Menacé par Amber Capital, Arnaud Lagardère sur la corde raide

Lors de l’assemblée générale de son groupe, le 5 mai prochain, Arnaud Lagardère jouera gros. Il est confronté à une fronde de son premier actionnaire, le fonds activiste britannique Amber Capital, qui veut l’éjecter de son fauteuil de gérant.
Pierre Manière
Depuis qu'Arnaud Lagardère a pris les commandes du groupe éponyme, en 2003, son chiffre d'affaires est passé de 12 à 7 milliards d'euros.
Depuis qu'Arnaud Lagardère a pris les commandes du groupe éponyme, en 2003, son chiffre d'affaires est passé de 12 à 7 milliards d'euros. (Crédits : Reuters)

Chez Lagardère, la situation n'a jamais été aussi explosive. Depuis plusieurs mois, Amber Capital intensifie sa croisade contre l'état-major de cet ancien fleuron industriel, qui fut, par le passé, un puissant conglomérat diversifié dans l'édition, les médias, la défense, l'aéronautique, l'automobile ou encore les télécoms. Le fonds britannique activiste est rentré au capital de Lagardère en 2016. Aujourd'hui, il en est le premier actionnaire à hauteur de 18%. A ses yeux, il est urgent d'en finir avec le règne d'Arnaud Lagardère, son chef de file. Tandis que son père, Jean-Luc Lagardère, industriel respecté du monde des affaires, a bâti un empire, le fils est accusé de le décomposer à petit feu depuis qu'il en a hérité, en 2003, au gré des cessions et d'investissements ratés.

Pour Amber Capital, Arnaud Lagardère s'est révélé un piètre gérant. Il faut dire qu'en 17 ans, le groupe a grandement rétréci. Il vu son chiffre d'affaires passer de plus de 12 à 7 milliards d'euros. L'ex-pensionnaire du CAC 40, qui a quitté ce club en 2010, s'est aujourd'hui recentré sur deux métiers : le « Publishing », avec la pépite Hachette, et le « Travel Retail », qui gère des boutiques dans les gares et les aéroports. Après avoir cédé de nombreux médias, Lagardère conserve dans son escarcelle les influents JDD, Paris Match et Europe 1.

La commandite dans le viseur d'Amber

Depuis Londres, Joseph Oughourlian, le président d'Amber, ne ménage pas ses efforts pour chasser Arnaud Lagardère de son trône. Problème : ce dernier dispose d'une défense difficile à percer. Il est protégé par un régime particulier, celui de la commandite, qui lui permet de contrôler son groupe en n'en détenant qu'un peu plus de 7% du capital. En clair, l'héritier s'avère quasi indéboulonnable. Pour le déloger, Amber Capital mise sur une stratégie en deux coups.

Primo, le fonds veut prendre le pouvoir au conseil de surveillance. A l'AG du mardi 5 mai, il a présenté des résolutions visant à révoquer l'essentiel des membres de cet organe, qui représente les intérêts des actionnaires, pour les remplacer par des candidats maisons. Secundo, une fois le conseil acquis à sa cause, Amber Capital souhaite qu'il dégaine son droit de veto pour s'opposer, en mars 2021, au renouvellement du mandat de gérant d'Arnaud Lagardère pour les six années suivantes. Cette manœuvre constitue une étape cruciale pour le forcer à renoncer à la commandite, et transformer le groupe en une société par actions classique.

Pour décrocher la timbale et rallier la majorité des petits actionnaires à sa cause, l'activiste a multiplié, ces dernières semaines, les piques à l'égard d'Arnaud Lagardère. « Il est vrai que tout président d'une société anonyme, fut-elle familiale, ne serait pas resté en place pendant 15 ans avec de tels résultats », a fustigé lundi Patrick Sayer, candidat d'Amber Capital à la présidence du conseil. Dans nos colonnes, l'ancien patron de la société d'investissement Eurazeo étrille les « choix malheureux » d'Arnaud Lagardère. Il critique notamment la vente de la participation du groupe dans EADS (Airbus), celle dans Canal+, ou encore la cession du magazine Elle. En parallèle, Patrick Sayer tire à boulets rouges sur les « réinvestissements dans des métiers, comme le sport, qui se sont révélés catastrophiques ».

Pis, le candidat proposé par Amber juge que les problèmes financiers d'Arnaud Lagardère entravent le développement du groupe. De fait, au milieu des années 2000, celui-ci a emprunté de l'argent pour se renforcer au capital de la société. Son objectif : doubler sa participation, qui s'élevait initialement à 5%. Il l'a fait. Mais au prix fort. En 2006, le titre caracolait fièrement entre 50 et 60 euros, avant de perdre la moitié de sa valeur entre 2007 et 2008, pour atteindre, aujourd'hui, une petite quinzaine d'euros. En 2017, selon le Financial Times, la holding personnelle d'Arnaud Lagardère devait encore 204 millions d'euros à ses créanciers. Avec, en face, des titres dont la valeur s'est effondrée. Résultat : cet endettement a accouché d'« une structure où la holding prélève les filiales en frais de gestion déconnectés des services rendus, le groupe versant lui-même de trop généreux dividendes à ses actionnaires », déplore Patrick Sayer.

Depuis 2006, Lagardère a reversé quelques 4,4 milliards d'euros de dividendes. « Un montant trop important par rapport à la génération nette de trésorerie, estime Adrien de Saint Hilaire, analyste chez Bank of America. Cette distribution de dividendes a plutôt pénalisé la société. Son niveau d'endettement est resté important et a limité ses marges de manœuvres. »

Pour renverser la table, Amber Capital, qui se défend de vouloir prendre le pouvoir pour organiser le démantèlement du groupe, s'enorgueillit désormais du soutien des agences de conseil de vote Glass Lewis, Proxinvest et ISS. « Toutes trois ont approuvé [notre] analyse », se félicite le fonds sur son site « strongerlagardere », spécialement créé pour sa fronde. « Nous avons gagné la bataille du sens et de la légitimité », claironne Patrick Sayer.

« Les propositions d'Amber détruisent de la valeur »

Du côté de Lagardère, la menace est prise très au sérieux. A quelques jours de l'AG, le groupe se refuse à tout commentaire. Mais dans une lettre aux actionnaires, la semaine dernière, il qualifie ses manœuvres d'« irresponsables » alors que l'activité du groupe pâtit de la crise du Covid-19. Dans un entretien au Figaro au début du mois, Patrick Valroff, l'actuel président du conseil de surveillance, a qualifié les attaques du fonds de tentative de « hold-up »« Avec seulement 16% du capital, Amber veut s'octroyer 80% du conseil de surveillance, s'étrangle-t-il. [Ses] propositions n'apportent rien et détruisent de la valeur. »

Pour contrer l'indésirable, Arnaud Lagardère n'a pas fait les choses à moitié. Il a abattu une carte bien à lui : celle de l'establishment et des barons du capitalisme français. Au mois de mars, Nicolas Sarkozy et Guillaume Pepy, dont il est proche, ont été cooptés au conseil de surveillance. Ces arrivées sont présentées comme un moyen, pour Arnaud Lagardère, de s'assurer les faveurs du fonds souverain Qatar Investment Authority, deuxième actionnaire du groupe avec 13% des parts. L'ancien président de la République et l'ex-patron de la SNCF cultivent en effet, depuis longtemps, des relations privilégiées avec le richissime émirat.

En parallèle, deux nouveaux actionnaires ont fait leur entrée au capital. Il s'agit du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière, qui aurait pris environ 3,5% du groupe, et Vincent Bolloré, qui en a avalé 10,6% via Vivendi. Arnaud Lagardère devrait pouvoir compter sur leurs votes le 5 mai prochain. Mais dans quelles conditions, et à quel prix ? Vincent Bolloré, alias « smiling killer » comme le surnomme le Tout-Paris des affaires, n'a pas pour habitude de se comporter en sage minoritaire.

Vivendi, un loup dans la bergerie ?

Son arrivée au capital de Lagardère interroge, d'autant plus qu'elle a été effectuée à travers Vivendi, dont il tient les rênes avec 27% du capital. « C'est une grosse surprise que Vivendi soit directement impliqué, plutôt qu'une des holding du groupe Bolloré, affirme Adrien de Saint Hilaire. Cela peut laisser penser que Vincent Bolloré a un autre dessein qu'un simple coup de main temporaire. » Vivendi compte-t-il mettre la main sur quelques jolis morceaux du groupe ? Celui-ci possède notamment Editis, le numéro deux français de l'édition, et pourrait lorgner Hachette, le numéro un. « En France, ce serait très compliqué pour des raisons de concurrence, poursuit Adrien de Saint Hilaire. En revanche, Vivendi pourrait s'intéresser aux activités internationales d'Hachette. »

Analyste chez Bryan Garnier, Thomas Coudry rappelle que les coups de Vincent Bolloré « ne sont jamais unidimensionnels ». En témoigne, par exemple, son raid avorté sur Ubisoft. Après avoir échoué à en prendre le contrôle il y a deux ans, il a revendu sa participation en empochant, au passage, une plus-value de 1,2 milliard d'euros. « Il ne va pas rendre simplement un service à Lagardère pour ses beaux yeux », assure Thomas Coudry. Arnaud Lagardère a-t-il fait rentrer le loup dans la bergerie ? Premiers éléments de réponse à l'AG du 5 mai.

Pierre Manière

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Commentaires 9
à écrit le 03/05/2020 à 19:41
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On dit que le père crée, que les enfants développent et les petits enfants dilapident. Chez Lagardère, ils ont sauté une génération contrairement à ce qui se passe chez Pinault par exemple.

le 05/05/2020 à 8:33
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Les empires familiaux construits par des talents s'atomisent lors des successions, c'est une vraie question.

à écrit le 03/05/2020 à 16:58
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Non évènement, ce groupe n'est plus stratégique depuis longtemps : Relay H, Paris-Match, Europe1 devenue marginale De meme que RTL et M6 appartiennent au meme groupe Le groupe propriétaire de BFM TV rachètera à la casse ce qui reste d'Europe1

à écrit le 02/05/2020 à 9:12
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Apparemment (source Canard enchaîné!) il pourrait sortir avec 200 M€ cela lui permettra de faire des cadeaux à Jade! Cela fait cher payé pour une telle incompétence!

à écrit le 01/05/2020 à 18:05
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Qui est cette Amber Capital ? 😁

à écrit le 01/05/2020 à 12:14
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Enorme! la navy US a choisit la frégate FFG-X des italiens pour ses besoins. Combien avaient moqué la participation meme des italiens, c'étaient pour faire nombre etc..

à écrit le 01/05/2020 à 12:08
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Sus aux brexiteurs de l'économie française donc aux raideurs britanniques. Pas de quartiers, ils font trop de mal l'Europe. Ils doivent payer le prix de leur trahison.

à écrit le 01/05/2020 à 12:03
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Bonne analyse, mais comme dans la très grande majorité des articles, il semble que les clauses des statuts de la société en commandite par actions Lagardère sont oubliées ! En effet, chez Lagardère, pour changer de gérant, la prise de contrôle du con...

à écrit le 01/05/2020 à 10:20
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La classe dirigeante adore noter, comparer, diviser la classe productrice mais est totalement incompétente à s'évaluer elle-même alors qu'il est encore bien plus important d'avoir une classe dirigeante éclairée qu'une classe productrice obéissante et...

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