Comment Angers reconvertit deux usines des années 1960

À l'ouest d'Angers, sur le site de l’ancienne usine Bull, le leader de l’informatique quantique Atos s’apprête à lancer la construction de son usine du futur tandis qu’à l'est, l’ancienne usine Thomson-Technicolor va être réhabilitée pour accueillir des logements. Ces opérations d’envergure, aux montages parfois complexes, orchestrées par la SPL Anjou Loire Territoire (Alter) doivent permettre de créer emplois et logements compatible avec l'objectif « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN).
Les dirigeants d'Atos et l'ex-maire d'Angers et président de la communauté urbaine d'Angers, Christophe Béchu, aujourd'hui, Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires lors de la présentation du projet d'usine bas carbone d'Atos.
Les dirigeants d'Atos et l'ex-maire d'Angers et président de la communauté urbaine d'Angers, Christophe Béchu, aujourd'hui, Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires lors de la présentation du projet d'usine bas carbone d'Atos. (Crédits : Atos)

Entre la reconquête de la friche Thomson, à l'est de la ville, et le projet de reconstruction et d'extension du site d'Atos, leader mondial de la sécurité numérique et fabricant de supercalculateurs, à l'ouest, l'agglomération angevine s'affaire à reconstruire la ville sur la ville.

« Si on veut donner une chance à la théorie du ZAN de s'appliquer en 2025, il faut s'y mettre maintenant », estime Michel Ballarini, directeur général de la société publique locale (SPL) Alter (Anjou Loire Territoire).

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Cette dernière est mandatée par les collectivités angevines (agglomération, EPCI, département) pour repenser l'aménagement urbain sur un bassin de 800.000 habitants, dont 300.000 sur la seule communauté urbaine d'Angers. À l'échelle du département, Alter a déjà repéré une cinquantaine d'anciennes friches inutilisées. « Des lieux superbement bien placés, hier construits en périphérie des bourgs. Ces derniers les ont progressivement enserrés, ce qui en fait des sites majeurs », observe Michel Ballarini.

La région appelle à une différenciation des territoires

En général, les sites appartiennent à d'anciennes entreprises, souvent disparues, dont les liquidateurs cherchent à tirer le meilleur parti. De plus en plus d'élus, confrontés à des problèmes de sécurité, à des occupations par les gens de voyage ou à une pénurie de logements, frappent à la porte d'Alter. C'est le cas à Chemillé, Baugé, Allonnes, Saumur, Cholet, ou à Segré.

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En ce sens, le Conseil régional des Pays de la Loire, qui dit travailler à l'élaboration d'une carte des friches industrielles régionales, projette d'organiser une rencontre des maires à l'automne. Objectif, les accompagner dans les reconversions et aller vers un ZAN, dont le rythme d'application fait débat.

« Les grandes villes ont les moyens, mais les communes rurales sont désemparées et ont du mal à se projeter », explique un proche de la présidente Christelle Morançais, présidente de la Région, qui milite pour une différenciation de l'application du ZAN selon les territoires.

« Nous sommes dans une région où le taux d'emploi industriel est l'un des plus élevés de France, avec de nombreuses entreprises familiales, dont l'enjeu est plutôt de se maintenir plutôt que de se réindustrialiser », souligne-t-il comptant sur de nouvelles discussions au Parlement pour desserrer la contrainte sur les zones urbaines d'une région où les friches industrielles seraient relativement peu nombreuses.

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« Ça va devenir la règle ! »

Le mouvement est pourtant bel et bien en marche. « Ce n'est plus une tendance. C'est l'actualité de tous les jours », assure Michel Ballarini. Lorsqu'un site est destiné à muter, l'outil de portage foncier « Anjou Portage Foncier » intervient. Cela permet d'acquérir la maîtrise foncière du site. Un délai de dix ans permet d'étudier sa transformation, sa dépollution.

De nombreuses opérations de ce type ont déjà eu lieu au sein de l'agglomération angevine, où d'anciennes friches ont fait émerger le nouveau quartier de la gare, situé cours Saint-Laud, et le nouveau quartier de Saint-Serge, non loin de la patinoire. « Ce qui est nouveau, c'est que ça va devenir la règle ! », souligne-t-il.

« Hier, il suffisait d'amener une route, de l'eau et un téléphone... »

À Angers, deux belles opportunités foncières se sont présentées à la ville. « L'une de 13,6 hectares, à l'Ouest, laissée vacante depuis la fermeture de l'usine Technicolor il y a dix ans, dont le foncier était aux mains d'un liquidateur, et l'autre, de 20 hectares (ndlr, huit bâtiments), sur l'ancien site de l'usine Bull (ndlr, 3.500 salariés à la « grande époque »), aujourd'hui en partie occupé par l'usine d'Atos qui envisageait la construction d'une nouvelle usine, ici ou ailleurs », rappelle Michel Ballarini.

Plutôt que de voir Atos partir loin ou s'installer au milieu des champs, Alter a pris les choses en main pour offrir un berceau de huit hectares à l'acteur de l'informatique quantique. Celui-ci va investir 60 millions d'euros pour doubler sa production, accroître sa productivité et bâtir le vaisseau amiral européen de sa division Big Data & Cybersécurité d'où sortiront, demain, les futurs ordinateurs quantiques.

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« C'est l'investissement industriel le plus important depuis 30 ans sur notre territoire », s'était réjoui Christophe Béchu, l'ancien maire d'Angers et président de la communauté d'agglomération Angers, devenu Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires de France, lors de l'annonce du projet.

« Hier, il suffisait d'amener une route, l'eau et le téléphone pour accueillir une entreprise Aujourd'hui, si l'on veut voir venir des entreprises dans le tissu existant, il faut les aider à le faire, sans quoi, c'est trop compliqué », affirme Michel Ballarini.

Alter a ainsi acquis le terrain, le fait dépolluer, construit l'usine et la revend à Atos, maître d'ouvrage. « Le bien est cédé en vente dans l'état de futur achèvement, mais Atos en est propriétaire dès le début. Ce sont des dossiers techniquement et juridiquement compliqués, mais si on y arrive avec Atos, ce sera plus simple pour d'autres sujets », admet-il. Financé via un prêt de la Banque des territoires, l'opération porte sur un investissement de 15 millions d'euros. Sur les douze hectares restants, Alter a mis en place un périmètre de vigilance, lui permettant de mettre la main progressivement sur les bâtiments, aujourd'hui occupés par des entreprises plus petites.

Les prémices d'une économie circulaire

L'autre intérêt du projet d'usine bas carbone d'Atos, qui doit être livré en 2027, est que la chaleur fatale produite par la fabrication des ordinateurs et supercalculateurs va être réinjectée dans le réseau de chaleur de la ville. Elle alimentera les logements, les activités tertiaires et les équipements (loisirs, culture, restauration...) devant, à l'avenir, émerger sur le site de la zone Gaston Birgé (l'ex-friche Thomson-Technicolor). Outre les 13,6 hectares de Thomson, Alter a dessiné un périmètre d'études de 30 hectares.

« Cela devient intéressant parce que là, on commence à imaginer, à une échelle urbaine, une économie circulaire de la ville », esquisse Michel Ballarini. Le 7 juillet prochain, d'ailleurs, la ville d'Angers inaugurera les lignes de tram B et C, desservant le quartier Belle-Beille, dont l'un des arrêts sera situé à 400 mètres du futur site d'Atos. « Là, ça commence à raconter une autre histoire. On entre dans la politique RSE de ces groupes et cela nous permet de tricoter des politiques de déplacement où l'on n'est pas obligé d'aller au travail en voiture ! », fait-il valoir.

Un pari complexe pour les investisseurs

Reste que le contexte immobilier, soumis à la hausse des taux d'intérêt, a quelque peu changé la donne. « Ça peut aller plus vite, mais il ne faut pas oublier qu'au bout de la chaîne il y a un marché. Et pour les réimplantations, il est nécessaire que les gens soient là et aient les moyens d'investir », ajoute-t-il. Sur ces opérations urbaines, Alter reconnaît être exigeante sur l'arrivée des preneurs avec l'instauration d'un taux d'imperméabilisation, l'utilisation de matériaux biosourcés, une politique de déplacement.

« Si bien que l'on voit des investisseurs français habituellement positionnés sur le logement ou le commerce se tourner vers la reconversion de friches industrielles », constate Philippe Jusserand, directeur régional de la Banque des territoires Pays de la Loire.

Selon Steven Perron, dirigeant de la Foncière Magellan, co-investisseur dans une dizaine d'opérations de reconversion de sites industriels en France, dont le site d'Atos, ce type de biens peut générer des rendements de 6% à 7%. « Mais attention, compte tenu de la complexité des sites à dépolluer, à restructurer, et à animer, tous ne tourneront pas économiquement », avertit l'expert.

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