Comment la Blockchain pourrait révolutionner la publicité en ligne

Le remplacement de l’achat/ventes d’espaces publicitaires par la publicité programmatique, les progrès de l’intelligence artificielle, la popularité des adblockers et la domination de plus en plus forte de Google et de Facebook forcent les acteurs de la publicité en ligne à repenser leur modèle. Les technologies Blockchain, qui permettent la désintermédiation des échanges et la traçabilité des transactions, peuvent-elles devenir la bouée de secours tant espérée ?
Sylvain Rolland
Plateformes décentralisées, smart contracts, tokenisation, minage... Les possibilités offertes par les technologies blockchain pourraient révolutionner la publicité en ligne.

Depuis quelques années, le secteur de la publicité en ligne ne cesse de muter. La domination de plus en plus forte de Google et de Facebook, qui concentrent à eux seuls 76% des investissements digitaux en dehors de la Chine en 2016 et 99% de la croissance sur le numérique en 2016, celle des grandes plateformes comme le français Criteo, la publicité programmatique qui remplace progressivement l'achat/vente en direct, ou encore l'intelligence artificielle, qui tend à renforcer Google et Facebook en raison de leur capacité à collecter les données, bouleversent le secteur.

Au détriment des acteurs "historiques", comme les agences médias, qui ne cessent de voir leur part du gâteau se réduire. Parallèlement, de nouvelles menaces inquiètent, comme la popularité des adblockers ou encore l'essor spectaculaire de la fraude publicitaire, qui fait son lit du manque de transparence lié à la multiplication des intermédiaires.

La Blockchain, révolution à venir pour le marché de la pub ?

Les technologies Blockchain pourront-elles leur permettre de relever la tête ? C'est l'hypothèse de Blockchain Partner, nouvel entrant dans le secteur du conseil, spécialisé dans la vulgarisation du potentiel de la blockchain dans tous les secteurs.

Dans une étude publiée le 4 décembre, l'agence estime que les bouleversements connus par le marché publicitaire depuis près d'une décennie "ne sont sans doute qu'une première étape". Et que que la Blockchain, qui permet la désintermédiation des échanges en toute transparence et la traçabilité des transactions, a le potentiel de rebattre les cartes:

"La publicité en ligne coche toutes les cases du secteur typiquement transformable par la blockchain, explique Clément Jeanneau, le co-fondateur de Blockchain Partner et auteur de l'étude. Il existe de multiples intermédiaires, une partie de la valeur est perdue tout au long de la chaîne, et le secteur manque de transparence", énumère-t-il.

Lire aussi : La fraude publicitaire, le cauchemar des annonceurs

La "tokenisation", un espoir pour en finir avec l'opacité des transactions

Le "real time bidding" (les enchères en temps réel grâce au programmatique), a conduit à une multiplication des intermédiaires entre l'annonceur, qui se situe en début de chaîne, et l'éditeur, qui propose la publicité en bout de chaîne. Entre temps s'insèrent les ad exhanges (plateformes de transactions), les trading desks -les agences spécialisées qui gèrent les campagnes des annonceurs-, les DSP ("demand side platform") qui centralisent le pilotage des différentes campagnes dans une même interface), ou encore les SSP ("supply chain side platform"), pour optimiser la vente des espaces publicitaires des éditeurs.

"De ce fait, la chaîne de valeur s'est fortement complexifiée, conduisant à une plus grande opacité", décrit l'étude. Et de citer un chiffre très parlant : d'après la World Federation of Advertisers, 60% en moyenne du montant dépensé par un annonceur est prélevé par les intermédiaires, ce qui ne laisse que 40% à l'éditeur en bout de chaîne.

Cette opacité s'accompagne de deux conséquences négatives : tout d'abord l'annonceur ne peut pas connaître exactement l'utilisation de son budget. Ensuite, ce système ouvre grand la porte aux fraudeurs, qui peuvent en profiter pour détourner les campagnes. Au point que la fraude représente désormais un véritable fléau : selon l'Association of National Advertisers américaine, la fraude publicitaire mondiale a coûté 7,2 milliards de dollars aux annonceurs en 2016. Selon une autre étude réalisée par Adloox, cela équivaut à 20% des dépenses totales de publicités en ligne en 2016, et probablement le double en 2017.

Pour assainir le marché en luttant contre son opacité et mieux contrôler l'impact des publicités, un registre Blockchain pourrait retracer l'ensemble du parcours d'une publicité digitale avec bien plus de transparence et de fiabilité, estime l'étude. C'est la "tokenisation" de la pub : associer un token, c'est-à-dire un actif numérique pouvant être transféré entre deux parties de manière inviolable, à chaque actif digital publicitaire, permettrait de suivre en temps réel la transaction sur Internet, et ainsi de déterminer s'il a été vu, par qui, et quels montants ont été dépensés.

Plusieurs startups entrent sur ce créneau, à commencer par MetaX ou encore Madhive, spécialisée dans les publicités vidéo sur les plateformes OTT (over the top, à l'image d'un Netflix).

"Toutes les parties prenantes de la blockchain utilisée verraient les transactions en temps réel. L'annonceur pourrait alors vérifier à quoi correspondent précisément ses dépenses, permettant une meilleure analyse de ses coûts. Plus globalement, les intervenants de la chaîne auraient la possibilité de suivre et d'auditer entièrement le parcours des impressions, grâce aux métadonnées des tokens, inscrites dans la Blockchain », explique l'étude.

Plateformes décentralisées et "smart contracts"

Aujourd'hui, les agences traditionnelles subissent de plein fouet la domination sans partage de Facebook, Google ou, dans une moindre mesure, Criteo. Au point de se retrouver carrément marginalisées, et promises à ramasser les miettes du marché. La situation est d'autant plus critique en raison de la présence de nombreux intermédiaires qui captent 60% du budget de l'annonceur.

Mais grâce à la blockchain, les annonceurs pourraient placer leurs publicités en achat programmatique via des plateformes décentralisées privées. Ainsi, les annonceurs pourraient se passer des intermédiaires (lles ad exchanges spécialisées) pour "trader" directement, en pair-à-pair, avec les éditeurs. C'est justement ce que propose AdShares, une blockchain privée qui se rémunère en prenant une commission de 1%, et qui pourrait supporter, d'après ses créateurs, "facilement 100.000 transactions par seconde".

Les smarts contracts sont une autre des solutions permises par la blockchain. Il s'agit de contrats qui s'appuient sur la technologie blockchain pour rendre infalsifiables leurs termes et leurs conditions d'exécution. Et lancer une transaction uniquement lorsque les termes sont remplis.

Le minage de crypto-monnaies comme nouvelle source de revenus pour les éditeurs

Pour lutter contre l'hégémonie de Google et de Facebook, les éditeurs pourraient aussi compléter le modèle publicitaire par le minage de cryptomonnaies pour financer leurs activités. Autrement dit : à chaque visite sur un site, le visiteur mettrait à sa disposition une partie de la puissance de calcul de son ordinateur, de sa tablette ou de son smartphone, pour valider des transactions sur un réseau Blockchain, ce qui rapporte une fraction de cryptomonnaies.

Le site français Street Press vient justement de lancer une expérience de ce type, la première en France pour un média. À la recherche d'un modèle économique alternatif, le titre s'est offert les services de Coinhive, un mineur JavaScript qui s'intègre à un site web. Cet outil est controversé (l'antivirus Avast a décidé de le bloquer) en partie, car il a déjà été piraté et que de nombreux sites ne demandent pas le consentement de l'utilisateur pour l'appliquer, ce qui n'est pas le cas de Street Press.

"In fine, le minage ne représente sans doute pas l'alternative miracle à l'affichage de publicités", met en garde Blockchain Partner. Mais il peut constituer un "business model prometteur pour les éditeurs de sites internet, en complément de méthodes plus traditionnelles". Les médias, confrontés à une dépendance de plus en plus forte à Google et Facebook, feraient bien de s'y pencher.

Sylvain Rolland

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Commentaires 2
à écrit le 07/12/2017 à 0:59
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La pub passe à la poubelle, puis en indésirable.

à écrit le 06/12/2017 à 9:15
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Si le secteur marchand est totalement dépendant de google et de fb c'est parce qu'ils ont été incapables de repenser leur stratégie marketing, ils en sont encore aux années 80 avec ses supports médiatiques classiques, tout ce monde s'est confortablem...

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