Une fois de plus, Amazon met la main au portefeuille pour étendre son empire. Le 5 août, le géant de la tech a déboursé 1,7 milliard de dollars pour s'offrir iRobot, le constructeur des aspirateurs autonomes Roomba. Il va payer 61 dollars par action, soit 22% de plus que le cours du titre la veille de l'annonce, mais aussi deux fois moins que son pic, atteint en février 2021. Au-delà de l'opération financière, l'acquisition soulève des questionnements sur la stratégie d'Amazon.
Des robots qui ne rapportent pas d'argent
Les petits robots en forme de disque de iRobot ont la capacité de cartographier jusqu'à dix pièces de la maison, pour aspirer la poussière de façon autonome, sans entrer en collision avec le mobilier. Précurseur sur son marché, iRobot en était encore l'écrasant leader en 2020, mais il se fait grignoter des parts par des nouveaux entrants qui tirent les prix à la baisse, comme Roborock, LG, Samsung ou Shark.
En parallèle, la demande pour ses produits s'effondre sous le poids de l'inflation : au second trimestre, le chiffre d'affaires de iRobot s'est écroulé de 30% par rapport à l'an dernier, à 255,4 millions de dollars. Pire, sur les six premiers mois de l'année, l'entreprise accuse une perte nette de 73,8 millions de dollars, contre 4,7 millions de dollars de bénéfice net au premier semestre 2022. Bref : avec une demande en baisse et une concurrence toujours plus forte qui pousse à la réduction des marges, les Roomba n'ont pas encore pérennisé leur rentabilité. Et ce n'est pas la serpillère connectée ni l'aspirateur à main d'iRobot qui suffiront à tirer les chiffres du groupe à la hausse.
Amazon investit sur un marché éloigné de son cœur d'activité
Outre le choix de l'entreprise, l'opération interroge sur la stratégie d'Amazon. Le géant de la tech se relance sur un marché, celui des objets connectés, où il n'a plus poursuivi ses investissements depuis l'achat des sonnettes d'entrée et caméras de surveillance de Ring, en 2018. Aujourd'hui, le groupe réalise son chiffre d'affaires sur trois marchés : le e-commerce, le cloud (où il réalise la majorité de ses bénéfices) et la publicité en ligne. Sa branche produit, incarnée par la gamme Echo et les produits Ring, ne pèse rien par rapport à ces trois piliers.
Le groupe a lourdement investi à la fin des années 2010 dans l'assistant connecté Alexa pour qu'il devienne le centre de commande vocale de la maison connectée (lumières, télévision, enceintes, volets électriques...). L'objectif : rendre l'intégration facile pour qu'il commande le plus d'objets possibles. Autrement dit, pour Amazon, le marché de la maison connectée est un marché de données -qu'il peut convertir dans l'e-commerce et la publicité- plus qu'un marché de produits. Alexa permet à Amazon de réunir encore plus d'informations sur les consommateurs, et de diriger leurs achats vers son écosystème (e-commerce, musique, vidéo...). Ses rares produits, comme les enceintes, vont dans ce sens.
Le spectre des dangers pour la vie privée
Pour justifier l'acquisition, les analystes tentent d'y trouver des avantages stratégiques. Certains y voient un nouveau moyen de générer des abonnements à Amazon Prime (la colonne vertébrale du modèle de l'entreprise) par le biais de réductions exclusives sur les produits Roomba, réservées aux abonnés. D'autres spéculent que l'expertise logicielle de iRobot pourrait consolider le fonctionnement d'Astro, l'onéreux (1.500 dollars) robot à tout faire, mais qui fait pour l'instant tout mal. D'après les premiers retours de la presse, il peine notamment à se déplacer dans la maison. En test chez une poignée de clients depuis septembre 2021, il pourrait ne jamais être introduit au grand public.
Enfin, les défenseurs de la vie privée voient dans l'acquisition une manière pour Amazon d'accéder aux données de cartographie des appartements et maisons des utilisateurs. Des données qu'il exploiterait pour encore affiner ses algorithmes de recommandation, et booster son e-commerce. Robert Weissman, président de l'ONG Public Citizen, appelle donc les régulateurs à empêcher la transaction avec un bon mot : « la dernière chose dont les Américains et le monde ont besoin, c'est que Amazon aspire encore plus d'informations personnelles ». A Business Insider, iRobot indique qu'elle n'a pas vendu les données à des partis tiers, et qu'elle ne les exploite pas hors des utilisations auxquelles les clients ont consenti en signant les conditions générales d'utilisation. Mais Amazon a-t-il vraiment besoin d'informations sur les sols des consommateurs ? Et surtout, est-ce qu'il dépenserait 1,7 milliard de dollars simplement pour les obtenir ?
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