Les média diffusent à grand bruit depuis quelques jours le constat du dernier rapport annuel d'Oxfam selon lequel les 26 personnes les plus riches du monde détiendraient à elles seules autant d'argent que la moitié la plus pauvre de l'humanité. Information alarmante, susceptible d'alimenter les populismes de tous bords.
Or, selon les chiffres incontestés du magazine Forbes, les 26 personnes les plus riches du monde détenaient 1.395 Md$ d'actifs fin 2018, ce qui représentait :
- 9,5% de la valeur boursière (capitalisation) des 50 premières sociétés cotées du monde (14.712 Md$)
- 6,8% de la capitalisation des 100 premières sociétés cotées du monde (20.416 Md$)
- 2,9% de la capitalisation totale des 10 plus grandes bourses du monde (47.358 Md$)
Ces capitalisations ne représentent évidemment qu'une fraction du patrimoine privé de l'humanité: il manque la valeur des sociétés non cotées ou cotées sur d'autres bourses, les biens immobiliers, les obligations et autres créances à taux fixe, les actifs mobiliers non financiers, etc. Ainsi, les 26 personnes les plus riches du monde ne peuvent détenir qu'une très petite fraction de ces 2,9%, qu'on peut raisonnablement estimer entre 0,1 et 0,3%.
Déformation de la perception des inégalités
Cette conclusion est corroborée par les études de Thomas Piketty dans son livre "Le Capital au XXIe siècle" (page 694), sous la forme d'un graphique et en se référant à la dernière année de son étude (2013):
- part du trois millionième supérieur (soit 2.300 personnes sur 7 milliards) dans le patrimoine privé mondial: 1,5%
- part du vingt millionième supérieur (soit 350 personnes) dans le patrimoine privé mondial: 0,9%
- part du cent millionième supérieur (soit 70 personnes) dans le patrimoine privé mondial: 0,4%
Or dans le même livre (page 391), Thomas Piketty évalue la part du patrimoine mondial détenu par la moitié la plus pauvre de la planète à environ 5%.
Il en ressort que les 26 personnes les plus riches du monde détiennent non pas autant que la moitié de l'humanité la plus pauvre mais de l'ordre du dixième de ce montant.
En conclusion, le rapport d'OXFAM semble déformer la réalité à un tel point que l'on peut se demander s'il n'est pas une entreprise délibérée de falsification des faits dans le but d'intensifier la perception des inégalités.
Compte tenu de l'impact que peut avoir cette fausse information sur les esprits et les imaginations, tout particulièrement dans le contexte troublé actuel, il faut dénoncer fermement cette imposture, qui est d'autant plus délétère qu'elle est relayée par les media comme une simple information sans le moindre questionnement, nourrissant ainsi le flot incessant des "fake news" et soufflant sur les braises de la haine sociale.
["Le Capital au XXIe siècle", de Thomas Piketty (Seuil, 2013), pp 698-699. Reproduction avec l'aimable autorisation de l'auteur. Cliquez sur l'image pour l'agrandir plein écran.]
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