Les prochains mois pour Naval Group et ses 15.800 salariés environ vont être compliqués, très compliqués. Le groupe naval, qui traverse depuis des mois une très mauvaise période sur le plan commercial avec comme point d'orgue la résiliation du contrat australien, va devoir très certainement réduire ses effectifs et redimensionner son outil industriel. Car le programme australien "Future Submarine Program" permettait jusqu'ici à Naval Group de masquer toute une série d'échecs à l'export, dont le groupe et les actionnaires vont devoir en tirer les conséquences. Ce n'est désormais plus le cas. Après Lorient, c'est au tour de Cherbourg et de Ruelle d'avoir des craintes sur des baisses de charge.
Si à court terme Naval Group ne risque rien ou presque, le groupe naval sera à moyen et long terme très sérieusement mis en difficulté en raison d'une baisse de sa charge industrielle faute de contrats export. Cela pose également de très gros problèmes à toute la filière navale militaire française, y compris à son actionnaire Thales, qui vit des programmes obtenus par Naval Group. L'État ne pourra pas toujours sauver le soldat Naval Group en lui octroyant des contrats (accélération des frégates FDI, SNLE 3 G, maintien en condition opérationnelle des sous-marins marins nucléaires...). Déjà des mauvaises langues estiment que la situation actuelle est un retour vers le passé quand Naval Group s'appelait encore la Direction des constructions navales (DCN) et ne vivait que sur des commandes étatiques.
Une série d'échecs qui pose problème
Avant le cataclysme australien, l'été n'avait également apporté que des mauvaises nouvelles à l'export pour Naval Group en dépit des voyages cet été du PDG de Naval Group. Pierre Eric Pommellet s'est rendu en Égypte où il a tenté de revenir en cour auprès de la marine égyptienne et du Caire, et aux Émirats Arabes Unis pour une visite de suivi de contrat. Rien de probant pour autant. Mais surtout plusieurs pays ont envoyé des messages très négatifs au groupe naval durant ces derniers mois.
Ainsi, la Pologne, qui a lancé le programme Miecznik, a ignoré début août le groupe français pour la construction de trois frégates et a présélectionné les design de l'espagnol Navantia (F-100) et de l'allemand ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS) dans le cadre d'un programme de transfert de technologie (ToT). En Roumanie, Naval Group est en perdition : le gouvernement roumain ne veut plus signer le contrat de 1,2 milliard pour la fabrication de quatre corvettes Gowind construites localement. Bucarest attend un renoncement de Naval Group... qui attend de son côté un désistement du gouvernement roumain. En Arabie Saoudite, Ryad ne consulterait pas Naval Group pour des projets de corvettes et de frégates pour la marine saoudienne, selon des sources concordantes. En revanche, Navantia, Fincantieri et les sud-coréens seraient dans les petits papiers de Mohammed ben Salman, le prince héritier.
Au Maroc, Naval Group s'est fait surprendre par des discussions entre Fincantieri, à nouveau appuyé par la Caisse des dépôts italienne (Cassa depositi e prestiti détenue à 80% par l'État italien) et Rabat, qui discutent d'une vente de deux FREMM de lutte anti-sous-marine. En Indonésie, Naval Group a découvert là aussi au dernier moment un contrat signé de 4,1 milliards d'euros (six frégates FREMM italiennes et la modernisation et la vente de deux frégates Maestrale) entre Fincantieri et Jakarta. Enfin, en Grèce, où Naval Group doit très prochainement déposer une nouvelle offre (quatre frégates FDI), la vente de six Rafale supplémentaires n'augure rien de bon pour le groupe français. D'autant que les Grecs attendent toujours une offre américaine.
Pas de contrat équivaut à moins d'emplois
Toute cette série de déboires à l'export interpelle. Trop de zèle dans la "compliance" au sein de Naval Group, comme dans d'autres groupes français d'ailleurs, ne tuerait-elle pas finalement l'export. Il est sûr que ne pas signer de contrats à l'international évite des éventuels tracas juridiques en France, qui s'est dotée d'un arsenal juridique unique en Europe grâce à la Loi Sapin 2, qui inhibe beaucoup d'industriels tricolores. C'est le cas chez Naval Group. Mais in fine pas de contrats équivaut à moins de charges industrielles et donc forcément moins d'emplois. Contrairement aux concurrents comme Navantia, Fincantieri, TKMS, Damen et consorts, qui continuent quant à eux d'engranger des contrats.
Il est également très étonnant qu'en Indonésie, en Australie et au Maroc, Naval Group n'ait rien venir, et in fine anticiper. Mais à force d'arrêter la majorité des contrats de consultants, jugés à risques (à tort ?), les entreprises françaises perdent leurs yeux et leurs oreilles dans des pays où ils ont pourtant des intérêts commerciaux stratégiques. Naval Group, qui compte trop sur l'État, en fait l'amère expérience ces derniers mois. Il est également surprenant que les services français aient été autant aveugles sur ces dossiers. La France va devoir retrousser ses manches pour lancer un vaste plan en faveur de l'intelligence économique. C'est vital pour l'emploi et son industrie au sens large.
En outre, le lancement de la frégate de défense et d'intervention (FDI), qui est chère, pose de plus en plus question. Le choix par l'Indonésie de la FREMM italienne, qui a un déplacement de 6.500 tonnes (contre 4.460 tonnes pour la FDI), a envoyé un premier message inquiétant. Cette FREMM séduit les marines. D'ailleurs Fincantieri la propose également à la Grèce, au Maroc, à l'Égypte et à l'Arabie Saoudite. Le choix de ces pays va donc valider ou pas les orientations prises par Hervé Guillou, qui avait tordu à l'époque le bras de la Marine nationale, en privilégiant la FDI au détriment de la FREMM. Une FDI lancée justement pour devenir le fer de lance de la politique commerciale de Naval Group à l'exportation et pour faire également travailler les bureaux d'études du groupe alors à la peine.
Enfin, l'alliance avec Fincantieri au sein de Naviris est un échec pour Naval Group. Pour l'heure, elle profite beaucoup plus aux Italiens, qui font feu de tout bois à l'export alors que Naval Group s'écroule à l'international. Partout où il était présent et bien en place (Égypte, Maroc, Arabie Saoudite), le groupe français cède ses positions commerciales aux Italiens. Résultat, rien ne va plus chez Naval Group à l'export où il faut que le groupe remette les gaz sur les services commerciaux dont la plupart des vendeurs sont en complète déshérence en raison de l'actuelle a politique commerciale. L'Australie doit servir à Naval Group d'électrochoc pour rebondir avec des équipes commandos capables de regagner des contrats à l'export. Il en va de l'avenir du groupe.
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