pen et ses troupes consacrent à leur notabilisation n'est pas que comportementale ; il a contaminé le domaine programmatique, et on peut parier que d'ici 2027 la candidate avec succès esquivera tout écueil, ne se risquera à aucune proposition disruptive qui mettrait en danger son crédit politique. N'est-ce pas avec maestria qu'elle a traversé le tunnel de la réforme des retraites ? Les occasions de la mettre en défaut se sont dissoutes.

Le mystère est entier

Une semaine avant ce « recadrage », vous vous atteliez en conseil des ministres à assimiler la violence dans la société à un « processus de décivilisation ». Vous interveniez en réaction à des drames qui venaient d'affecter les communautés policière et hospitalière, aux menaces qui n'épargnent plus les élus et les soignants. Vous qui nous avez habitués à l'arbitrage de la raison nous avez désagréablement étonnés en cédant à la tentation de l'émotion à propos de faits d'actualité qui font les choux gras des plateaux de télévision et enflamment les réseaux sociaux - nonobstant des réalités qu'il ne s'agit pas d'éluder. Il n'aura échappé à personne que le terme de décivilisation prête à une multitude d'interprétations oscillant de la dégradation de la civilité au dépérissement de la civilisation en passant par le délitement du civisme. Un marécage sémantique dont les ténors des Républicains se sont depuis longtemps saisis, et que l'illustre figure de l'extrême droite que Renaud Camus a même choisi pour titrer l'un de ses livres ; jouer vous-même de cette confusion à des fins de stratégie politique parlementaire est-il responsable ?

Mais mon propos n'est pas de rajouter une énième contribution au débat sur le sens de l'occurrence et sur celui de votre évocation. Il est de vous, de nous questionner sur l'état de notre civilisation si Marine Le Pen vous succède à l'Elysée et Jordan Bardella prend ses quartiers à Matignon. Y songez-vous ? Sans nul doute. Ou alors votre compagnonnage déclaré de Paul Ricoeur n'aurait été que maléfique duperie. Mais alors comment, à une semaine d'intervalle, avez-vous pu affadir gravement la lutte contre l'extrême droite et vous émouvoir d'une supposée décivilisation qui n'est rien, absolument rien, face au chaos civilisationnel auquel le RN au pouvoir promet toute la nation ? Le mystère reste entier ».

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Commentaires 11
à écrit le 07/06/2023 à 12:04
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Il faut écouter le chanteur MILLESIM K. Lui, le patriote, chante sur du rap la vérité sur l'Etat de la France.

à écrit le 07/06/2023 à 10:17
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Le RN héritier de Maurras et Salan, le PCF de Thorez ( déserteur de l'armée française hébergé en 1940 par Staline, qu'il admirait plus que tout) et Duclos (mêmes idoles: Staline, Krouchtchev le "boucher de Budapest"), LFI admirateur (son "leader max...

à écrit le 07/06/2023 à 8:28
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A qui doit il la place de président ? Au RN il est logique avec lui-même et Borne avait parfaitement raison, c'est du pétainisme, c'est de l'anti-France leur extrême droite. Ensuite il ya de fortes chances que ce ne soit que de la com tout ça, leurs ...

à écrit le 06/06/2023 à 15:02
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Macron n'a pas de problème avec MlP en '27 puisqu'il ne peut pas se présenter. Dans l'état actuel de la gauche, on doute qu'elle ait d'autre choix que JLM. Qui ne sera jamais élu, en raison de ses outrances. Donc ce qui lui importe, c'est de déssille...

le 06/06/2023 à 22:17
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'Macron n'a pas de problème avec MlP en '27 puisqu'il ne peut pas se présenter.' 2 possibilités lui permet de rester ,la guerre en Ukraine par exemple,comme chef de guerre et il peut continuer .Mais aussi un septennat qui lui permet de se représen...

à écrit le 06/06/2023 à 13:46
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Je ne suis pas convaincu que clamer que le RN est un parti héritier de Philippe Pétain soit de nature à mobiliser les électeurs plus soucieux de leur bien être quotidien que l'exégèse de l'histoire de Pétain et ses admirateurs. Les arguments moraux ...

le 06/06/2023 à 21:36
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Compte tenu de la moyenne d'âge des votants, surtout aux élections intermédiaires, la ficelle peut encore fonctionner, le péché originel du FN résidant dans le pedigree de ses fondateurs pouvant avoir trempé dans l'OAS, dans la Milice, voire la Waffe...

le 07/06/2023 à 10:13
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Tout à fait d'accord.

à écrit le 06/06/2023 à 12:59
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C'est quand même grave q en démocratie on se permet d insulté des millions de Français qui ont voté RN. Qu est ce qui gêne les incompétent qui nous gouverne, la journée qu ils s occuperons de nos vrais préoccupations ils pourront donner des leçons.

à écrit le 06/06/2023 à 12:35
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Occupez-vous de l’économie, au lieu de vous vautrer dans le gauchisme. ….A moins que les ordres d’en haut.

à écrit le 06/06/2023 à 12:08
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Nous sommes naïf sur ces gens qui ont, le même employeur qui divise... sa "mise" pour récolter sûrement en fin de parti ! On est les pigeons ! :-)

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