Pourquoi les sous-marins nucléaires sont un choix militaire judicieux pour l’Australie face à la Chine

OPINION. Le « coup dans le dos » que l’Australie a porté à la France est lié à un besoin pressant de contrer l’hostilité grandissante de la Chine en s’appuyant sur une alliance de longue date avec Washington. Par John Blaxland, Australian National University (*)
Le Premier ministre australien Scott Morrison
Le Premier ministre australien Scott Morrison (Crédits : Issei Kato)

Le gouvernement australien a décidé que la meilleure option pour le pays était d'accélérer la production d'une plate-forme de sous-marins à propulsion nucléaire plus performante avec les États-Unis et le Royaume-Uni.

L'Australie sera ainsi plus étroitement intégrée dans l'orbite américaine. Technologiquement et militairement, cela signifie que si les États-Unis entrent en conflit dans la région indopacifique, il sera beaucoup plus difficile pour les Australiens de ne pas être directement et presque automatiquement impliqués.

C'est aussi un élément positif en termes de dissuasion face à la Chine. Sur les prochaines années, le nouvel accord renforcera le pouvoir de dissuasion qu'a l'Australie face à Pékin.

Les stratèges et les dirigeants chinois devront prendre en compte les risques accrus et seront sans doute moins enclins à décider de se lancer dans des actions hostiles. Les enjeux seraient trop élevés et les perspectives de succès trop faibles.

Sous-marins nucléaires ou conventionnels : quelle différence ?

Ces dernières années, le gouvernement australien et son ministère de la Défense ont davantage mis l'accent sur les capacités militaires à plus longue portée, notamment avec la Defence Strategic Update de 2020.

Ce plan inclut l'acquisition de missiles ainsi que de capacités spatiales et cybernétiques. Les sous-marins à propulsion nucléaire s'inscrivent dans ce cadre, bien au-delà des capacités navales australiennes existantes.

L'avantage des sous-marins nucléaires est qu'ils n'ont pas besoin de remonter à la surface et peuvent rester immergés, donc furtifs, plus longtemps. À l'inverse, les sous-marins à propulsion conventionnelle (diesel-électrique) doivent faire surface régulièrement, s'exposant alors à la détection. Ils disposent donc d'une portée furtive bien moindre.

Le nouvel accord va potentiellement transformer les capacités de la défense australienne, lui permettant de déployer ses sous-marins sur des distances bien plus importantes. Par ailleurs, l'Australie sera bien mieux intégrée avec les forces américaines et britanniques.

C'était évidemment moins le cas concernant l'accord précédent, de 90 milliards de dollars australiens (environ 56 milliards d'euros), signé avec la société française DCNS pour construire jusqu'à douze sous-marins.

L'ironie est que la France disposait de la propulsion nucléaire dans ses sous-marins Barracuda ; et si l'Australie avait opté pour cette option lors de la signature de l'accord en 2016, les Français auraient pu dire : « D'accord, nous allons reproduire notre technologie et vous la donner ». Dans ce cas, l'Australie serait sans doute sur le point de se faire livrer son premier sous-marin nucléaire.

Mais les Australiens ont demandé une propulsion conventionnelle, ce qui a retardé le programme français et donne désormais à la France une bonne raison d'être irritée par ce nouvel accord.

La question est de savoir quand les sous-marins américano-britanniques seront opérationnels, car les sous-marins français étaient loin d'être prêts.

Le nouvel accord permet potentiellement à l'Australie de louer des sous-marins britanniques et/ou américains, de manière temporaire, afin de développer l'expertise australienne en matière de propulsion nucléaire. Au minimum, on peut s'attendre à voir des équipages australiens à bord, aux côtés des Américains ou des Britanniques, pour développer leurs connaissances.

Mais pour le moment, l'Australie n'a pas la capacité d'exploiter et de maintenir des sous-marins nucléaires. Elle ne dispose pas de l'infrastructure nécessaire.

Cela signifie que le pays va soit devoir dépenser d'immenses sommes d'argent pour mettre en place cette infrastructure, soit sous-traiter cette mission au Royaume-Uni ou aux États-Unis, ce qui le soumettra à leur dynamique politique intérieure et le rendra redevable.

Quand est-ce que ça a mal tourné ?

L'Australie a fait des erreurs dans la gestion de sa future capacité sous-marine ces quinze dernières années. Elle aurait dû prendre une décision sur la conception d'un nouveau sous-marin il y a longtemps - avec un programme de développement réaliste - et s'y tenir.

Ainsi, elle a refusé d'autres options, notamment une mise à niveau de son sous-marin actuel de classe Collins, pour une version plus récente, plus élégante et plus performante.

À la place, le pays a opté pour une conception radicalement nouvelle, que même les Français n'avaient jamais construite auparavant. Tout ce qui fait appel à une technologie de pointe est susceptible d'entraîner des retards et des dépassements de coûts. Et c'est exactement ce à quoi l'Australie a été confrontée.

Entre-temps les tensions sont montées dans la région et la nécessité d'acquérir de nouveaux sous-marins performants est devenue d'autant plus pressante et importante.

La combinaison de ces facteurs a conduit à une réévaluation rigoureuse des décisions antérieures jugées un peu trop hâtives en ce qui concerne les besoins australiens futurs en matière de sous-marins.

Il est d'ailleurs intéressant de noter que la décision australienne d'opter pour une plate-forme technologique fiable, connue, mieux intégrée aux systèmes américains et, avec un peu de chance, opérationnelle beaucoup plus rapidement, semble susciter une large approbation au sein des cercles de l'industrie de la défense du pays.

Quels impacts sur l'industrie de la défense australienne ?

Les détails restent vagues, mais il semble que le plan initial consiste à sous-traiter le développement des sous-marins aux États-Unis ou au Royaume-Uni.

Mais si l'Australie doit être autonome, ce dont le gouvernement semble reconnaître la nécessité, une grande partie de cette technologie devra être transférée sur place - au moins pour permettre la maintenance.

De nombreux aspects de la construction de ces sous-marins ne sont pas directement liés à des connaissances spécifiques des secrets de la propulsion nucléaire. Une partie considérable du travail pourrait donc être effectuée en Australie. Mais cela entraînera des retards et des coûts supplémentaires.

La situation régionale est plus turbulente que jamais et la perspective que l'alliance américaine vienne à la rescousse l'est aussi. L'ironie est que, afin d'être plus autonome, il est nécessaire pour l'Australie de mettre les bouchées doubles pour intégrer la technologie et les compétences américaines. Les Américains sont les leaders mondiaux dans ce domaine et ils ont la capacité industrielle de fournir rapidement les équipements.

Le ministre australien de la Défense, Peter Dutton, est allé à Washington pour persuader les États-Unis de partager leur technologie. L'arrangement AUKUS prévoit de développer une base industrielle technologique et des lignes d'approvisionnement - cela signifie que les États-Unis et le Royaume-Uni semblent convaincus de la capacité de l'Australie à soutenir ces engagements.


À lire aussi : L'Australie face à la Chine : la montée des tensions


Comment la Chine va-t-elle réagir ?

La question est fondamentale : cet accord accroît-il la sécurité de l'Australie ? Il ne fait aucun doute que le pays subira des critiques virulentes et acerbes de Pékin, qui verra les récents développements d'un très mauvais œil.

Mais la rhétorique chinoise ne doit pas être prise au pied de la lettre. Elle est en grande partie tournée vers ses propres citoyens. Il s'agit pour la Chine d'influencer et de façonner l'opinion d'une manière qui soit conforme à ce qu'elle perçoit comme étant ses intérêts.

Ces dernières années, à l'image de son renforcement militaire, la Chine s'est radicalisée dans sa rhétorique mais la plupart des experts en sécurité affirment qu'il s'agit surtout d'intimider des adversaires potentiels afin qu'ils fassent marche arrière.

Alors, une coalition AUKUS plus performante, avec l'Australie au milieu, dissuade-t-elle ou agace-t-elle encore plus la Chine ?

Il y a, en Australie, un consensus croissant sur le fait que le pays doit faire davantage pour dissuader les actions chinoises dans la région. Or, la dissuasion exige des capacités crédibles. Cette nouvelle alliance est cohérente avec ce raisonnement.

Le pays a décidé de mettre ses œufs dans le panier de la sécurité américaine depuis 70 ans - et cette nouvelle coalition va dans ce sens. L'espoir est que la collaboration avec le Royaume-Uni et les États-Unis améliorera la capacité de l'Australie à se défendre.

Mais les sous-marins ne sont vraiment utiles que si vous envisagez de devoir les utiliser. Tant que ce n'est pas le cas, une diplomatie habile et un engagement régional sont essentiels. Le Livre blanc de la politique étrangère australienne de 2017 parlait d'investir dans les liens de sécurité régionale. Pour que ce changement de politique améliore la sécurité du pays, il doit être associé à des efforts beaucoup plus importants visant à renforcer la sécurité et la stabilité aux côtés des voisins de l'Australie en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique.

The Conversation _______

 (*) Par John Blaxland Professor, Strategic and Defence Studies Centre, Australian National University.

La version originale de cet article a été publiée en anglais.

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Commentaires 26
à écrit le 20/09/2021 à 19:24
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Personnellement, je ne crois pas qu'ils est un avantage a se placer immédiatement dans le camps des usa ..

à écrit le 20/09/2021 à 4:09
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"Les Américains sont les leaders mondiaux dans ce domaine et ils ont la capacité industrielle de fournir rapidement les équipements." Totalement faux, leurs chantiers navals ne satisfont déjà pas leur marine. S'il faut en plus s'occuper des newbies ...

à écrit le 19/09/2021 à 15:32
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Le problème est surtout en France. Le "coup dans le dos" n'est pas crédible et c'est un aveu flagrant d'incompétence au plus haut niveau. Gouverner c'est prévoir, mais c'est aussi ECOUTER (dans tous les sens du terme, y compris militaire). Pour fai...

le 20/09/2021 à 9:42
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analogie pitoyable et a charge ...vous condammner rien de plus ...c est pas constructif le contrta prevoyait des sous marins au diesel car l australie interdit le nucleaire dans ses eaux...s ils changent d avis en cachette ..que voulez vous prevoir ....

le 20/09/2021 à 12:05
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lisez "Sous-marins australiens : La France doit investir en Indo-Pacifique si elle ne veut pas sortir de l'Histoire" dans La Tribune, tout y est expliqué pour ceux qui ont du mal à comprendre

à écrit le 19/09/2021 à 14:41
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L'article cherche à justifier mais n'y arrive pas. D'abord, il faut bien se rappeler que le programme Baracuda de Naval Group est un programme de sous-marins à propulsion nucléaire. Si Naval Group n'avait su construire que des sous-marins a propulsi...

à écrit le 19/09/2021 à 12:37
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Vous oubliez un point de détail fondamental qui élimine dès le départ l'hypothèse sous marin nucléaire français d'après l'Australie ! Nos sous-marins nucléaires seraient dépendant de la filière nucléaire française en terme de "combustible" ce qui au...

le 19/09/2021 à 14:17
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Si je comprend bien votre commentaire, quand l'Australie achète auprès de la filière Française elle est "dépendante" mais quand elle achète auprès des USA elle est "indépendante"? Soyons sérieux. L'Australie ne serait indépendante que si elle avait s...

le 20/09/2021 à 4:02
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100% dépendante des usa vous voulez dire je crois ?

à écrit le 19/09/2021 à 10:11
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Certes un sna nucléaire est plus puissant, mais beaucoup moins discret...

à écrit le 19/09/2021 à 8:34
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les USA sont un peuple qui cherche constament des guerres sans doute pour penser que ce sont les meilleurs les plus grands et comme les caïds ils sont entouré par des flatteurs qui qui lèchent leurs bottes... dommage pour eux ils sont tombés sur un o...

le 19/09/2021 à 22:08
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Espérons que en cas de confrontation que de ne soit pas la dictature communiste qui gagne le lieder chip...

à écrit le 19/09/2021 à 8:33
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les USA sont un peuple qui cherche constament des guerres sans doute pour penser que ce sont les meilleurs les plus grands et comme les caïds ils sont entouré par des flatteurs qui qui lèchent leurs bottes... dommage pour eux ils sont tombés sur un o...

à écrit le 19/09/2021 à 8:32
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les USA sont un peuple qui cherche constament des guerres sans doute pour penser que ce sont les meilleurs les plus grands et comme les caïds ils sont entouré par des flatteurs qui qui lèchent leurs bottes... dommage pour eux ils sont tombés sur un o...

à écrit le 19/09/2021 à 8:23
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Première étape, l'Australie doit se munir d'armes nucléaires face à la Chine. Deuxième étape: comment la Chine va-t-elle réagir? Autrement dit elle ne présente pas encore de menace et on va devancer la menace. C'est brillant!

à écrit le 19/09/2021 à 8:19
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oui vous avez raison Citoyen blasé

à écrit le 19/09/2021 à 7:34
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Les Etats-Unis ont toujours besoin d'un ennemi, fut-il imaginaire, pour entretenir les appétits de dollars de leur complexe militaro-industriel, au pouvoir depuis qu'Eisenhower est parti, non sans avoir mis le pays en garde contre eux. Après la guerr...

à écrit le 19/09/2021 à 2:30
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Si ce n'est pas les uns, c'est les autres. l’OTAN va d'une confrontation à une autre. Cet semaine, c'est le tour des chinois, histoire de changer de disque un peu la vérité, c'est que les Yanks sont des méchants et vous faites du propagande sioniste...

à écrit le 18/09/2021 à 22:41
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Suite à cela et au retrait d'Afghanistan, en rétorsion, est-ce possible que la France ou l'Europe convertissent leurs réserves de dollars US en métaux précieux ?

à écrit le 18/09/2021 à 21:00
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La réalité, c'est que les anglo-saxon dominent le monde depuis 3 siècles, et qu'il ne supporte personne d'autres. Aujourd'hui, la lutte pour la démocratie qu'est censé représenté la lutte contre la CHINE est une vaste plaisanterie. Ce monde anglo-sa...

le 19/09/2021 à 7:35
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Analyse très juste, les français ne pèsent plus très lourd aujourd'hui dans le monde. Je dirais que la domination anglo-saxonne a commencé lors de la bataille de Trafalgar, il y a deux siècles

à écrit le 18/09/2021 à 18:27
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Merci beaucoup parce que le "ils sont méchants ils ont pas acheté nos sous marins" commence à devenir pénible. Quand les monarchies du golf achètent des armes c'est pour se mettre les dirigeants politiques des pays vendeurs dans la poche, là on est d...

à écrit le 18/09/2021 à 17:53
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Avec une exportation australienne tournée majoritairement vers la chine ( charbon, GNL), Ils vont vite se rendre compte que, finalement ,les sous marins nucléaires US c'était pas une très bonne idée.

à écrit le 18/09/2021 à 17:39
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Ils n'en voulaient pas au début des négociations, du nucléaire français, le diesel anaérobie ou rien. Et avec le temps, finalement c'était peut-être une mauvaise idée, de refuser, si c'est pour s'y mettre maintenant, sauf qu'ils ne pourront les gérer...

le 18/09/2021 à 18:23
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C'est pas faux mais quand un danger est aussi important et imminent comment leur reprocher une meilleur cohésion stratégico-militaire ?

le 19/09/2021 à 10:50
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@Citoyenblasé: "C'est pas faux mais quand un danger est aussi important et imminent comment leur reprocher une meilleur cohésion stratégico-militaire ? " Quel danger imminent? La Chine... Comme si la Chine allait se lancer dans une guerre imminent...

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