Six mois après l'entrée en Bourse, Deezer vise la rentabilité avant tout

La plateforme de streaming musical Deezer ne fait plus la course aux abonnés, elle en a même perdu en 2022. En revanche, l'entreprise a réduit ses pertes d'exploitation, augmenté son chiffre d'affaires par utilisateur, et elle développe de nouveaux canaux de monétisation de l'audience. Avec l'objectif implacable de commencer l'année 2025 en étant rentable, comme un symbole du virage opéré par la tech en 2022.
François Manens
Deezer perd des abonnés, mais ne s'en inquiète pas.
Deezer perd des abonnés, mais ne s'en inquiète pas. (Crédits : CHARLES PLATIAU)

« Si nous devions choisir entre plus de croissance ou plus de rentabilité, nous choisirions plus de rentabilité », a affirmé Stéphane Rougeot, directeur général adjoint et directeur financier de Deezer lors de la présentation des résultats annuels du groupe.

Dès son entrée en Bourse l'été dernier, l'entreprise française de streaming musical a annoncé qu'elle visait la rentabilité avant 2025.

Finie la course aux abonnés à tout prix - où elle est largement distancée par Spotify, Apple et Amazon -, Deezer se concentre désormais sur l'agrandissement de ses marges et sur le développement de nouveaux canaux de monétisation. Avec succès, pour l'instant.

Lire aussiDeezer : « L'entrée en Bourse nous apporte l'argent nécessaire à notre développement » (Stéphane Rougeot, DG adjoint)

Deezer augmente son chiffre d'affaires et réduit ses pertes

En 2022, Deezer a réalisé 451,2 millions de chiffre d'affaires, pour 56 millions d'euros de pertes. D'après Stéphane Rougeot, l'entreprise a atteint ses deux objectifs : d'une part, retrouver une croissance annuelle à deux chiffres (+12,8%) et d'autre part, réduire ses pertes d'exploitation (-13,9%).

« Nous pouvons même considérer que nous avons réduit nos pertes de 18 millions d'euros si on enlève nos investissements à hauteur de 9 millions d'euros dans notre nouvelle activité sur le bien-être, et dans Driift [une entreprise productrice de live streaming de concert, Ndlr]  », ajoute-t-il.

La posture de Deezer est dans l'air du temps : la croissance à tout prix ne satisfait plus les investisseurs de la tech, qui recherchent désormais des perspectives de rentabilité. Mais elle correspond aussi à l'état de la trésorerie du groupe.

À la fin de l'année 2022, Deezer disposait encore de 114 millions d'euros de liquidités grâce à son entrée en Bourse, qui l'a renfloué de plus de 140 millions. Juste ce qu'il faut pour alimenter son plan de développement jusqu'au second semestre 2024, où le groupe espère se retrouver à l'équilibre.

Deezer perd des abonnés... sans inquiétude ?

Pour autant, tous les indicateurs ne sont pas au vert pour Deezer : il a perdu 200.000 abonnés en 2022, et n'en compte plus que 9,4 millions.

Dans le monde de la tech d'avant-crise, cette tendance serait interprétée comme une catastrophe.

Mais l'époque où le groupe tentait de suivre la croissance du géant du secteur Spotify (205 millions d'abonnés en 2022) est révolue. Deezer sait désormais qu'il ne peut pas rivaliser à l'échelle mondiale dans la vente directe aux consommateurs.

Il s'est donc retiré de la course aux abonnés pour recentrer ses efforts marketing sur ses trois marchés historiques (France, Brésil et Allemagne) alors même qu'il est présent dans plus de 180 pays.

« Nous n'essayons plus de nous lancer dans les pays où notre marque n'est pas établie. Les gains d'abonnés n'étaient pas pérennes, en plus de ne pas être rentables », résume Stéphane Rougeot.

Cette stratégie paie, puisque le groupe compte désormais 3,5 millions d'abonnés en France, soit 8% de plus que l'an dernier.

Mieux, financièrement, la perte d'abonnés est plus que compensée par l'augmentation du prix de l'abonnement de 9,99 euros à 10,99 euros par mois. Deezer a augmenté son revenu moyen par utilisateur (ARPU, dans le jargon financier) de 14,3 % sur l'année, et entend continuer dans cette voie.

Creuser le sillon du marché BtoB

Pour y parvenir, il mise sur la spécificité de son modèle économique, le marché BtoB, qui pèse pour aujourd'hui un peu plus de 25% de son chiffre d'affaires, une part projetée à 50% en 2025.

Concrètement, les partenaires de Deezer intègrent la plateforme de streaming à leur offre pour gagner en attractivité auprès des clients. Ce sont des entreprises de télécoms (Orange, Free, Bouygues en France, Vodafone en Allemagne), des médias (Globo au Brésil, RTL en Allemagne, DAZN en Italie, des distributeurs (Fnac Darty) et même, depuis peu, des constructeurs de produits tech comme Sonos aux Etats-Unis.

« Les abonnés que nous gagnons par ces canaux sont plus profitables car ce sont nos partenaires qui encaissent les coûts du marketing », résume Stéphane Rougeot.

Deezer continue de discuter de nouveaux partenariats, notamment au Royaume-Uni, en Amérique du Nord, en Italie et en Espagne où elle compte développer son marché. Mais elle reste très ancrée en France, où elle réalise 60% de son chiffre d'affaires. 

Augmenter la taille du gâteau pour dégager de nouvelles marges

Deezer ne compte pas que sur le BtoB pour améliorer sa rentabilité. Historiquement, les plateformes de streaming musical peinent à tirer des bénéfices en raison de la répartition des revenus : 70% des gains sont redistribués aux ayants droit (majors, labels, studios indépendants...).

Plutôt que d'essayer de grappiller du terrain sur cette répartition, Deezer veut augmenter la taille du gâteau, et proposer aux artistes d'autres services, où elle dégagera des marges plus importantes.

Stéphane Rougeot se projette ainsi sur la vente de places de concerts et la vente de marchandises liées aux artistes (produits dérivés). Mais son principal chantier porte sur le live streaming, c'est-à-dire la diffusion de concerts en direct.

La prise de participation du groupe dans le studio de production Driift vise justement à intégrer des compétences sur la production de ces spectacles audiovisuels.

Résultat : l'été dernier, la plateforme a réuni 170.000 spectateurs uniques devant la diffusion concert du rappeur Jul au Vélodrome. Un test, offert gratuitement aux abonnés, qui laisse entrevoir les ambitions de l'entreprise. De nouvelles offres pourraient émerger dès la fin de l'année, mais malgré ses ambitions, l'entreprise reste muette sur ses ambitions chiffrées pour ces nouveaux segments de marché.

Suite à la présentation des résultats annuels, le cours de Bourse est resté stable. Il s'est effondré de plus de 57% depuis l'introduction et de 14% depuis le début de l'année.

La faute en partie au désintérêt des investisseurs pour la tech, mais Stéphane Rougeot explique aussi ce cours, qu'il qualifie de « décevant », par le faible volume d'échange sur l'action, qui empêche les gros investisseurs de se positionner, par manque de volume. Deezer peut-il devenir plus attractif s'il atteint la rentabilité ?

François Manens

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