Œnotourisme : dans le vignoble mosellan, cap sur le circuit court

SÉRIE D’ÉTÉ – GRAND EST. (2/4). De l'Alsace à la Champagne, à la recherche d'un nouveau tourisme. La Moselle française, dont le petit vignoble a opéré une montée en gamme au cours de la décennie passée, mise sur le tourisme de proximité.
Le village de Vaux, dans le vignoble mosellan.
Le village de Vaux, dans le vignoble mosellan. (Crédits : Olivier Mirguet)

Malgré l'appellation d'origine contrôlée qui fait sa fierté depuis 2011, la Moselle n'a pas conquis le prestige de l'Alsace ni de la Champagne, les vignobles voisins dans le Grand Est. « Tout le monde nous regarde comme des rigolos, y compris les voisins allemands et luxembourgeois qui exploitent les mêmes cépages sur leurs coteaux de la Moselle. Ils ont peut-être raison. Dans la Moselle française, on se contente de faire des vins de niche », reconnaît Jean-Paul Paquet, l'un des 16 vignerons installés dans ce mini-vignoble (70 hectares) aux confins de la Lorraine, de l'Allemagne et du Luxembourg.

Dans les villages, entre Ancy-Dornot et Vic-sur-Seille, les vignerons misent de façon modeste sur un œnotourisme local pour animer les ventes et faire connaître la production : des vins blancs pour l'essentiel, auxerrois, pinot gris ou müller-thurgau, et quelques hectolitres de rouge vendus en circuit court. « J'organise un apéritif chaque semaine, avec le concours d'un ami charcutier. À chaque fois, c'est complet », constate Jean-Paul Paquet.

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Des vins rares, donc "exotiques"

Après les années d'opulence au XIXe siècle, jusqu'à l'annexion allemande, le vignoble mosellan était tombé dans l'oubli. Il a connu la renaissance dans les années 1980 dans un mouvement collectif de petites exploitations locales. En septembre 2019, huit ans après le décret d'AOC, un arrêté ministériel a précisé la délimitation géographique du vignoble mosellan. L'AOC couvre 18 communes réparties entre trois terroirs : le Pays messin, les Trois Frontières et Vic-sur-Seille. Les vins sont issus de raisins récoltés manuellement.

La faible teneur en sucres, limitée à 2 grammes par litre, et le rendement limité entre 55 et 68 hectolitres par hectare sont offerts comme gages de qualité. Depuis une décennie, les prix des vins de Moselle n'ont cessé d'augmenter. « Nos vins sont rares, donc exotiques », plaisante Norbert Molozay, président de l'AOC Moselle et exploitant du Château de Vaux. Les indépendants vendent rarement une bouteille en-dessous de 10 euros. « Le passage à l'AOC a permis au vignoble de monter en gamme. Les vignerons n'ont plus besoin d'être pluriactifs pour s'en sortir. Avec des rendements inférieurs à 50 hectolitres par hectare, il n'y a aucune surproduction et nos prix moyens sont supérieurs à ceux de l'Alsace », confirme Norbert Molozay. Et de poursuivre : « La commercialisation de vins de Moselle est dominée par les circuits courts, les ventes au domaine ou chez des restaurateurs locaux. Les animations se résument à des week-ends de portes ouvertes et à des dégustations. D'où notre intérêt pour le développement de l'œnotourisme. »

«  Le passage à l'AOC a permis au vignoble de monter en gamme. Les vignerons n'ont plus besoin d'être pluriactifs pour s'en sortir », confirme Norbert Molozay du château de Vaux

Cette année, à Ancy-sur-Moselle, Eve Maurice a aménagé deux chambres d'hôtes et trois cabanes dans les arbres pour héberger des touristes. Le domaine affiche complet pendant tout l'été, jusqu'à 220 euros la nuit. La viticultrice a trouvé un relais de croissance qui représentera « autour de 30 % » de son activité.

Travailler avec l'Allemagne et le Luxembourg

Reste une réputation à construire. L'Alsace et la Champagne, qui viennent de fusionner leurs syndicats de vignerons indépendants, n'ont pas eu un regard pour la Moselle. « La Moselle française a davantage intérêt à travailler avec les 8800 hectares du vignoble allemand et les 1250 hectares de la Moselle luxembourgeoise », confirme Ségolène Charvet, gérante de Terroir Moselle. Ce groupement économique transfrontalier tente depuis 2013 de fédérer les vignobles des trois pays.

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Pour élaborer ses actions de communication, Terroir Moselle a bénéficié de plus de 300.000 euros de financements européens issus des programmes cadres Leader (économie rurale) et Interreg (coopération transfrontalière). « Nous cherchons à développer un œnotourisme transfrontalier, qui s'adresserait à la clientèle locale mais aussi à des touristes de passage. Nous voulons inciter des Belges et des Néerlandais à séjourner chez nous quand ils prennent la route vers le sud de la France », explique Ségolène Charvet. La création d'un itinéraire qui marie le vin et l'architecture des trois pays est à l'étude.

Cette « route des vins » mosellane transfrontalière couvrirait près de 500 kilomètres depuis le Toulois en Meurthe-et-Moselle jusqu'à Coblence, la ville qui marque la confluence avec le Rhin. L'architecture viticole contemporaine, en plein essor au Luxembourg, s'inscrit en contraste avec les chais et les demeures historiques allemandes à Bernkastel-Kues, où l'exploitation de la vigne n'a jamais cessé. « La Moselle est un vignoble déconcentré, rural, qui n'a pas de capitale », rappelle Ségolène Charvet. À 45 kilomètres de la frontière française, Trèves pourrait jouer ce rôle de capitale : la ville a cultivé ses vignes depuis deux mille ans, mais cette ancienne place forte de l'Empire romain mise essentiellement sur ses vestiges archéologiques pour attirer des visiteurs.

Pour la Moselle française, la stratégie collective pour l'œnotourisme est à construire. « Nos blancs de Moselle sont frais, fins, élégants. La Moselle fait partie des rares vignobles de France qui s'agrandissent », rappelle Norbert Molozay. Dans son château à Vaux, bien placé sur un coteau proche de Metz, ce vigneron caressait un projet de création de chambres d'hôtes. « Je n'ai pas eu le temps. Je consacre tout mon travail aux vignes et à la vente », regrette-t-il. L'idée est à concrétiser.

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Commentaires 3
à écrit le 22/12/2020 à 10:06
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C'est un véritable progrès que seule cette région de vins de qualité semblait pouvoir entamer, puisque par chez nous les bordelais sont complètement aliénés par leur cupidité encore, les vignerons de l'Est d'ailleurs moins prétentieux ont les pieds d...

à écrit le 19/08/2020 à 22:00
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Comme dans les pays de la Loire, le changement climatique permet de remonter la culture de la vigne plus au nord. Pour moi ils peuvent viser des vins de garde, ils peuvent trouver leur place, dans le sud ils en sont à arroser la vigne, on ne peut pl...

à écrit le 19/08/2020 à 16:50
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Si vous aimez le vin et la lecture, ne manquez pas de lire "Terres rares" de Jean Tuan chez C.L.C. Editions (sortie le 09 mars 2020). Un néo-polar épicurien et érudit qui dévoile comment les chinois aisés s'emparent des plus beaux domaines viticoles...

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