Le Francilien en route pour Deauville et le chauffeur de poids-lourd en provenance du port du Havre n'auront bientôt plus besoin de marquer l'arrêt aux péages sur l'autoroute qui relie la capitale à la Normandie. D'ici à décembre 2024, la Sanef, société concessionnaire, aura démantelé les cinq gares de péage en pleine voie et les neuf dessertes locales (péages secondaires sur bretelles d'entrée/sortie) qui ponctuent les 210 kilomètres de l'A13-A14 pour déployer ce que les anglo-saxons appellent le free flow et que les français vont découvrir sous le nom de "flux libre". Autrement dit, le péage toujours payant mais... virtuel.
Paiement virtuel direct ou différé, mais aussi en physique
Exit donc les barrières, sources d'engorgement. À la place, les voies seront surmontées par une quarantaine de portiques aériens bardés de capteurs. À charge pour eux d'identifier la catégorie de chaque camion ou voiture: plaques d'immatriculation, nombre d'essieux, volume, position sur la chaussée, présence ou non d'un badge... « Ils seront opérants quelle que soit leur vitesse et les conditions de circulation », assure l'exploitant.
Quant au paiement, il s'effectuera en une seule fois via le badge de télépéage ou par l'intermédiaire d'une application. Les moins connectés auront également la possibilité de régler leur trajet quelques jours après leur passage par téléphone, via Internet ou dans des points de vente physiques.
Nombreuses contestations pendant la phase d'expérimentation
Pour favoriser l'appropriation par les usagers, la Sanef a vu grand. Un centre de relation client fort de 200 collaborateurs sera installé en Normandie en 2025, ce qui ne semble pas superflu.
En effet, au péage de Boulay-Moselle sur l'A4 où le groupe expérimente le flux libre depuis mars 2019, le dispositif a suscité beaucoup d'incompréhensions comme en atteste cette pétition signée par plus de 700 usagers furax. Faute d'avoir reçu des courriers de rappel, des dizaines d'entre eux, y compris ceux détenteurs d'un badge, rapportent s'être vus infliger des amendes pour retard de paiement allant jusqu'à 2.200 euros pour les plus salées.
Depuis, la Sanef a mis en place un service d'alerte sur les délais de paiement, afin d'informer par mail que l'échéance approche mais dément tout dysfonctionnement. "Aucune des contestations reçues jusqu'à maintenant n'a révélé de défaillance de nos systèmes de détection et de paiement", affirment ses services qui jurent qu'ils "communiqueront beaucoup avant la mise en service". Là encore, cela semble prudent. C'est en effet la première fois en France que cette technologie, rendue possible par la loi LOM, sera déployée à l'échelle d'un axe routier complet, qui plus est, à fort trafic: 7 millions de véhicules par an dont 7% d'étrangers. Difficile dans ces conditions d'imaginer que la mise en route se passera sans heurts.
Verdir l'autoroute
En attendant, le groupe soutenu par Matignon préfère mettre en avant les avantages de la solution. Et notamment le gain de temps promis aux usagers : près d'un million et demi d'heures par an au global, à en croire le communiqué publié par les services du Premier ministre juste avant Noël. Mais le flux libre présente surtout un intérêt sur le plan environnemental. En fluidifiant la circulation, il apportera son tribut à la décarbonation. Le concessionnaire évalue ainsi à près de 10 millions le nombre de litres de carburant qui seront économisés annuellement, soit environ 30.000 tonnes de CO2 en moins dans l'atmosphère: l'équivalent d'autant d'allers-retours Paris-New York en avion.
De son côté, l'Autorité de régulation des transports (ART) chiffre à plus de 600 millions d'euros les gains en temps et carburant (en valeur 2018). La différence sera particulièrement sensible pour les poids-lourds : pendant son temps d'arrêt au péage, un camion consomme 3 litres de gasoil (!), selon la Fédération nationale des transports routiers. Pas anodin en cas de flambée du prix du baril. La Sanef promet enfin de « rendre à la nature » les 28 hectares de terrains occupés par des barrières de péage devenues inutiles.
L'usager et le contribuable paieront la facture
Quant au prix à payer, il devrait avoisiner 120 millions d'euros pour la totalité de l'opération. La moitié de cette somme résultera d'investissements prévus au contrat de concession mais non réalisés, un quart sera payé par le contribuable au terme dudit contrat moyennant un avenant, et la dernière quote-part incombera aux utilisateurs de l'autoroute. Ces derniers devront s'acquitter d'une hausse annuelle du coût du péage de 0,22% pendant trois ans à compter du 1er février prochain.
De son côté, la Sanef assure qu'elle ne réalisera pas d'économies sur les charges d'exploitation. "Au-delà des investissements, les économies générées par la suppression des barrières de péage vont s'équilibrer avec le coût de maintenance des nouveaux équipements et la création des nouveaux emplois dans le centre de relation client", détaille t-elle. Une assertion d'ailleurs validée par l'ART dans son rapport sur le projet paru en juillet dernier.
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