Une nouvelle licorne française est née. Après 105 millions déjà levés en juin dernier, le second tour de financement, 385 millions d'euros supplémentaires, valorise la startup Mistral AI à quelque 2 milliards de dollars, selon des sources financières. Ce qui la propulse parmi les les sociétés de la tech valorisées à plus d'un milliard d'euros.
« Depuis la création de Mistral AI en mai, nous suivons une ambition claire : créer un champion européen à vocation mondiale dans l'intelligence artificielle », a déclaré son patron, Arthur Mensch, cité dans le communiqué du groupe.
Un potentiel rival pour ChatGPT
Parmi les bailleurs de fonds de Mistral AI, figurent l'éditeur américain de logiciels Salesforce, la banque BNP Paribas, le transporteur CMA CGM, indique la start-up dans son communiqué. Selon des sources du secteur, le groupe Nvidia, spécialiste mondial des puces pour supercalculateurs, est aussi partie prenante.
Mobiliser les plus grands acteurs de la Silicon Valley démontre l'engouement suscité par Mistral AI en moins d'un an d'existence. La presse américaine la cite déjà comme un potentiel rival d'Open AI, à l'origine de ChatGPT. Cette levée de fonds est d'autant plus notable que les financements ont dégringolé en 2023. Il s'agit du deuxième record de l'année en France, après les 850 millions d'euros du fabricant de batteries électriques Verkor en septembre.
Des bonnes fées autour du berceau
Comme beaucoup de ses concurrents, Mistral AI, qui compte désormais 22 salariés, pour la plupart des ingénieurs experts en intelligence artificielle, propose aux entreprises des modèles de langage en « open source » nourris de données publiques. Son principal atout est d'avoir été cofondée par trois experts français de l'IA, formés à l'X ou à l'ENS, embauchés par des géants américains de la tech, mais revenus à Paris.
Le PDG, Arthur Mensch, 31 ans, polytechnicien et normalien, a passé près de trois ans chez DeepMind, le laboratoire d'IA de Google. Ses associés viennent de Meta (Facebook). Guillaume Lample est l'un des créateurs du modèle de langage LLaMA dévoilé par Meta en février, et Timothée Lacroix était lui aussi chercheur chez Meta.
Dès sa création, Mistral AI a conquis les milieux politiques et économiques français. Arthur Mensch était en juin seul avec Emmanuel Macron sur la scène de Vivatech, le grand salon européen de la tech. Dès son premier tour de table, mené par le fonds américain Lightspeed Venture, plusieurs grands patrons se sont penchés sur son berceau : Xavier Niel, le propriétaire de Free, Rodolphe Saadé, le patron de CMA CGM, ainsi que l'ex-PDG de Google Eric Schmidt.
Le gouvernement est visiblement attentif à ce nouvel acteur, dont l'ex-secrétaire d'Etat au Numérique Cédric O est « conseiller co-fondateur ».L'ancien membre du gouvernement peut défendre la start-up jusqu'au au sommet de l'Etat, puisqu'il est aussi membre du Comité interministériel sur l'IA générative, créé en septembre par Elisabeth Borne.
L'Union européenne se dote d'un « IA act »
L'Europe est jusqu'ici très largement dépassée par les Etats-Unis dans la course à l'IA. ChatGPT, financé par Microsoft, a mobilisé plusieurs milliards de dollars. Ses rivaux ne sont autres que Google, qui vient de sortir son modèle Gemini, ainsi qu'Amazon et Meta. Seule l'allemande Aleph Alpha est aussi richement dotée que Mistral AI, après avoir levé début novembre près de 500 millions d'euros.
L'émergence d'acteurs européens de l'IA intervient alors que l'UE vient de s'accorder ce vendredi sur une future régulation du secteur. L'accord politique doit être complété par un travail technique pour finaliser le texte. « Nous allons analyser attentivement le compromis trouvé aujourd'hui et nous assurer dans les prochaines semaines que le texte préserve la capacité de l'Europe à développer ses propres technologies d'IA et préserve son autonomie stratégique », a réagi le ministre français du Numérique, Jean-Noël Barrot. « Le vrai danger, c'est que se reconstitue avec l'IA les Gafa, c'est-à-dire la suprématie d'une toute petite poignée d'acteurs qui imposent leurs règles au monde », a-t-il insisté samedi dernier sur France Inter.
Le secteur de la tech se montre critique : « la rapidité semble avoir prévalu sur la qualité, avec des conséquences potentiellement désastreuses pour l'économie européenne », a estimé Daniel Friedlaender, responsable Europe du CCIA, un de ses principaux lobbies. Selon lui, « un travail technique » est désormais « nécessaire » sur des détails cruciaux.
Le cœur du projet consiste en une liste de règles imposées aux seuls systèmes jugés à « haut risque », essentiellement ceux utilisés dans des domaines sensibles comme les infrastructures critiques, l'éducation, les ressources humaines, le maintien de l'ordre... Ces systèmes seront soumis à une série d'obligations comme celles de prévoir un contrôle humain sur la machine, l'établissement d'une documentation technique, ou encore la mise en place d'un système de gestion du risque.
La législation prévoit par ailleurs un encadrement particulier des systèmes d'IA qui interagissent avec les humains. Elle les obligera à informer l'utilisateur qu'il est en relation avec une machine.
(Avec AFP)
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